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Liège, Belgium
Né à Bruxelles dans une famille d'origine grecque, turque, albanaise et bulgare. Etudes secondaires gréco-latines. Licence en Histoire de l'art, Archéologie et Musicologie de l'Université de Liège. Lauréat de la Fondation belge de la Vocation. Ancien journaliste à La Libre Belgique et La Gazette de Liège. Actuellement Chargé de mission développement et médias à l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège. Directeur artistique-adjoint du Festival des Nuits de Septembre. Enseigne l'Histoire sociale de la musique aux Alumni de l'Université de Liège.

lundi 15 décembre 2008

L'art entre plaisir esthétique et approche symbolique

Privilège de l'âge? Déformation due aux années qui passent? Toujours est-il qu'en vieillissant, la contemplation esthétique d'une œuvre d'art s'avère moins fondamentale que l'envie de percer le sens symbolique, la signification politique, la portée sociale de cette œuvre. Non qu'il y ait de la lassitude à laisser son œil se perdre dans l'univers infini des formes, cette jouissance reste non seulement un privilège mais une nécessité pour tout être humain, mais force est de reconnaître que cette part de plaisir s'avère purement subjective et qu’il faut manier nos enthousiasmes avec une certaine prudence parce que notre sens du beau est modelé sur des canons dont la portée est relative et donc éphémère. Car notre goût n'est jamais rien d'autre que la combinaison indicible entre une expérience personnelle, plus ou moins forte selon les cas, et les normes capricieuses et forcément fluctuantes de ce qu'on nomme "l'air du temps". Or, ces normes esthétiques que nous pensons immuables évoluent, s’aiguisent, se corrompent, de sorte que le rapport que nous entretenons avec certains chefs-d'œuvre (comme avec les créations de "petits maîtres") peut fluctuer de la même manière, par exemple, que nos sentiments amoureux. Lorsque Nietzsche proclame son adoration juvénile de la musique wagnérienne puis, plus tard sa haine pour cette même musique, à quel moment est-il le plus proche de la vérité ? Dans les deux cas, n’est-il pas d’une rare honnêteté avec lui-même ? Le caractère absurde dans lequel toute tentative de réponse nous plongerait démontre que la beauté n'est pas normative et que, comme l’avait perçu Kant, aucun concept ne permet d'en définir les contours, quand bien même le Beau serait une quête universelle pour tout un chacun. Face à nos goûts, il apparaît urgent de ne pas se vautrer dans l’esprit de système ou dans le dogmatisme fanatique des pronostics éphémères puisque nous serons les premiers à ne plus être ultérieurement en accord total avec nos classifications.

S'il est hors de question de se priver, on l'aura compris, du plaisir certes précaire qu’occasionne une œuvre d’art, son décryptage symbolique n'en reste pas moins fondamental pour l'apprécier pleinement.

Un exemple : lorsqu’on se rend à Venise, on est frappé par les proportions et le mélange de styles de l’imposante Basilique San Marco. Une fois que le regard s’est habitué à distinguer les différents langages de l’œuvre (les apports byzantins, romans, gothiques) à en mémoriser les moindres contours et que notre opinion esthétique a pris forme, il y a un plaisir tout aussi subtil à comprendre par exemple le sens que cette architecture revêt aux yeux des commanditaires et de leurs contemporains. Depuis 607, Aquilea et Grado, deux villes dans l’actuelle province du Frioul-Vénétie julienne, se disputent le contrôle de Venise, sous dépendance byzantine. En 827, le synode de Mantoue donne gain de cause à Aquilea. Afin d'assurer son indépendance, le doge Giustiniano Partecipazo crée en 828, soit à un an à peine après le synode, le mythe de la translation des restes de saint Marc en prétendant que deux marchands de Torcello ont ramené d’Alexandrie le saint caché dans de la viande de porc. Comme possesseur du corps, le doge peut ainsi aisément revendiquer une indépendance politique face à Byzance (mais aussi à Rome) et clamer la destinée de droit divin de sa cité ; la translation devient une représentation allégorique de l'unité politique de la lagune autour de sa personne. En tant qu'administrateur laïc des restes de San Marco, le doge doit pourvoir à la construction d’une nouvelle église. Les choix esthétiques répondent à leur tour à des impératifs bien ciblés : Giustiniano Partecipazo conçoit sa basilique sur le modèle du Saint-Sépulcre de Jérusalem, choix qui n’est pas anodin puisque le doge entend faire symboliquement de Venise une nouvelle Jérusalem. La basilique prend d’ailleurs une importance toute particulière à Pâques lorsque le doge et ses magistrats, reconstituent devant San Marco une allégorie de l'entrée du Christ à Jérusalem, le doge incarnant le Christ. La proximité de la basilique avec le Palais des doges n'est à son tour pas innocente : les doges étant les dépositaires du corps, leur palais est assimilé au Temple de Salomon, voisin du Saint-Sépulcre.

On pourrait développer davantage le propos mais tel n’est pas le but. Cet exemple permet de comprendre que la seule admiration plastique de l’édifice ne suffit pas. Notre plongée dans l’œuvre gagne à être amplifiée, transcendée par la perception de ses enjeux symboliques, même si, et tant pis si cela heurte les puristes, il s’agit de réduire l’art, à l’instar de toute interprétation marxiste, à des considérations qui dépassent le pur plaisir de la ligne esthétique. La démarche a tout de même ses limites. L’étude approfondie d’une œuvre n’a de sens que si, à la base, nous avons une forte empathie avec celle-ci. Sans quoi on en viendrait à se passionner pour des artistes médiocres (Jeff Koons ou Panamarenko) sous prétexte que le fatras littéraire qui accompagne leurs œuvres serait de qualité.

Enfin, quitte à paraître paradoxal, je dois admettre que, à titre personnel, l’art musical est la seule discipline artistique où cette connaissance historique n’apporte pas grand-chose à ma jubilation esthétique. Sans doute parce que l’écoute fait appel à des processus d’assimilation et de perception moins cérébraux et plus spontanés que le regard ? Cela reste encore à prouver…

lundi 8 décembre 2008

Beste Erik Van Looy and Bart De Pauw...

La dernière chronique (bimensuelle) d'Alain Gerlache dans l'excellent journal flamand "De Staandard" - une lettre ouverte à Erik Van Looy et Bart De Pauw, respectivement réalisateur et scénariste du récent film Loft, va à contre-courant des pensées univoques répandues en Flandre comme en Wallonie. Très favorablement reçue par le lectorat et l’intelligentsia flamands, cette chronique mérite d'être livrée dans sa traduction française car elle révèle clairement l'étendue du fossé qui sépare désormais francophones et néerlandophones de Belgique. Une division caricaturale et absurde, évoquée pourtant sans la moindre volonté de belgicanisme latent. Le constat est clair, tranché, radical, avec les quelques flèches d'usage décochées là où cela fait mal!

Chers Erik Van Looy et Bart De Pauw,

J’ai eu de la chance ! Et j’en suis fier, car cela semble en effet une véritable performance. J’ai visionné votre film Loft dans un cinéma wallon. J’entends par là sur le territoire wallon à Braine-l’Alleud. Je l’admets, ce n’est pas loin de la frontière linguistique. Mon ami et moi étions presque les seuls francophones dans la plus petite salle du complexe Kinepolis où le film était projeté. En néerlandais, avec des sous-titres français. Deux jours plus tard, Loft n’était déjà plus à l’affiche. Le plus grand succès de tous les temps en Flandre n’est même pas visible en Wallonie. Grâce à ces facilités culturelles, très temporaires, nous avons vu, sans avoir à nous rendre à Bruxelles ou à Louvain, un excellent thriller. C’est ça le Loft : un très bon film. De la qualité pour le grand public. Nullement une production flamande ou belge que l’on soutient par sympathie. "The proof of the cake is the eating". Et la preuve qu’un film est bon, c’est qu’on prend du plaisir à le voir.

Je trouve très dommage que les Wallons n’aient aucune chance de voir votre film. Pas seulement parce que qu’ils vont manquer quelque chose. Mais aussi parce qu’ils verraient une toute autre image de la Flandre que celle qui leur est proposée quotidiennement. Qui sont-ils les Flamands qui s'expriment dans les médias francophones ? Essentiellement des politiciens et quelques footballeurs et cyclistes. Je n'ai rien contre les politiciens et les sportifs. Mais la Flandre c’est bien plus que Bart De Wever et Tom Boonen. Loft donne une vision de la Flandre que la plupart des francophones ne connaissent même pas. Je suis certains qu’ils seraient surpris. A mille lieux de l’histoire lamentable de trois bourgmestres et de l’image revancharde d’une Flandre paranoïaque qui à vrai dire doute encore d’elle-même. Votre film prouve qu’une autre Flandre existe maintenant : moderne, ouverte, sûre d’elle, créative. Une Flandre tournée vers l’international et qui se préoccupe davantage des nouvelles tendances à New York ou Hollywood que de la langue des convocations électorales à Linkebeek.

Les francophones pensent que la Flandre est plus conservatrice que la Wallonie parce qu’elle est politiquement plus à droite. Un beau sujet de réflexion pour les politologues. Mais sur le plan culturel, la Flandre est de loin plus progressiste. Ce n’est pas par hasard que l’action [de Loft] se déroule à Anvers, aux yeux des francophones une ville réactionnaire à la limite du fascisme. Naturellement, la ville portuaire connaît de graves problèmes et des situations inacceptables. Mais Anvers est dans le domaine culturel sans doute la ville la plus dynamique de la Belgique. Que savent les Wallons du Singel, de la Nuit des Musées, de l'architecture moderne anversoise ou de Tom Lanoye ? Rien. "Few places offer such an appealing mix of classic and modern features" déclare le guide "Lonely Planet" qui classe Anvers dans le "top ten" de ses villes préférées. En Wallonie, Anvers est toujours associée à Filip Dewinter et au Zoo.

La culture est la première compétence nationale qui a été scindée. À la demande des Flamands, d'ailleurs. Vous souvenez-vous encore des Conseils Culturels, les ancêtres des parlements de nos actuelles Communautés ? Dans le contexte belge de l'époque cette décision était sans doute compréhensible. Mais un pays où la culture est divisée n'a pas d'avenir. Peut-être était-ce justement cela le but ? En tout cas, je maintiens mon point de vue : les francophones doivent aller voir Loft. Pour cela, il faudrait que le film soit montré dans la Wallonie entière et pas seulement à Bruxelles. Mais cela ne suffit pas. Même dans la capitale, peu de francophones ont vu le film.

Ce film-ci devrait être doublé. Non pas parce qu’il s’agit d’une production en néerlandais. Dans les zones linguistiques où le doublage est rentable, le public donne toujours la préférence à la version doublée. Mais il doit être parfaitement doublé : les tentatives de doublage bon marché de séries télévisées flamandes ont fait un flop en Wallonie. Ajoutons encore ceci: les films wallons eux-mêmes remportent le plus souvent très peu de succès chez nous. Par manque de talent ? Non bien sûr! Car ils sont déconnectés du grand public ? Cela a peut-être été le cas jadis mais la situation est en train de changer. En témoigne le dernier film wallon, Les Deux Chaines, réalisé par Frédéric Ledoux, par ailleurs producteur de programmes télévisés très réussis. Que nous manque-t-il donc alors ? Réfléchissons un instant. Pourquoi les films des Frères Dardenne ont-ils autant de succès ? Parce qu’ils ont d’abord été reconnus à l’étranger. Pour attirer les spectateurs de Mons ou de Namur, il faut d’abord passer par Cannes. Et décrocher la Palme d’or ! Cela en dit long sur le lancinant manque de confiance en soi des Wallons.

Donc, chers Erik et Bart, un bon conseil. Faite doubler Loft, essayer de trouver un distributeur en France, faite savoir via les médias que le film a du succès à Paris et vous pourrez le lancer en Wallonie en toute tranquillité.

Alain Gerlache
http://www.alaingerlache.be/
(traduction St.D.)

mardi 2 décembre 2008

L'orphisme : une religion du salut dans la Grèce antique

L'idée que les Grecs de l'Antiquité se font de la mort est sombre et pessimiste. Dans sa destinée postmortem, l'âme du défunt rejoint les profondeurs de l'Erèbe, elle végète, fantomatique, sans conscience de son ancienne destinée, et ne vaut guère plus que le pâle reflet d'un homme dans un lac. Tout aussi dévalorisante pour les hommes semble leur rapport aux Dieux, marqué, selon la doctrine officielle, par une infranchissable distance, une subordination aveugle dont le moindre écart donne lieu aux châtiments des grandes tragédies. Sur terre comme au ciel, il n'y a point de salut pour la condition humaine. Cette vision pessimiste a inévitablement favorisé l'émergence de courants spirituels alternatifs préoccupés, six siècles avant la naissance du Christianisme, par le salut des hommes : les religions à mystères (à commencer par ceux d'Eleusis) et les cultes orphiques en font partie.

Dans son excellente étude “Orphée et l'orphisme” (P.U.F.), Reynal Sorel livre une synthèse captivante de ce second courant. Il se penche sur des sources souvent tardives (certaines datent du IIe siècle de notre ère), complétées par la découverte récente de textes inscrits sur des lamelles en or que les archéologues ont retrouvés dans des tombeaux, aux mains de défunts.

A l'inverse de la pensée religieuse dominante, la "secte" orphique considère que l'homme a une parcelle de divin en lui : il est à la fois une émanation de Dionysos et des Titans. Le Dionysos des orphiques n'a rien avoir avec le dieu du vin et du théâtre engendré par Sémélé. Il s'agit d'une divinité conçue par Zeus avec sa fille Perséphone, gardienne des enfers. Ce Dionysos alternatif est tué et dévoré par les Titans (des entités immortelles apparues aux premiers temps de la création) qui, à leur tour foudroyés par la colère de Zeus, se transforment en émanations de fumée. Cette fumée finit par se consolider et donne naissance à l'homme.

Affligée par la mort de Dionysos, Perséphone fait appel à Orphée pour ramener son fils à la vie, car lui seul, pour avoir tenté de libérer Eurydice des enfers, connaît les secrets des enfers et la bonne marche à suivre pour guider les hommes vers le séjour des bienheureux, leur permettre de s'assimiler au divin et les empêcher d'errer dans l'Hadès comme de vulgaires ombres inconsistantes privées de sens et de mémoire. L'âme du défunt non initié est impure, elle doit continuer à se réincarner, sous forme animale, végétale ou humaine jusqu'à ce qu'elle soit mise en contact avec les mystères orphiques qui l'aideront à former un tout avec les Dieux.

Une des grandes leçons de la tradition orphique est de considérer que l'âme de l'homme est immortelle quand bien même, au départ, elle entachée par la souillure des Titans. Le salut (c'est-à-dire l'assimilation au divin dans le royaume des morts) s'obtient par la pratique de la purification, autrement dit par diverses ascèses quotidiennes qui font partie intégrante de l'initiation orphique. Parmi celles-ci, le refus des meurtres, du suicide ou des sacrifices animaliers (réminiscence pour Perséphone de la mort de son fils), le végétarisme (qui découle du renoncement aux sacrifices) ou encore l'interdiction d'inhumer les cadavres dans un linceul de laine, fibre d'origine animale...

Précaution ultime, l'initié doit être enterré avec des textes (les fameuses tablettes en or retrouvées dans les tombes) qui rappelleront le chemin à suivre pour accéder au salut : il s'agit pour lui de prendre, une fois arrivé aux enfers, la route de droite qui mène aux eaux de Mnémosyne (la mémoire) où il s'abreuvera en récitant la formule "Je suis desséché de soif et je meurs". Il pourra ainsi se souvenir de sa vie terrestre et rompre le cycle des réincarnations. Sans ces tablettes, le mort partira sur la gauche, boira les eaux du Lethé (l'oubli) et sera condamné à renaître une fois encore. Ces tablettes permettent enfin de réciter à les formules consacrées à
Perséphone pour que l'âme renoue éternellement avec sa part de divinité : "Je suis fils de la terre et du ciel étoilé" : "Pure, je viens d'entre les purs, ô reine des enfers" ; "Je me suis envolé du cycle insupportable des douleurs [celui de la métempsychose vécue comme une condamnation].

Les premiers chrétiens savent, qu'à l'instar du Christ, Orphée assure aux défunts une immortalité bienheureuse, raison pour laquelle les deux personnages sont véritablement confondus dans les catacombes : Jésus est figuré sous les traits d'un berger (parfois muni d'une lyre). Une assimilation bien utile au temps des premiers martyrs (tout chrétien infiltré peut se revendiquer ainsi du paganisme orphique) mais surtout une reconnaissance de cette filiation commune dans la quête d'un au-delà salvateur.


lundi 24 novembre 2008

Thessaloniki mou glykia

Thessaloniki, Salonique, Selanik, Solûn... Que d'appellations pour cette métropole macédonienne fondée par Cassandre, un des beaux-frères d’Alexandre le Grand. Autant de noms qu’il y eut de peuples pour la convoiter par les armes ou se la partager pacifiquement. Possession romaine, cœur économique de l'empire byzantin, centre de l’orthodoxie, haut lieu de la culture séfarade, place-forte vénitienne, dépendance ottomane, possession bulgare, Salonique garde aujourd’hui encore les traces de ces strates culturelles malgré un tissu urbain affreusement grignoté par le béton. Les classiques de la chanson grecque louent sa beauté (« Omorphi Thessaloniki », « Thessaloniki mou glykia ») ; on appréciera tout au plus le charme de sa Tour blanche, symbole de la ville, et son animation vertigineuse aux heures les plus avancées de la nuit, statut de noctambule que ses citoyens revendiquent avec une certaine fierté et qui n’a pas d’équivalent dans le pays.

Pour ma part, je préfère les matinées de Salonique qui sont comme les brumes d’un demi-sommeil. Les rues, transformées en havre de tranquillité nous font sentir plus léger, seule le militantisme séculaire de l’église orthodoxe, au garde à vous dès l’aube, structure quelque peu cette tranche de la journée lymphatique et, pour certains, inutile. Dans la vieille ville, malgré le grand incendie de 1917 qui ravagea deux tiers de sa surface, on découvre les bastions de l'orthodoxie à travers pas moins d'une trentaine de belles églises byzantines aux plans et aux décors des plus imaginatifs (les Saints-Apôtre, Sainte-Catherine, Saint-Dimitri, Saint-David, l’Acheiropteros, Saint-Nicolas Orphanos, Sainte-Sophie). Chacune s’anime de la procession des veuves noires coiffées de l’indéfectible fichu, du ballet des vieillards tenant d’une main leur canne (le « bastouni ») et de l’autre le « komboloï » (chapelet aux perles d’ambre). Tous recouvrent de leurs baisers pieux les icônes impassibles des narthex et des iconostases, à la lueur de centaines de cierges qui mêlent leurs fumées délicates aux vapeurs du plus capiteux des encens.

Proximité du Mont Athos oblige, les Thessaloniciens sont dans l’ensemble incroyablement plus bigots et religieux qu’ailleurs : ils se signent en rue, à table, en voiture, en bus, au musée, ils multiplient ces simagrées devant le porche de chaque église, invoquent une dizaine de saints par jour et font les choux gras des marchands d’icônes, des vendeurs de bougies et des librairies religieuses. Conséquence indirecte de cette implantation religieuse, les monuments ottomans (quelques superbes mosquées et d’imposants hammams), conçus entre 1430 et 1912 lorsque Thessalonique était aux mains des Turcs et portait le nom de Selanik (appellation qu’il vaut mieux éviter avec les Grecs), souffrent d’un inexplicable désintérêt : ils sont pour la plupart laissés à l’abandon, rarement restaurés, plus rarement encore utilisés comme centres d’exposition ou surface commerciale. Il ne peut s’agir que d’indifférence puisqu’il y n’a plus d’hostilité depuis longtemps à l’encontre des Turcs. Les Thessaloniciens d'aujourd'hui n’hésitent pas à rappeler par exemple qu’Atatürk est né dans leur ville, dans une jolie bâtisse intégrée aujourd’hui au consulat de Turquie et qu’on peut visiter en toute facilité.

Lorsque, à la mi-journée, le brouhaha des voitures envahit la ville basse (un quadrilatère de larges avenues commerciales qui jouxtent le front de mer), il faut interrompre le parcours des églises ou la promenade à travers les vestiges romains et le Mausolée de Galère pour se réfugier dans le somptueux musée d'art byzantin (l'un des plus riches et de plus beaux musée au monde) à moins, si le temps le permet, d'aller se perdre dans la ville haute, au tracé plus chaotique. Le parcours de l' « ano poli » fut pour moi l’occasion de retrouver la maison d’enfance de ma mère, rue Raktivan, à côté de la préfecture (l'imposant « dikitirio »), dans un quartier pauvre qui vit débarquer des milliers de Grecs de Smyrne et d’ailleurs échangés contre les Turcs de Grèce lors de la « Grande Catastrophe » de 1922.

Non loin de là, dans une solitude délectable, on parcourt d'étroites ruelles montantes, pavées à l’ancienne et parsemées d'anciennes demeures ottomanes aux balcons en bois décrépits, on croise pour seuls passants quelques chats faméliques qui vous scrutent avec indifférence, avant d'arriver à l'acropole, troisième pallier de la ville, jusqu'à la forteresse aux sept tours, l'heptapyrgion ("yedi kule" en turc, appellation évoquée dans de nombreuses chansons), un ancien fort tombé en désuétude qui fut, jusqu'en 1989, la prison principale de la ville. De la forteresse, on aperçoit le tracé des antiques murailles et surtout ces nombreuses collines noircies par une marée d’habitations à perte de vue qui donnent le vertige.


La nuit, les autochtones se retrouvent dans les restaurants et cafés branchés du front de mer, déambulent près de l’arcade de Galère, des « ladadakia » (anciens comptoirs d’huile – « ladi » - transformés en tavernes) ou sur l'immense Platia Aristotelous (Place Aristote), magnifique ensemble néoclassique qui accueille à la mi-novembre, le 49e Festival du film de Salonique (j'ai eu la chance d'y rencontrer un des Dardenne présent dans la ville pour la sortie grecque du Silence de Lorna). Curiosité gastronomique oblige, il ne faut pas manquer de déguster les copieux « bougatza », pâtes feuilletées locales farcies à la viande, au fromage ou à la crème anglaise et de siroter le « salepi », une délicieuse boisson chaude, à la texture visqueuse, légèrement sucrée et délicatement parfumée à la fleur d’orchidée, au girofle ou à la cannelle. Enfin, une soirée réussie se termine dans les tavernes enfumées du vieux marché, où l’on s’enivre aux sons de vieux « rebetika » indémodables, un verre de ouzo à la main.

samedi 8 novembre 2008

Qalb Lozé, Qirqbizé et Antioche

Si mon tempérament citadin se satisfait de l'agitation urbaine, j'avoue avoir aussi un faible pour l'arrière-pays alépin. Sa nature exceptionnelle, caillouteuse et vallonnée, teintée du rouge sang de sa terre ferrugineuse, est ombragée par une infinité d'oliviers ravissants qui font la fierté de la nation. La région est parsemée de centaines de "villes mortes", des villages byzantins conçus entre le Ve et le XIIe siècle et mystérieusement désertés en plein Moyen-Âge, qui livrent des architectures de pierre fascinantes. J'ai eu l'occasion de retrouver Qalb Lozé (littéralement le "cœur de l'amande"), siège de la première église chrétienne de Syrie, une magnifique basilique à trois nefs perdue dans les montagnes et décorées de moulures florales d'une finesse exquise). Le lieu, d'une tranquilité inouïe s'anime lorsqu'un étranger s'y arrête. Des dizaines d'enfants druzes sortent alors de je ne sais où pour quémander tantôt un stylo, tantôt des bonbons ou quelque sou encore.

A deux pas de Qalb Lozé, mon taxi nous arrête au village-fantôme de Qirqbizé dont l'église du IVe siècle est remarquablement conservée. Au loin une nature vaste et silencieuse qui porte le regard vers la Turquie. Celle-ci est est d'ailleurs à notre programme, nous partons une journée durant voir Antioche (un vieux rêve), ville mythique à 105 km de Alep (il faut compter trois heures pour y arriver), qui s'avère tout de même un rien décevante, traversée par un Oronte pollué et transformée en bourgade moderne sans grand charme. Qu'à cela ne tienne, nous sommes contents de pouvoir parler en turc (privilège qu'Alep accorde également) et de faire un détour par le très riche musée des mosaïques romaines (principalement des pièces du IIe au Ve siècle PCN) comme par la Sampiere Kilisse (l'église de Saint-Pierre), le tout premier édifice religieux de la chrétienté, creusé dans une paroi montagneuse à l'abri des regards. Sans avoir la foi, on ne peut que vibrer à l'intérieur de cette caverne verdâtres, couverte de mousses, d'un pavement de mosaïques fortement endommagées et d'un autel de pierre où sont gravés l'Alpha et l'Oméga.

Après plusieurs jours de visites intenses, je rentre émerveillé par tant de beautés et par des rencontres d'une inoubliable humanité, prêt toutefois à boucler mes bagages pour un imminent départ à Salonique, à la découverte de la Macédoine et des lieux qui ont bercé l'enfance de ma mère.

dimanche 2 novembre 2008

Alep la magnifique

Je quitte Damas avec une légère tristesse que le torrent de l'agitation alépine va tôt faire de dissiper. La ville extraordinairement cosmopolite est un îlot de tolérance raciale et religieuse. Toutes les confessions cohabitent dans une parfaite harmonie, on a un plaisir fou à passer des temples maronites aux églises grecques - catholiques ou orthodoxes - en passant par la vieille synagogue, les lieux de culte des communautés syriaques et, bien sûr, les innombrables monuments érigés par l'islam. Alep peut s'enorgueillir de posséder l'un des plus formidables quartiers arméniens du monde, celui de Jdaydah, cœur économique de la ville, où l'on peut voir aussi les plus belles habitations traditionnelles du coin.

Les journées à Alep sont longues et intenses. En compagnie de Colette, j'ai pris un certain plaisir à revisiter la Citadelle dont les remparts millénaires offrent une vue imprenable sur la métropole, à rêver au Musée archéologique toujours aussi figé dans une muséologie antédiluvienne que ne méritent pas les innombrables trésors de Mari, d'Ebla, d'Ougarit ou de Tell Halaf. J'ai exploré des heures le dédale des souks pluricentenaires à la recherche du plus précieux des savons de la ville (estampillé aux huit étoiles), visité dans ses moindres recoins le site protégé du vieil Alep, riche de belles medresas en pierre blanche, de bimaristanes magnifiques (ces hôpitaux psychiatriques où les médecins du Moyen-Âge soignaient la folie des patients aux sons des instruments de musique et du murmure des fontaines), de savonneries gigantesques où l'on s'immisce clandestinement sous le regard bienveillant des ouvriers du coin, de caravansérails désordonnés dont l'activité incessante remonte à la nuit des temps. Je n'ai pu manquer de faire un crochet par le quartier des artisans, au Nord de la Citadelle, où des centaines d'ouvriers, pratiquent, pignon sur rue, avec une fierté rare et une dignité admirable, des métiers dont on a oublié ailleurs l'existence ou de visiter enfin (merci Madeleine), après m'être péniblement rendu dans un quartier populaire totalement inconnu et infréquentable!, la sublime mosquée "Al Fardous" (littéralement "du paradis") qui séduit par son iwan gigantesque et ses colonnes en pierre rose dont les subtilités chromatiques gagnent à être vues au coucher du soleil.

Alep est une ville d'art exceptionnelle. C'est aussi une cité gastronomique qui impose au voyageur gourmand ses rituels particuliers : il s'agit notamment de ne pas manquer à midi les gargotes populaires qui servent de succulents plats en sauce accompagnés de blé concassé (on y mange avec les doigts!). L'après-midi, on déguste de délicieux jus de kakis, de grenades, d'oranges ou de mûres introuvables ailleurs. Le soir, on succombe au raffinement des grandes tables du quartier arménien : installés dans un cadre magique, les restaurants Sisi, Wakil ou Yasmeen proposent depuis des décennies leurs mets exceptionnels que l'on déguste aux sons live du luth alépin : il ne faut manquer pour rien au monde la purée d'aubergines parfumée au jus de grenade, la cervelle d'agneau au citron, le homos nappé à l'huile d'olive et décoré de carrés de viande, les böreks au soudjouk (salami) piquant, les köftas à la menthe, la purée d'ail, les feuilles de vigne farcies au riz et raisins secs, le fromage kurde cuit au four, les taboulés rafraîchissants copieusement garnis de persil, les boulettes de viande marinées dans une sauce à la cerise (la spécialité de la ville). Mes soirées se terminent généralement, un verre d'arak à la main, au bar du mythique hôtel Baron, établissement construit en 1911 par une ancienne famille arménienne, qui peut se targuer d'avoir reçu Agatha Christie (elle y a écrit Meurtre en Mésopotamie), Lawrence d'Arabie, Charles Lindbergh, Charles De Gaulle et tant d'autres. Le Baron est mon indéfectible point de chute dans la ville, j'aime me mêler à sa clientèle cosmopolite et cultivée qui envahit les salons élégants de l'hôtel en fin de soirée, j'aime encore bavarder avec l'adorable "Madame Lucine" ou avec l'inimitable "Monsieur Walid", véritable maître des lieux, qui propose à longueur de journée ses mille et une roublardises aux clients à moins qu'il ne corrige vos rudiments d'arabe. A la tombée de la nuit, la terrasse du Baron est un coin de lecture unique pour se replonger avec ferveur dans les vies des anachorètes syriens magnifiquement contées par Jacques Lacarrière.

lundi 27 octobre 2008

Sur les traces de Paul à Damas

J'entame déjà mon troisième voyage en Syrie, pays qui, contre toute attente, devient une nouvelle patrie adoptive. Le voyage s'effectue par la Turquie, l'escale à Istanbul permet de mesurer tout le dynamisme économique déployé pour se rapprocher de l'Europe (les prix ne sont affichés qu'en euro!), la modernité et les normes dignes des plus grands aéroports internationaux impressionnent.

A peine ai-je le temps d'atterrir à Alep, de poser mes bagages au Baron, de dormir trois petites heures d'un sommeil tout agité que je file dès l'aurore à Damas par le premier train. Si je ne le fais pas illico, il s'avèrera impensable d'entreprendre ce voyage plus tard : Alep exerce un tel pouvoir d'attraction qu'il est pratiquement impossible de s'en défaire après les premières heures à son contact.

A mon arrivée, les rythmes de l'Orient reprennent le dessus. Tout est fluctuant, imprécis, désorganisé, irrationnel. Il faut éviter de poser des questions claires en matière d'horaires, de distances, de parcours - on obtient autant de réponses que l'on a d'interlocuteurs - et d'apprendre à se dire que les choses adviendront lorsqu'elles devront arriver. Il faut encore oublier de remonter son horloge biologique d'homme occidental, infiniment précise et calibrée, et se laisser couler dans une insouciante nonchalance dictée par on ne sait qu'elle Providence qui a prévu d'avance le cours de nos agissements. Nul homme n'a de pouvoirs sur le fil de sa destinée, chacun subit, sans imaginer une seconde mettre en branle l'orgueilleuse machine de son hybris (la "démesure" des héros de la Grèce antique). Tout se vit dans une soumission sereine qui n'a rien de passif pour autant. Les choses étant écrites d'avance, l'Oriental se lance à bras le corps dans ce qu'il doit accomplir, dans un mélange subtil d'imprudence et de virtuosité. Il suffit d'observer les chauffeurs de car pour s'en convaincre. Protégés comme il se doit par les bons soins de la divinité, ils font montre d'une conduite qui tient autant de l'inconscience meurtrière que du génie automobile. Après avoir pris le thé à l'invitation de quelques employés de la gare d'Alep, je monte dans le train pour Damas, d'une irréprochable propreté. Il avance avec lenteur et traverse des paysages désertiques interrompus par de rares villages misérables dont les maisons, des carcasses de pierre complètement ruinées, laissent difficilement imaginer que des familles entières vivent là. Le train fait un dernier arrêt à Dmair, ville endormie sur le chemin de Palmyre où j'ai pu admirer jadis le mieux conservé des temples gréco-romains et ses nombreuses ruelles étouffantes aux maisons de fortune.

Au terme de ce vagabondage ferroviaire qui aura duré des heures, Damas s'offre à la vue dans toute son orgueilleuse splendeur. L'incroyable esplanade des Omeyyades et sa belle cour dallée de marbre blanc qui combine le jeu des pleins et des vides à en donner le vertige, justifie à elle seule ce périple irréaliste. Comment ne pas connaître l'ivresse lorsqu'on contemple les innombrables mosaïques du lieu, dont la végétation luxuriante offre un avant-goût du Paradis?

Surpeuplée, Damas n'a rien perdu de son agitation. Pour ma part, je préfère la sérénité du chemin de saint Paul dont je poursuis l'itinéraire jusqu'à la tombée du jour. Lorsqu'il fait nuit, les ruelles du vieux Damas sont méconnaissables, en particulier la grande artère du Souk Hamidiyeh. Vidée de ses foules d'acheteurs et de marchands, traversée par de rares taxis (chose impossible en journée), elle révèle avec force la suprême grandeur de sa toiture en tôle ondulée, une vaste courbe de plusieurs centaines de mètres de long criblée du trou des tirs de l'armée arabe. Pour peu qu'un rayon de lune soit au rendez-vous, chacune des perforations donne à cette couverture au galbe puissant l'aspect d'une voûte remplie d'étoiles.

Non loin de là, je retrouve les jardins de l'ancienne gare de Hedjaz, transformé en une impressionnante "taverne" où je m'arrête pour fumer un délicieux narghilé parfumé à la pomme, entouré par des centaines d'hommes qui sirotent leur thé, jouent aux cartes, entament des parties de tavla (le tric-trac local), grignotent des fruits secs grillés qui ressemblent à des graines de café aplaties, se font servir d'énormes "crêpes" fourrées à la banane, aux amandes et au chocolat, à la lueur de néons obliques alignés avec une extrême précision au point d'avoir l'aspect incongru d'une installation de Dan Flavin. Ce lieu enfumé et bruyant ainsi que les ruelles calmes parcourues un peu plus tôt sont la cause d'un bonheur pur et absolu que l'on connaît rarement au cours d'une vie.

lundi 20 octobre 2008

Cenerentola au TRM : la montagne qui accouche de souris



Lorsqu'une maison d'opéra comme le Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles programme La Cenerentola de Rossini, une double ivresse se fait attendre : celle de voir un spectacle débridé qui en jette par sa féerie, celle d'entendre le plus euphorisant des opéras servi sur un plateau (musical) d'argent. Une double promesse que ni la mise en scène du Catalan Joan Font ni la conception musicale problématique de Marc Minkowski, dont c’est le premier Rossini à la scène, n'auront tenue.


A vrai dire, rarement le TRM, qui aime pourtant les degrés de lecture multiples (en particulier dans les opéras à lisibilité complexe), n’aura présenté une vision aussi ordinaire et basique d’un conte pourtant connu de tous. Deux optiques sont salutaires aujourd’hui pour monter La Cenerentola : on peut soit concevoir l’histoire comme un drame réaliste sur fond de misère et de discrimination sociale ; soit au contraire jouer la carte de la magie et de l’enchantement, à l’aide de décors chatoyants, de costumes précieux et d’une assistance technologique poussée qui culminerait au moment où le mage Alidoro permet à Cendrillon d’aller au bal.


A part les éclairages très réussis du château et deux ou trois gags plutôt réduits, on ne trouve rien de tout cela chez Joan Font qui préfère se complaire dans le vieil esprit de la farce : il traite ses personnages en marionnettes, les affuble de costumes caricaturaux taillés dans le tissu d’anciennes arlequinades, il force le trait comique là où livret et musique sont suffisamment explicites pour éviter ces redondances éculées qui ont fait les beaux jours des petits théâtres d’Italie. Sentant que ses jeux de scène se perdent dans le grand vide du foyer de Don Magnifico, Font comble l’ennui visuel à l’aide de gentilles souris géantes qui observent le plus souvent l’action, à moins qu’elles ne servent au passage d’accessoiristes. Ont-elles un sens symbolique ? Sont-elles la matérialisation de l’humilité de Cendrillon, discrète et mesurée dans tous les contextes sociaux ? On en sait trop rien ! Leur utilité dramaturgique est à peu près comparable à celles des textos de spectateurs qui défilent inlassablement sur les clips de MTV.


Marc Minkowski - que l’on a connu plus en forme - peine dans le premier acte : ses troupes manquent de cohésion, il laisse tonitruer les vents (le pompon revient au piccolo aussi puissant que cinq chanteurs réunis !) et souffre surtout d’une incompréhension évidente de la forme musicale. En réalité, on sent clairement que Minkowski ne parvient pas à structurer les airs et les scènes d’ensemble, conçus sur le modèle quadripartite du pezzo chiuso - introduzione, cavatina, tempo di mezzo, cabaletta - en vigueur dans toute la première moitié du XIXe siècle en Italie. Les introductions sont statiques, les cavatines (et plus particulièrement les passages où l’action est totalement suspendue) sont étirées à outrance (cela peut fonctionner dans Mozart, mais pas avec Rossini), le tempo di mezzo oublie de rallumer ses phares, les cabalettes enfin pétaradent, trop vite et un peu tard pour être crédibles, sans que le chef ne parvienne à doser l’alchimie rythmique du crescendo. Privées de ces accélérations infinitésimales qui enfièvrent les sens jusqu’à l’hystérie, les fins d’arias ou de scènes versent rapidement dans la monotonie. Plus resserrée et fluide dans le deuxième acte, la musique s’emballe un peu plus sans convaincre pour autant.


Du côté des chanteurs, assez inégaux pour la plupart, on oubliera le Don Magnifico fade de Donato di Stefano, l’Alidoro court et nasal d’Ugo Guagliardo (il ne suffit pas d’être habillé comme Sarastro, il faut encore en avoir la profondeur vocale), les Clorinda et Tisbe monochromes des sœurs Milanesi (non, elles ne sortent pas d’un roman de Stendhal) pour retenir en tout premier lieu le Ramiro exceptionnel du Mexicain Javier Camarena, l’une des plus belles voix de ténor du moment, qui allie une rare suavité belcantiste à une puissance fébrile et radieuse et un charisme éblouissant. La mezzo espagnole Silvia Tro Santafé a énormément de noblesse dans le rôle-titre (et la petite touche de la froideur qui sied à sa future fonction royale) ; son timbre pur et profond (proche de celui d’Agnès Baltsa) et sa finesse musicale surmontent les moindres pièges de la technique colorature, son jeu sobre est touchant et humain à la fois. Lorsqu’il se cantonne au registre de la pantalonnade, le baryton belge Lionel Lhote se révèle admirable de naturel et d’intelligence, servi par des moyens d’une facilité déconcertante (il déjoue à merveille tous les pièges de Rossini) et par une voix splendide dont le grain est parfait pour le rôle de Dandini. Chapeau enfin aux choristes de la Monnaie dont on saluera l’énergie, les couleurs variées et l’impeccable diction.


lundi 13 octobre 2008

Salomé débarque à Kinepolis

Marathon culturel ce week-end à Liège entre la belle exposition Gustave Serrurier-Bovy au Musée d'Art Moderne (l'un des pionniers du designer industriel), les concerts de l'OPL (interprétation et programme magnifiques vendredi soir), les interviews de deux compositeurs élèves dans la classe de Michel Fourgon (Delphine Derochette et Jonathan Aussems dont l'OPL a créé la première œuvre pour orchestre), la Salomé du Metropolitan de New York (en direct à Kinepolis), la Biennale liégeoise du design éclatée avec plus ou moins de bonheur dans une multitude de lieux (on retiendra néanmoins le travail de l'atelier "Anverre" au Musée d'Ansembourg, de superbes vases et verres magnifiés par les installations florales de Daniel Ost), avec un constat général : la jeune génération de designers et compositeurs liégeois a trop les yeux rivés vers le passé, il lui manque l'audace, la provocation, la fantaisie et un détachement certain à l'égard du public pour parvenir à imaginer des créations nouvelles et fortes.

Contre toute attente, l'expérience la plus novatrice aura été la transmission en direct de New York. Non que la mise en scène de Jürge Flimm (datée de 2004) et l'interprétation musicale fussent d'une qualité suprême, mais les conditions de représentations offrent un potentiel inédit.

Transposé dans la Judée contemporaine, le palais d'Hérode évoque par son clinquant vulgaire les hôtels pour nouveaux riches du Proche-Orient de l'an 2000 (une incommensurable insulte au raffinement oriental). La cour du Tétrarque est une jet set contemporaine en tenue de soirée, décadente par son luxe tapageur, méprisable par sa nonchalance superficielle, elle se partage entre l'ennui de vivre et l'ivresse éthylique. Si la concrétisation matérielle de cet univers est plastiquement laide et vulgaire (terrasse en plexiglas et escalier tubulaire en inox obligent), si les anges de la mort gagneraient plus à être évoqués par l'imagination que matérialisés par les faits, le parti pris de l'actualisation tient la route.

On ne peut en dire autant de la direction de Patrick Summers. Ni haletante ni vénéneuse, sa conception a laissé le minimum de sensualité vital au vestiaire, faisant presque oublier que Salomé est une formidable leçon d'orchestration. S'ajoutent à la déception le Jochanaan épais de Juha Uusitalo dont l'intonation trop basse est un supplice bien pire que sa décollation, l'Hérode vocalement fatigué et court de Kim Begley, et dans une moindre mesure la Salomé de Karita Mattila qui n'a ni la voix et ni le physique du rôle (on la prendrait pour la mère d'Hérodiade) mais qui parvient, le choc du premier quart d'heure de rides passé, à envoûter par son jeu scénique et son extraordinaire don de soi.

Toutes ces "scories" sont pourtant balayées par la grande triomphatrice de la soirée : la diffusion d'un opéra en direct dans une salle de cinéma. A l'inverse d'une transmission à la télé ou d'une projection en DVD, l'expérience est complètement différente : l'écran géant redimensionne la scène à sa juste mesure, les personnages évoluent dans un espace enfin plausible et supportable à l'œil, les gros plans décuplent la moindre expression et le moindre jeu des acteurs, étonnement développés pour la cause (une des raisons qui rendent Karita Mattila, malgré ses défauts, exceptionnelles). La mise en image ultra soignée permet des plans quasi cinématographiques, les points de vue multiples réalisés par une foule de micro-caméras, les angles inédits, les perspectives nouvelles cassent l'axe frontal traditionnel, créant une dynamique supplémentaire qui, dans les moments cruciaux, tient en haleine. L'effet est sidérant!

La qualité sonore ne manque pas d'attraits. Diffusée en haute définition, la musique enveloppe le spectateur dans un bain de sons puissants et vibrants irréalisables au moyen d'un home cinéma. Certes, pour un amateur d'opéra la perception de l'orchestre est déroutante, la spatialisation des instruments est gommée au profit d'un son plus compact et global, qui ne tient pas nécessairement compte des équilibres réels, les acteurs chantent au même volume au centre de l'image acoustique, mais l'on s'habitue très vite à ces conditions. Le résultat, proche de la perception acoustique de toute musique de film, reste cent fois supérieur à l'écoute en salle d'un mauvais orchestre de fosse dans un médiocre opéra de province. Enfin, la magie du direct est aussi incomparablement plus forte au cinéma qu'à la télévision et on frémit à la vue de Mattila interviewée devant sa loge, rejoignant avec angoisse la scène, embrassant avec chaleur ses collègues de plateau à quelques secondes du lever de rideau. Les applaudissement de ce cher public new-yorkais sont plus réels que nature, ils résonnent autour de nous et donnent l'illusion, le temps d'un instant, d'être avec lui à Manhattan. Là encore des sensations inédites impossibles avec la télévision.

Cette projection de Salomé est une première pour le Kinepolis de Liège (comme pour celui de Waterloo-Braine, Bruxelles a déjà inauguré l'expérience la saison dernière). Une dizaine d'opéras (et non des moindres) sera proposée au cours de la saison, à commencer par Doctor Atomic de John Adams le 8 novembre prochain. Sans nécessairement chercher à démocratiser l'opéra, l'institution vise incontestablement une nouvelle clientèle et mise sur une certaine forme de prestige : le spectateur reçoit une coupe de champagne en arrivant, le synopsis (en anglais) est distribué, le personnel est aux petits soins.

La nouveauté du concept et le coût élevé de la projection (le double d'une place de cinéma) n'ont rassemblé samedi soir qu'une vingtaine de spectateurs parmi lesquelles le directeur de l'Opéra Royal de Wallonie dont on se demande s'il aura vécu l'événement comme de la concurrence ou, au contraire, comme une formidable opportunité de synergie entre les deux institutions. Comment ne pas espérer en effet que les maisons d'opéra s'approprient dans un futur proche le projet, qu'elles dotent leurs salles d'écrans géants et de technologies sonores avancées, qu'elles complètent leur saison par des projections venues des quatre coins de la planète, qu'elles constituent des réseaux de coproductions ciné-opératiques. Ce serait aussi une incroyable opportunité pour des festivals élitistes comme Bayreuth, Salzbourg, Glyndebourne ou Aix d'être mis à la portée de tous. Tout cela annonce incontestablement le début d'une ère nouvelle pour l'histoire des maisons d'opéra...

www.metopera.org/hdLive

lundi 6 octobre 2008

Madeleine, Abdallah et les monuments d'Alep

Dans quelques jours, j'entamerai mon troisième voyage à Alep avec mon amie Colette. Pestant à l'idée de ne trouver en langue française aucun guide spécialisé sur les ruelles et les souks de la vieille ville, je suis tombé des nues cette semaine lorsque en trouvant sur mon bureau un magnifique ouvrage intitulé Monuments historiques d'Alep d'Abdallah Hadjar, traduit par Madeleine Trokay, une amie archéologue liégeoise, spécialiste de la Syrie du haut de ses 86 ans (et fan de l'OPL). Cet opuscule, apporté à l'Orchestre par la traductrice en personne, me touche à plus d'un titre. Madeleine fréquente la Syrie depuis la fin des années 60, à la demande du professeur André Finet (Université Libre de Bruxelles) qui l'invita à participer à la mission archéologique sur le site de Tell Kannâs.

C'est à ses côtés et en compagnie de Colette (déjà!) et de Pascale (une amie française rencontrée quelques années plus tôt en Turquie) que j'ai découvert le Nord de la Syrie au cours de l'été 1996 ; je revenais d'un long périple solitaire en Jordanie qui avait pris fin à Pétra, j'avais fait escale dans la vilaine Amman pour prendre un taxi en direction de Damas. Passé la frontière, après seulement une heure de contrôle du véhicule et des bagages, j'arrivai dans le chaos déplaisant de Damas en pleine heure de pointe. Je pris un bus d'un autre âge qui traversa des villages poussiéreux peuplés d'enfants loqueteux aux cheveux en bataille, des hameaux vétustes et des bastions d'intégrisme gardés par des barbus à l'œil noir, des routes désertiques dont les silences inquiétants laissaient présager je ne sais quelle catastrophe. Rien ne donnait envie de s'arrêter, de rester, de prolonger un voyage déjà trop long. Le coup de blues, amplifié par une longue fatigue, ne fit qu'accentuer un sentiment d'hostilité à l'égard de ce nouveau pays. Et puis, après ces quelques heures de méfiance inopportune et d'inquiétude malvenue ce fut, à la tombée de la nuit, la révélation : une des plus belles métropoles de l'Orient s'offrait tout à coup en spectacle, avec toute la générosité, l'élégance et le raffinement des centres cosmopolites qui jalonnent la Route de la soie. Autant Damas, en raison de son statut de ville sainte, m'était apparue inhospitalière et fermée aux étrangers (impression démentie lors d'un nouveau voyage, l'an dernier), autant Alep, de par ses racines marchandes, cultivait le brassage ethnique et religieux dans un esprit de cohabitation qui me parut exemplaire. Je m'y suis senti immédiatement chez moi, sentiment amplifié par le bonheur d'y retrouver mes amies à la terrasse de l'élégant hôtel Baron, animée par les sons envoûtants du luth aleppin...

Encore fallait-il y faire le "tour du propriétaire"... Madeleine, épaulée par son vieux complice de toujours, Abdallah Hadjar, un ingénieur civil chrétien reconverti dans l'archéologie qui peut se targuer d'être la plus grande autorité nationale dans la connaissance patrimoniale de la Syrie du Nord, nous fit découvrir les trésors cachés de la région : outre Alep, il y avait Ebla et sa "bibliothèque cunéiforme", Saint-Siméon et son indécrottable stylite, Maaret-an-Nouman et ses mosaïques virtuoses, Cyrrus et son théâtre en ruine, Aïn-Dara et ses lions néo-hittites, l'Euphrate et ses reflets d'émeraude, la ronde des "villes mortes" et ses beautés spectrales.

Madeleine et Abdallah nous ont consacré de longues journées à l'étude des particularités architecturales du vieil Alep (à l'époque en pleine résurrection), à la visite des souks (les plus grands du monde et parmi les plus anciens) et de leurs khans (ces superbes caravansérails transformés pour certains en consulat au XIXe siècle), à la découverte des maisons traditionnelles de Jdaydé, de complexes religieux de confessions multiples, de centres médicaux en activité depuis le Moyen-âge, de fabriques de savon qui embaument l'olive et le laurier, tout en nous expliquant les particularités des styles "ayyoubide", "omeyyade", "mamelouke", en nous replongeant dans les périodes du pouvoir ottoman, du Mandat français, de la domination égyptienne. Et, de quoi joindre l'utile à l'agréable, Abdallah nous convia plus d'une fois chez lui, dans le quartier résidentiel d'Azizié, pour nous faire goûter la succulente cuisine de son épouse Mouna et nous faire vivre, en direct, la chaleureuse atmosphère d'une famille chrétienne de Syrie.

Le guide d'Abdallah, organisé en itinéraires denses et fouillés que clarifient de nombreuses cartes et une iconographie soignée, contient tout ce savoir. La traduction de Madeleine orne ce livre de la plus précieuse des étoffes verbales. Une fois de plus, l'une et l'autre vont nous plonger dans bien des souvenirs et nous permettre encore de nombreuses découvertes.

Merci Madeleine pour ce cadeau d'une valeur affective et scientifique inestimables...!

lundi 29 septembre 2008

Constantin Meunier à Séville

L'exposition "Constantin Meunier en l'Andalousie" vient d'ouvrir ses portes au Musée des Beaux-Arts de Bruxelles. Elle propose jusqu'au 4 janvier 2009 un corpus de quelques 75 esquisses et tableaux dont l'intérêt est davantage lié aux nouvelles perspectives dans la connaissance de l'histoire sociale de l'art belge qu'à la qualité intrinsèque des pièces exposées.

A partir des années 1880, après s'être illustré dans la peinture religieuse, Constantin Meunier (1831-1905) s'impose dans les salons de peinture comme le chantre de la condition ouvrière : il forge et fixe l'iconographie des masses laborieuses parties en guerre contre les méfaits de la révolution industrielle. Sa notoriété est telle que le gouvernement, en la personne de son ami le critique d'art Jean Rousseau, apologue de l'avant-garde et "accessoirement" directeur de l'Administration des Beaux-Arts, lui demande de réaliser une copie à l'identique de la sublime Descente de croix de Pedro Campaña conservée à la Cathédrale de Séville, une œuvre qui fait beaucoup parler d'elle à partir de 1867, lorsque des spécialistes de l'art flamand l'attribuent à un artiste "belge", le maniériste Pieter de Kempeneer.

A l'heure où l'œuvre d'art tire sa valeur de son unicité et de sa non reproductibilité, on peut se demander quel est intérêt de pratiquer une telle copie. En réalité, les autorités bruxelloises imaginent ni plus ni moins la création d'un Musée des copies regroupant les grands chefs-d'œuvre de l'art belge conservés à l'étranger. La France a donné l'exemple de ce type de musée, évoqué dès 1851 dans les assemblées et inauguré à Paris vingt ans plus tard. Outre une volonté évidente de valorisation de l'identité nationale, le projet a pour vocation - essentiellement dans les milieux conservateurs - d'endiguer le danger potentiel que constitue la montée de l'art moderne. La Belgique suit le mouvement.

Demander à Meunier, pourtant spécialiste de la peinture religieuse, de remplir cette mission n'est pas sans poser problème. Faut-il en effet que la copie soit réalisée par un artiste reconnu de tous dont la renommée va engranger inévitablement des coûts considérables? Ou au contraire confier le travail à un lauréat du Prix de Rome de Belgique avec le danger d'être confronté à son inexpérience et de le voir se détourner de ses recherches stylistiques personnelles? L'amitié qui lie Rousseau à Meunier permet de trancher : Constantin"décroche le marché". A cours d'argent, le peintre accepte l'offre (très lucrative) faisant abstraction de son tempérament des plus casaniers. Accompagné de son fils Karl, Meunier séjourne à Séville d'octobre 1882 à avril 1883. A son arrivée, il apprend la mort de l'évêque de la ville auprès duquel les autorités belges à Madrid avaient obtenu l'autorisation pour de réaliser la fameuse copie. Le chapitre de la Cathédrale qui accueille le peintre n'est au courant de rien et lui refuse l'accès de la sacristie où est conservé le tableau de Pieter de Kempeneer. Après de multiples tractations, Meunier se met au travail du 27 décembre 1882 à avril 1883. Le 1er juin, sa Descente de croix arrive à Bruxelles pour étoffer les collections du Musée des Copies. Très controversé, celui-ci ferme ses portes en 1891 (le Musée des Copies de Paris fit pareil dès 1876), la Descente de croix rejoint alors les réserves du Musée des Beaux-Arts et tombe dans l'oubli durant plusieurs décennies.

Le temps libre dont Meunier dispose à Séville est mis à profit pour confronter sa connaissance livresque de l'Espagne à l'expérience in situ. Il constate que les clichés véhiculés par la littérature, de Prosper Mérimée à Théophile Gautier, sont loin de correspondre à la réalité. Ses dessins dépeignent principalement la faune de loqueteux et d'exclus pour lesquels, à l'instar de Murillo deux siècles plus tôt, il ressent une compassion réelle. A travers ses titres, il s'efforce de redonner à cette pauvreté pittoresque une nouvelle dignité ("Le noble mendiant").

Durant ses six mois à Séville, le peintre passe beaucoup de temps à se promener dans les vieilles ruelles du centre. Il fréquente les autochtones comme les étrangers de passage et fait notamment la connaissance dès octobre du compositeur Emmanuel Chabrier (en voyage avec son épouse) qui lui fait partager son enthousiasme pour l'Espagne, contact plus que bénéfique lorsqu'on sait que les premières impressions de Meunier sur Séville sont négatives. Ensemble, ils se rendent, entre autres, dans les cabarets de la ville et plus particulièrement au café del Burrero, où règne l'âpreté envoûtante du flamenco que le peintre restitue dans son étonnante "Scène de cabaret à Séville" à l'atmosphère aigre-douce d'une sensualité morbide. Chabrier attendra son retour en France, quelques mois plus tard pour transcrire ses impressions andalouses dans sa première pièce pour orchestre : España.

Meunier découvre encore la religiosité extrême des Andalous qui culmine durant la Semaine sainte (transcrite dans la glaçante "Procession du silence"), la barbarie macabre des corridas (illustrée par la splendide "Muerta", au fusain et crayon noir, une esquisse beaucoup plus puissante que le tableau peint), les jeux et divertissements issus d'un autre âge (l'étonnant "Combat des coqs" dont la force expressionniste anticipe de 40 ans sur l'esthétique d'un George Grosz!) et, last but not least, la célèbre manufacture de tabac avec ses cigarières, les belles compagnes de Carmen présentées non plus comme des gitanes envoûtantes, guerre aux clichés oblige, mais dans leur fragile humanité.

De qualités variables, ces différentes esquisses et tableaux sont d'un intérêt certain : ils constituent les premiers exemples d'un art belge influencé par l'Espagne, 20 ans après que Manet a lancé la mode de la peinture d'inspiration hispanisante en France. A son retour en Belgique, Meunier exploite quelque temps cette veine (évitant soigneusement l'exotisme de pacotille) avant de se spécialiser dans la statuaire de la condition ouvrière qui fit de lui l'un des apôtres de la "Modernité". L'exposition a pour principal mérite (malgré une absence flagrante d'explications) de remettre à l'honneur ce pan méconnu de sa carrière.

lundi 22 septembre 2008

Bl!ndman : un pari (électronique) qui vaut bien une messe

Compositeur catholique au service des souverains anglicans, William Byrd (ca 1543-1623) connaît les méfaits de l'intolérance religieuse instaurée par Jacques Ier en 1605 : d'une virulence abjecte à l'égard des catholiques et des protestants, le souverain interdit dans toute l'Angleterre la musique de Byrd sous peine d'emprisonnement. Ses trois messes (à 3, 4 et 5 voix), écrites de 1592 à 1595, sont directement visées et sont désormais exécutées dans la plus stricte confidentialité.

Renouant avec ces atmosphères secrètes de la Renaissance tardive, les ensembles Bl!ndman [vox] (quatre chanteurs) et Bl!ndman [sax] (quatre saxophonistes), musiciens flamands attachés au Kaaitheather de Bruxelles, ont proposé ce samedi au Studio 1 du Flagey le spectacle « Secret Masses », une lecture peu conventionnelle de la Messe à 4 voix de Byrd. Plongés dans une obscurité quasi totale, les quatre chanteurs, assis devant quatre platines et projetés simultanément sur un écran placé au-dessus d'eux, font "scratcher" (tourner les 33 tours à la main d'avant en arrière à différentes vitesses) leur disque vinyle sur fond de musique électronique et de quatuor de saxophones : la Mass 4 Turntables (vinyl & sax) du compositeur Eric Sleichim ouvre le concert par d’étranges polyphonies bruitistes plongeant dans un bain expérimental qui s’annonce envoûtant. Dix minutes plus tard Bl!indman [vox] se lève, s’installe au fond de la scène, dans une obscurité parfaite, et enchaîne avec le Kyrie et le Gloria de la Messe de Byrd, les partitions éclairées à l'aide de lampes de poche. Leur ferveur s’exprime dans la plus totale clandestinité. Mis dans une position voyeuriste, le public en est presque superflu.

D'entrée de jeu, les chanteurs laissent plutôt à désirer. L'intonation un peu basse du ténor (qui remplace l'un des membres du groupe, souffrant) et la légère raideur des lignes contrapuntiques (qui ne déroulent pas leurs volutes avec toute la venimosité nécessaire) empêchent de ressentir la pleine beauté d'une musique taillée dans le plus pur diamant.

La configuration scénique change une nouvelle fois : installés à l’avant-plan, Bl!ndman [sax] interrompt la Messe par ses propres apartés sacrés : l’In nomine à 4 et la Fantasie à 4 de Byrd non rien à envier au timbre des cornets à bouquin de la Renaissance, tant la douceur feutrée des saxophones épouse avec suavité les mailles de la polyphonie anglaise. Le résultat est d'autant plus convainquant que les phrasés à l'ancienne et les croisements rythmiques s'effectuent sans faute de goût. Bl!ndman [sax] accompagne également les chanteurs dans le somptueux O Death, rock me asleep (toujours de Byrd, la soprano austèrement assise à même le sol) ou dans l’"Alphabet" des Nonsense Madrigals de Ligeti dont les harmonies explosives, proposés à peu près à la moitié du spectacle ont une action véritablement purificatrice pour l'oreille.

Retour à la Messe. Entre le Credo et le Sanctus, une télévision déplacée à l'avant-scène permet d’entendre EnJeNoemtHetLiefdei, texte sur l'Amour (du poète Ilja Leonard Pfeiffer) qui se veut le cœur de cible de la doctrine catholique. Après l'Agnus Dei, c'est au tour du quatuor de saxophones de prendre les commandes des platines et de lancer Contact Theater de Matthew Wright, une pseudo-polyphonie de platines un peu gratuite, nettement moins élaborée que l’œuvre initiale de Sleichim tant les vinyles semblent tourner à vide, jusqu’à en perdre la tête!

Après une heure de spectacle, l’expérience laisse un peu perplexe. La réactualisation de Byrd dans un contexte électro-acoustique et audiovisuel ne manque pas de pertinence. Le crypto-militantisme religieux qui entoure sa musique est explicite. Encore eût-il fallut ne pas se contenter d'enchaîner des pièces aux esthétiques différentes et oser de véritables superpositions entre la Renaissance et le XXIe siècle : pourquoi ne pas "scratcher" polyphoniquement sur la Messe de Byrd ou compléter les lignes vocales par des sonorités électro-acoustiques ou encore amplifier les chanteurs de la Messe et faire résonner leur voix en écho. Après tout, le fantasme de la démultiplication des voix existait déjà à la Renaissance : le Spem in alium de Thomas Tallis (le maître de Byrd) n’est-il pas écrit pour 40 parties différentes ! Si les Bl!ndman cherchent à tout prix à réhabiliter convenablement la polyphonie anglaise catholique, ils doivent coûte que coûte doter leur spectacle d’une ossature qui dépasse le simple stade du collage postmoderne.

lundi 21 juillet 2008

L'Eté grec : fin du périple


Nana MOUSKOURI, Kapou iparhi i agapi mou
Sans ses lunettes et son look "grande dame", Mouskouri apparaît en 1960 dans le film "Rendez-vous à Corfou".

Déjà l'heure du retour à Liège à l'heure de la fête (défaite) nationale.

dimanche 20 juillet 2008

L'Eté grec (21e journée)


Eleftheria Arvanitaki, Ta kormia kai ta mahairia
Impossible avant de quitter ce magnifique pays de ne pas évoquer Eleftheria Arvanitaki, née au Pirée, qui interprète ici un standard de la musique arménienne composé par le célèbre oudiste Ara Dinkjian.

Programme du jour :
- Athènes

samedi 19 juillet 2008

L'Ete grec (20e journée)


Haris Alexiou, Ola se thimizoun
Sans doute la chanteuse la plus populaire de Grèce, "Haroula" Alexiou, originaire de Thèbes, est aussi à l'aise dans les "laïka" populaires que dans la chanson pop contemporaine. Elle interprète principalement Loizos, Theodorakis et Kaldaras, chante aussi bien avec Georgos Dalaras qu'avec la pop star turque Sezen Aksu ou l'Italien Paolo Conte. Ses concerts au Keramikos comptent parmi les plus beaux récitals publics gravés au disque. Plusieurs de ses meilleurs albums sont disponibles sur Itunes. Son site : http://www.alexiou.gr/

Programme du jour :
- Monastère Hosios Loukas
Traversée de la Béotie via Thèbes et Eleusis et retour à Athènes

vendredi 18 juillet 2008

L'Eté grec (19e journée)


Giorgos DALARAS, S'agapo giati 'se orea
Chanson traditionnelle d'Asie mineure, exécutée par le plus populaire des interprètes masculins vivants de la Grèce, Giorgos Dalaras, éminent guitariste et joueur de bouzouki (il est le disciple direct de Tsitsanis), qui a contribué à remettre à l'honneur le rebetiko après son interdiction sous le Régime des colonels. Avec plus de 120 disques à son actif (son premier disque est enregistré en 67), Dalaras a exploré tous les genres musicaux de la Grèce, y compris la chanson byzantine ancienne. Il est par ailleurs un défenseur énergique de causes politiques (pacification de Chypre) et de causes humanitaires (défense des opprimées politiques et sociaux). Cette version de S'agapo giati 'se orea ("Je t'aime car tu es belle") a interprétée par Dalaras en 2001 au Théâtre de Delphes aux côtés de orchestre folklorique russe d'Ossipov, à l'occasion du 50e anniversaire du Haut Commissariat des Nations Unies aux réfugiés (Dalaras a d'ailleurs nommé ambassadeur de bonne volonté du Haut Commissariat en 2006).

Programme du jour :
- Site antique de Delphes
- Logement à Arachova

jeudi 17 juillet 2008

L'Eté grec (18e journée)


Poly PANOU, Ferte mia koupa me krasi
Originaire de Thessalie, Apostolos Kaldaras (1922-1990) est à partir des années 50 l'un des représentants majeurs des "laïka", des chansons populaires proches du rebetiko, mais avec de fortes influences de la musique turque (les quarts de ton). Ferte mia koupa me krasi est chanté par Poly Panou, chanteuse de Patras (bien que née à Athènes en 1940), dont la voix chaude et profonde est l'une des plus envoûtantes de la Grèce.

Programme du jour :
- Patras, dernière étape dans le Péloponnèse
- Traversée du pont Rion-Antiron.
Arrivée en Étolie-Acarnanie
- Village de Nafpaktos (Naupacte)
Passage en Phocide
- Village portuaire de Galaxidi
- Logement dans le village montagnard d'Arachova

mercredi 16 juillet 2008

L'Eté grec (17e journée)


GLYKERIA, Pame tsarka
Chanson d'une popularité immense composée par le roi du rebetiko, Vassilis Tsitsanis (1915-1984), chanteur et merveilleux joueur de bouzouki qui débuta sa carrière à Salonique en 1937 avant de s'installer à Athènes 10 ans plus tard où il devient la coqueluche des tavernes et enregistre ses propres compositions avec le concours de trois immenses chanteurs des années 50 : Sotiria Bellou, Marika Ninou et Prodromos Tsaousakis. Pame tsarka est ici chanté par la plus aimée des chanteuses grecques d'aujourd'hui, Glykeria, immense interprète du néorebetiko et l'une des muses de Mikis Theodorakis dont elle vient de graver un double CD de ses plus grandes chansons. Glykeria est aussi la chanteuse grecque la plus populaire d'Israël où elle se produit très régulièrement (dans un parfait hébreux) ; elle a été faite citoyenne d'honneur de la ville de Jérusalem et elle est la seule artiste étrangère à avoir pu participer aux commémorations organisées en hommage à Yitzhak Rabin, en 1998.

Programme du jour :
- Site et musée archéologique d'Olympie

mardi 15 juillet 2008

L'Eté grec (16e journée)


Dimitra GALANI, Dio meres mono
Cette chanson permet d'évoquer le talent immense de Dimitra Galani, aussi à l'aise depuis plus de trente ans dans les classiques de Tsitsanis, Hadzidakis et Theodorakis que dans l'interprétation des chants byzantins, des musiques traditionnelles, des chansons de Kurt Weill, Nino Rota ou John Lennon. Melina Mercouri disait d'elle qu'elle est : « La voix qui semble ne chanter que pour vous mais qui chante pour tout un peuple ».

Programme du jour :
Ultime journée dans les montagnes arcadiennes
- Monastère de Prodromou
- site antique et église byzantine de Gortys
- Village de Langadia

lundi 14 juillet 2008

L'Ete grec (15e journée)


Stelios KAZANTZIDIS, Saranta palikaria
Composée à l'occasion de la Guerre d'indépendance de la Grèce en 1821, Saranta Palikaria (40 Braves), évoque la lutte acharnée des Grecs dans les montagnes d'Arcadie, pour se libérer du joug turc. Interprétée ici par l'acteur, écrivain et immense chanteur athénien Stelios Kazantzidis (1932-2001), l'une des plus longues carrières de la chanson populaire grecque (laïka).

Vangelis a transcrit à sa manière cette chanson de la Guerre d'indépendance, confiant le texte à la grande tragédienne Irini Papas, qui s'est aussi essayé à la musique (on lui doit notamment un bel enregistrement des chansons de Theodorakis) :


VANGELIS, Irini PAPAS, Saranta Palikaria

Programme du jour :
- Ces mêmes régions montagneuses de l'Arcadie où eurent lieu les événements de 1821.
- Le village de Dimitsana
- Les monastères de Moni Philosophou
- Le village de Zatouna

dimanche 13 juillet 2008

L'Eté grec (14e journée)


Melina KANA, Arnisi
Chanteuse originaire de Salonique, philosophe, Melina Kana s'impose à partir des années 90. Elle est l'interprète privilégiée de compositeurs comme Thanasis Papakonstantinou, Nikos Mamangakis, Dimitris Psarras.

Programme du jour :
- Temple d'Apollon epikourios à Bassae (Vasi)
Villages des montagnes arcadiennes
- Karitena
- Stemnitsa

samedi 12 juillet 2008

L'Eté grec (13e journée)


Rita ABATZI, Galiandra mou
Originaire de Smyrne, Abatzi fait partie de la "préhistoire" du rebetiko, elle incarne dans les années 30 la première phase du genre encore sous l'influence des rythmes, des instrumentations et des modes de la musique turque.

Programme du jour :
- Methoni
- Pilos (Navarin)
- Palais de Nestor
- Musée de Chora
- Kyparissia

vendredi 11 juillet 2008

L'Eté grec (12e journée)


Rita SAKELLARIOU, Istoria mou
Premier succès de la chanteuse crétoise Rita Sakellariou, Istoria mou ("mon histoire") écrit vers 1972 ou 73, explore la veine de la chanson psychologique et des amours impossibles. La voix superbement rauque de Sakellariou est comme la conséquence directe des tragédies sentimentales qu'elle nous narre. Il doit s'agir du premier morceau de musique grecque qui est entré dans ma mémoire, je devais avoir deux ou trois ans, mais je me souviens avoir chanté l'œuvre aux côtés de ma mère.

Programme du jour :
- Village byzantin de Kardamili
- Site antique de Messene
- Koroni
- Methoni

jeudi 10 juillet 2008

L'Eté grec (11e journée)


I COMPANIA HELLINIKIA, To minore tis avgis
Autre chanson majeure de Vamvakaris, To minore tis avgis (le "mode mineur" de l'aube) a donné son nom à une série télévisée très populaire en Grèce, diffusée en 26 épisodes dès 1983 et basée sur l'histoire du rebetiko (de ses origines à l'époque contemporaine) vue à travers la vie de ses plus grands créateurs.

Programme du jour :
- Limeni
- Langada
- Nomitsi
- Platsa
- Hagios Nikolaos
- Kalamata
- Logement à Kardamili

mercredi 9 juillet 2008

L'Eté grec (10e journée)


Petros GAïTANOS, Frangosyriani
Chef-d'œuvre de Markos Vamvakaris, le père du rebetiko classique d'Athènes (et plus précisément du Pirée) dès les années 30, Frangosyriani fait références aux Francs, aux croisés qui occupaient l'île de Syros sur laquelle est né Vamvakaris. Bien que grecque, sa famille est d'ailleurs restée fidèle au culte chrétien catholique... La chanson est interprétée en 2006 par Petros Gaïtanos, autre représentant du néorebetiko contemporain, défenseur de la musique grecque traditionnelle et grand militant en faveur du rapprochement entre les artistes grecs et turcs.

Programme du jour :
- Nomia
- Vathia
- Cap de Tenaro et temple de Poseidon
- Lagia

mardi 8 juillet 2008

L'Eté grec (9e journée)


Melina MERCOURI, Agapi pou 'gines dikopo maheri
"Amour, toi qui es devenu une arme à double tranchant"... Splendide chanson écrite pour le film Stella, l'adaptation cinématographique grecque de la pièce Un tramway nommé désir.

Programme du jour : le Magne laconien
- village portuaire de Githio
- Grotte de Piros Dirou
- Aeropoli et ses maisons-tours

lundi 7 juillet 2008

L'Eté grec (8e journée)


Grigoris BITHIKOTSIS, Aponi zoi
Bithikotsis commence sa carrière dans les années 40 avec des chansons populaires socialement très marquées à gauche. Après avoir interprété les classiques de Vamvakaris et Tsitsanis, dans le genre rebetiko, il s'impose dans les années 60 comme "la voix" de Hadjidakis, Xarhakos et Theodorakis. Ce dernier l'avait élu "plus grand chanteur populaire" de l'époque.

Programme du jour :
- Village de Monemvassia

dimanche 6 juillet 2008

L'Eté grec (7e journée)


Anna VISSI, Min psahnis tin agapi
La musique de cette chanson mélancolique ("Ne cherche pas l'amour") est signée Nikos Karvelas, compositeur athénien très en vogue en Grèce depuis ces 20 dernières années. Son langage est parfaitement adapté à la voix de sa muse, la chanteuse pop-rock Anna Vissi, une des grandes stars du pays, avec laquelle il est marié depuis 1983.

Programme du jour :
- Vestiges de la Sparte antique
- Eglises byzantines et citadelle de Geraki
- Monemvassia

samedi 5 juillet 2008

L'Eté grec (6e journée)


Nena VENETSANOU, To treno fevghi stis octo
Un des chefs-d'oeuvre de Mikis Theodorakis, interprété par une chanteuse athénienne au timbre exceptionnel. Amie proche d'Angelique Ionatos (avec laquelle elle a enregistré un disque sur des textes de Sappho), Venetsanou est réputée pour ses combats contre tous les obscurantismes : ceux des pouvoirs politiques (elle s'exila à Paris lors de la dictature des colonels, ceux du machisme (elle revendique le droit de parler de sa sexualité avec la même franchise que les hommes), ceux de de la religion orthodoxe (le fléau conservateur de la culture grecque contemporaine).

Programme du jour :
- Temple d'Athéna Alea à Thégea
- Mystra et ses églises byzantines

vendredi 4 juillet 2008

L'Eté grec (5e journée)


Manos LOIZOS, To zeimbekiko tis Evdokias
Auteur du plus fameux Zeibekiko (équivalent instrumental du rebetiko, interprété ici par Theodorakis), Manos Loizos, né en 1937 à Chypre, est parti étudier la pharmacologie à Athènes à 17 ans avant de se consacrer pleinement, en autodidacte à la musique dès 1963. Il est à mettre sur le même pied que Theodorakis et Hadjidakis, même s'il est moins connu que ces derniers à l'étranger. Virulent opposant au Régime des colonels, membre actif du parti communiste, il est décédé à Moscou en 1982.

Programme du jour :
- Visite du théâtre et du site archéologique d'Epidaure
- Nauplie

jeudi 3 juillet 2008

L'Eté grec (4e journée)


Maria KATINARI, Sti magemeni Arapia
Un des chefs-d'œuvre de Vassilis Tsitsanis, le roi du rebetiko, sorte d'Invitation au voyage à la mode orientale, régulièrement interprété par les chanteurs contemporains.

Programme du jour :
- Site archéologique de Mycènes
- Eglise byzantine d'Aghia Triada
- Site archéologique de Tirynthe
- Nauplie

mercredi 2 juillet 2008

L'Eté grec (3e journée)


Stou thoma to magazi. Rebetiko célèbre repris ici par Costas Ferris qui reconstitue dans ce film l'ambiance des premiers cafés interlopes(les "tekes") où musiciens (les "rebètes") et clients chantent sous l'influence de l'opium.

Programme du jour :
- Site archéologique de Corinthe
- Site archéologique de Némée
- Lac de Stymphale
- Logement dans la Mycène contemporaine

mardi 1 juillet 2008

L'Eté grec (2e journée)


Melina ASLANIDOU, To parelthon thimithika
Chanteuse du groupe Apenanti (littéralement "en face"), Aslanidou défend un rebetiko contemporain fidèle aux racines populaires du genre.

Programme du jour :
- Sanctuaire archéologique de Perachora
- Déjeuner au bord du lac de Vouliagmeni
- L'Isthme de Corinthe (+ vestiges archéologiques de Isthme)
- Citadelle de l'Acrocorinthe
- Logement aux environs de la Corinthe antique

lundi 30 juin 2008

L'Eté grec (1er journée)


Nana MOUSKOURI, Athina
Un des tubes de Manos Hadjidakis, à la gloire d'Athènes "Joie de la terre et de l'aube". Hadjidakis rencontra Nana Mouskouri en 1959. Il l'a toujours considérée, à juste titre, comme l'interprète idéale de sa musique, aussi bien les mélodies populaires que les œuvres plus conceptuelles ou expérimentales (Mouskouri y est stupéfiante d'intelligence et de virtuosité).

Programme du jour :
- Athènes. Retour à l'Acropole
- librairie d'Hadrien
- l'Agora antique
- Promenade à Monastiraki et Plaka
- Concert de Fazil Say au Théâtre Hérode Atticus (dans le cadre du Festival d'été d'Athènes)

dimanche 29 juin 2008

A quelques heures du départ...

Dès lundi, ce blog va prendre quelques jours de vacances. Après 18 ans d'absence, je retourne en Grèce pour contempler les villages et les sites archéologiques du Péloponnèse (principalement en Argolide, en Arcadie et dans le Magne), avant de repartir vers Delphes (pour la beauté du site) et vers Athènes (y dévaliser les marchands de disques). Mes bagages sont bouclés, mon appartement est prêt à accueillir ma mère qui installera chez moi ses quartiers d'été, notre voisine indienne a reçu toutes les instructions afin de pourvoir aux besoins alimentaires de ma petite chatte Kilotte.

Afin de ne pas laisser ce blog sans vie, une série de courts billets rédigés en amont sera publiée jour après jour (gageons que l'enregistrement anticipatif fonctionne) sous l'appellation "L'Eté grec", en hommage à Jacques Lacarrière qui est un peu l'initiateur de ce retour aux sources. J'y évoquerai mon itinéraire journalier et permettrai surtout d'entendre quotidiennement une chanson parmi les incontournables de la musique grecque d'hier et d'aujourd'hui.

"Kalo taksidi" à ceux qui partent et excellent "kalokeri" à ceux qui restent!

samedi 28 juin 2008

Zaide à Aix-en-Provence

Entendre Louis Langrée diriger Mozart est un enchantement. Une impression que confirme son interprétation exceptionnelle de Zaide avec la sublime Camerata Salzburg à l'occasion de l'ouverture du prestigieux Festival d'Aix-en-Provence. Un spectacle mis en scène par Peter Sellars et diffusé en direct ce vendredi sur le site de France 3.

Créée en mai 2006 dans le magnifique Jungendstiltheater de Vienne, lors des Wien Festwochen, la mise en scène de Sellars est une réflexion passionnante sur la condition d'esclavage dans la société contemporain. Qui sont les esclaves d'aujourd'hui? Et quels sont les tyrans qui les exploitent? Partant du livret mis en musique par Mozart, Sellars transpose adroitement cette fable sur la tyrannie dans un atelier de confection clandestin au milieu duquel des illégaux subissent les malveillances de leur employeur. L'un des coups de génie de Sellars est d'avoir utilisé pour les interventions chorales de véritables clandestins de nations diverses, directement en phase avec la terrible réalité sociale que véhicule l'ouvrage.

Transcendé par la direction de Langrée (qui, à part René Jacobs et John Eliot Gardiner, peut diriger Mozart avec une telle force exacerbée, avec une attention aussi poussée pour chaque détail, avec autant de subtilité dans le choix des couleurs, autant de vivacité dans les rythmes, autant de fluidité mélodique?), l'opéra incorpore - un choix très pertinent du metteur en scène face à cet ouvrage inachevé - les interludes symphoniques de Thamos, autre chef-d'œuvre mozartien négligé par les théâtres lyriques. L'ajout de ces parties instrumentales donne à Zaide un éclairage particulièrement tragique plus proche de la violence d'Idomeneo que de L'Enlèvement au Sérail auquel il est trop souvent comparé.

Ceux qui n'ont guère la possibilité de voir ce superbe spectacle au Théâtre de l'Archevêché peuvent le visionner en accès libre sur le site de France 3, du 28 juin au 25 juillet : (http://www.france3.fr/).

vendredi 27 juin 2008

ASLSP : la plus longue musique du monde

Quel est le plus long concert et le plus long morceau de musique au monde? Il s'agit d'ASLSP - abréviation d'As SLow aS Possible - du compositeur américain John Cage (élève de Schoenberg et membre du mouvement Fluxus), une oeuvre en cours d'exécution d'une durée exacte de 639 années...! Pourquoi 639 ans? Parce que si l'on soustrait ce nombre à l'année 2000, on arrive à 1361, date de l'achèvement de l'orgue que Nicolaus Faber destine à la Cathédrale de Halberstadt (dans la Saxe-Anhalt en Allemagne), orgue considéré comme le premier instrument important à plusieurs claviers utilisé dans la liturgie chrétienne.

Composée en 1985, révisée en 1987, la partition est interprétée depuis le 5 septembre 2001 - jour du 89e anniversaire de Cage (décédé en 1992) - sur un orgue spécialement construit pour le projet dans l'église Saint-Burchardi de Halbersdadt (voir la photo). L'oeuvre est composée de 8 parties d'une durée de 71 années chacune. L'une de ces parties est entièrement répétée. Mathématiquement, 9 x 71 donne le fameux nombre 639. La plus petite valeur temporelle est d'un mois. Tout changement de note a lieu chaque 5e jour du mois.

En 1987, Gerd Zacher, organiste d'Essen dédicataire d'ASLSP, interpréta l'oeuvre à Metz en 29 minutes. Si elle dure 639 années, c'est parce que 2 secondes de musique en temps réel sont étirées sur un mois entier. La partition avec ses 8+1 parties forme une longueur de 4 m 07 lorsque les pages sont disposées en continu. Une partition de 639 années en temps normal ferait 47.000 km de pages!

On peut s'interroger sur l'intérêt d'une partition qui, écoutée en temps réel, à l'air d'être constitué d'un seul accord sans fin. Sa valeur est moins musicale et esthétique que philosophique, comme tout ce qui touche à l'art compositionnel chez Cage. ASLSP est pour son auteur une exploration, une découverte de la lenteur, une manière de décortiquer le temps, supposé fuyant et sans transition. En outre, Cage considère la partition comme la graine d'un arbre qui grandira dans le futur ; l'oeuvre est un symbole de confiance en l'avenir de l'humanité et de transmissions de vie aux générations prochaines. La force métaphorique de la pièce est très grande au point que la performance à Halberstadt est régulièrement au coeur des médias. Le dernier changement de note en 2006 a été filmé par plus de 50 grands médias de part le monde. Chaque année, l'église de Saint-Burchardi attire 10.000 visiteurs désireux de participer à ce happening conceptuel.

Infos pratiques

Adresse :
Eglise de Saint-Burchardi
Am Kloster 1D
38820 Halberstadt
Allemagne

Horaires d'ouverture :
Du mardi au dimanche, de 11h à 17h d'avril à octobre et de 12h à 16h de novembre à mars.