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Liège, Belgium
Né à Bruxelles dans une famille d'origine grecque, turque, albanaise et bulgare. Etudes secondaires gréco-latines. Licence en Histoire de l'art, Archéologie et Musicologie de l'Université de Liège. Lauréat de la Fondation belge de la Vocation. Ancien journaliste à La Libre Belgique et La Gazette de Liège. Actuellement Chargé de mission développement et médias à l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège. Directeur artistique-adjoint du Festival des Nuits de Septembre. Enseigne l'Histoire sociale de la musique aux Alumni de l'Université de Liège.

samedi 2 février 2008

Giulio Cesare in Egitto : le "memento mori" des Herrmann à la Monnaie

Depuis Il Turco in Italia, le couple Karl-Ernst et Ursel Herrmann s’était fait rare au Théâtre de la Monnaie. De retour avec la mise en scène de Giulio Cesare in Egitto de Haendel (donné aux Pays-Bas en 2001), ils signent un des plus beaux spectacles de leur carrière en parfaite adéquation avec la direction de René Jacobs et les qualités exceptionnelles du Freiburger Barokerorchester. Alors qu’on est habitué avec les Herrmann au luxe et à l’opulence (leurs Boréades de Salzbourg), le travail de décor est réduit à sa plus simple expression : une scène parsemée de roseaux blancs (les berges du Nil), des murs tout aussi blancs parés de panneaux amovibles que l’on synchronise avec le mouvement des acteurs. Point d’exotisme (à part un très haut palmier en papier sur le devant de la scène), de ménageries fantaisistes, de couleur locale édulcorée, de reconstitutions archéologiques mais une scène qui s’ouvre aux passions humaines et met leur vanité à nu. Car il s’agit bien pour les Herrmann d’oublier l’héroïsme aristocratique de l’opéra seria pour montrer tous les petits travers de la nature humaine : la suffisance fourbe (Cléopâtre), l’orgueil (César), l’arrivisme vulgaire - et son cortège de traîtrises - (Ptolémée) ou le machisme agressif (Achille) des grands de ce monde. Les Herrmann visent très clairement un jeu social qui enflamme et dérègle le monde. Cible suprême, le jeune Sextus, rejeton de Cornélie, affublé d’une armure grotesque et d’une épée trop grande pour son corps chétif, est l’ébauche en puissance d’une société qui manie la loi du talion comme un divertissement. Dans la même veine, la première confrontation entre Cléopâtre et son frère s'effectue sur des chars grotesques aussi caricaturaux que ceux du Combat de Carnavel et Carème de Bruegel l’Ancien. Des jeux de grands enfants attardés corrompus par le pouvoir. Seule Cornélie, dont la noblesse la rapproche de l’Octavie du Couronnement de Poppée (elles partagent un sublime « Addio Roma !»), s’impose comme un parangon de dignité et de douleur tragique.

Toute cette agitation est dérisoire (vanitas vanitatum et omnia vanitas) lorsqu’on sait que la grande faucheuse attend les hommes au tournant. Ses symboles parsèment le spectacle : de la petite urne qui contient les cendres de Pompée, omniprésente, à la Mort qui traverse régulièrement le Nil sur sa barque en quête d’âmes, en passant par un portemanteau couronné d’un crâne où pendent le casque et l'armure de César (cynique allusion aux désastres de la guerre), sans oublier ce ventilateur en palme de plumes (symbole de la fragilité) qui ventile moins qu’il ne tourne comme le mécanisme d’une gigantesque horloge funeste (elle s’arrête au moment même où César est supposé tué), tout nous rappelle l'éphémère de la vie. Et comment ne pas voir en ces flèches plantées sur l’avant-scène (une pointe côté cour, une queue côté jardin) non seulement les traits de passions qui se suivent et ne se ressemblent pas mais surtout l’allégorie des heures qui blessent et finissent par tuer (vulnerant omnes ultima necat).



Heureusement, le spectacle des Herrmann ne verse pas que dans le memento mori. Le texte de Giulio Cesare est clairement inspiré par les conventions de l’opéra vénitien (Haym a retravaillé le livret de Giacomo Francesco Bussani que Sartorio mis en musique en 1677), caractérisées notamment par le mélange de scènes comiques aux tragiques. Les metteurs en scène ne se privent dès lors pas de faire preuve d’humour quant il le faut : dans les interventions de Nireno (la servante de Cléopâtre, sublimement jouée par l’inusable et charismatique Dominique Visse), dans les scènes de séductions frivoles (Cléopâtre faussement
endormie dans sa barque) ou les rencontres au sommet de César et Ptolémée (sur un ring de boxe), dans le choix de costumes aussi : magnifiques tenues vaporeuses ou zébrées de Ptolémée, allure sexy de Cléopâtre qui en fin de spectacle renoue avec le look néodisco de Madonna dans Confessions on the Dance Floor (avec les souliers de circonstance). Sans parler des serviteurs de Ptolémée portant de grandes ombrelles blanches et vêtus comme s’ils sortaient des scènes orgiaques d’Eyes Wide Shut, les masques animaliers des dieux Anubis, Bastet, Khnoum ou Thôt en plus.



Les coupures opérées par René Jacobs, essentiellement dans le IIIe acte ne nuisent en rien à l’équilibre du drame, et quand bien même il manquerait une heure de spectacle, il reste trois heures trente d’une partition sublime, constamment animée par l’intelligence des parties « da capo », dans l'ensemble extraordinairement variées et musicalement soumises aux impératifs et au rythme du théâtre. L’orchestre est somptueux, opulent, incisif, avec quelques dédoublements d’instruments dans les passages délicats (2 cors se partagent la partie virtuose de « Va tacito », 2 violons solistes celle de l’aria « Se in fiorito ») qui évitent tout dérapage. Leur présence permettent aussi de beaux jeux théâtraux : à l'instar du petit orchestre prévu par Haendel au début de l'acte II, ces solistent jouent sur scène et interagissent avec les chanteurs.

Confié à Marijana Mijanovic, malade ou en méforme, le rôle-titre perd de sa crédibilité : vocalises savonnées, justesse approximative, couleurs ternes, faiblesse du volume et un manque évident de charisme qui se corrige en fin du spectacle. Sandrine Piau est une Cléopâtre d’anthologie, sa souplesse vocale est sans limite, son timbre somptueux, fruité, sans faille, son jeu théâtral pétillant, incroyablement séducteur et donc crédible. Brian Osawa assure jusqu’au bout la crapulerie de son personnage, Monica Bacelli a le physique et la voix idéale pour ce Sextus prématuré, Luca Pisaroni fait montre de toute la (somptueuse) violence qu’on attend d’Achille, Charlotte Hellekant, enfin, est bouleversante de pudeur en Cornélie.

Au terme de cette soirée enivrante, on en oublierait presque les propos shakespeariens de César méditant devant les cendres de Pompée : « Ti forma un soffio, e ti distrugge un fiato ».

2 commentaires:

Pierre-Jean a dit…

Vu ce spectacle mardi, le meilleur à La Monnaie depuis septembre !!!
J'ai vu l'autre cast avec un Lawerence Zazzo absolument phénoménal !
Scéniquement c'est grandiose, j'ai d'autant plus apprécié que je restais sur 2 gros gros bides en matière de baroque : Didon et Enée de Purcell selon S. Walz (nul et prétentieux) et Castor et Pollux de Rameau selon P.Audi (nul et chiant=dans Rameau faut le faire...).

Stéphane DADO a dit…

On verra ce que Wozzeck va donner. Je crains le pire avec M. W. à la baguette...