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Liège, Belgium
Né à Bruxelles dans une famille d'origine grecque, turque, albanaise et bulgare. Etudes secondaires gréco-latines. Licence en Histoire de l'art, Archéologie et Musicologie de l'Université de Liège. Lauréat de la Fondation belge de la Vocation. Ancien journaliste à La Libre Belgique et La Gazette de Liège. Actuellement Chargé de mission développement et médias à l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège. Directeur artistique-adjoint du Festival des Nuits de Septembre. Enseigne l'Histoire sociale de la musique aux Alumni de l'Université de Liège.

lundi 30 juin 2008

L'Eté grec (1er journée)


Nana MOUSKOURI, Athina
Un des tubes de Manos Hadjidakis, à la gloire d'Athènes "Joie de la terre et de l'aube". Hadjidakis rencontra Nana Mouskouri en 1959. Il l'a toujours considérée, à juste titre, comme l'interprète idéale de sa musique, aussi bien les mélodies populaires que les œuvres plus conceptuelles ou expérimentales (Mouskouri y est stupéfiante d'intelligence et de virtuosité).

Programme du jour :
- Athènes. Retour à l'Acropole
- librairie d'Hadrien
- l'Agora antique
- Promenade à Monastiraki et Plaka
- Concert de Fazil Say au Théâtre Hérode Atticus (dans le cadre du Festival d'été d'Athènes)

dimanche 29 juin 2008

A quelques heures du départ...

Dès lundi, ce blog va prendre quelques jours de vacances. Après 18 ans d'absence, je retourne en Grèce pour contempler les villages et les sites archéologiques du Péloponnèse (principalement en Argolide, en Arcadie et dans le Magne), avant de repartir vers Delphes (pour la beauté du site) et vers Athènes (y dévaliser les marchands de disques). Mes bagages sont bouclés, mon appartement est prêt à accueillir ma mère qui installera chez moi ses quartiers d'été, notre voisine indienne a reçu toutes les instructions afin de pourvoir aux besoins alimentaires de ma petite chatte Kilotte.

Afin de ne pas laisser ce blog sans vie, une série de courts billets rédigés en amont sera publiée jour après jour (gageons que l'enregistrement anticipatif fonctionne) sous l'appellation "L'Eté grec", en hommage à Jacques Lacarrière qui est un peu l'initiateur de ce retour aux sources. J'y évoquerai mon itinéraire journalier et permettrai surtout d'entendre quotidiennement une chanson parmi les incontournables de la musique grecque d'hier et d'aujourd'hui.

"Kalo taksidi" à ceux qui partent et excellent "kalokeri" à ceux qui restent!

samedi 28 juin 2008

Zaide à Aix-en-Provence

Entendre Louis Langrée diriger Mozart est un enchantement. Une impression que confirme son interprétation exceptionnelle de Zaide avec la sublime Camerata Salzburg à l'occasion de l'ouverture du prestigieux Festival d'Aix-en-Provence. Un spectacle mis en scène par Peter Sellars et diffusé en direct ce vendredi sur le site de France 3.

Créée en mai 2006 dans le magnifique Jungendstiltheater de Vienne, lors des Wien Festwochen, la mise en scène de Sellars est une réflexion passionnante sur la condition d'esclavage dans la société contemporain. Qui sont les esclaves d'aujourd'hui? Et quels sont les tyrans qui les exploitent? Partant du livret mis en musique par Mozart, Sellars transpose adroitement cette fable sur la tyrannie dans un atelier de confection clandestin au milieu duquel des illégaux subissent les malveillances de leur employeur. L'un des coups de génie de Sellars est d'avoir utilisé pour les interventions chorales de véritables clandestins de nations diverses, directement en phase avec la terrible réalité sociale que véhicule l'ouvrage.

Transcendé par la direction de Langrée (qui, à part René Jacobs et John Eliot Gardiner, peut diriger Mozart avec une telle force exacerbée, avec une attention aussi poussée pour chaque détail, avec autant de subtilité dans le choix des couleurs, autant de vivacité dans les rythmes, autant de fluidité mélodique?), l'opéra incorpore - un choix très pertinent du metteur en scène face à cet ouvrage inachevé - les interludes symphoniques de Thamos, autre chef-d'œuvre mozartien négligé par les théâtres lyriques. L'ajout de ces parties instrumentales donne à Zaide un éclairage particulièrement tragique plus proche de la violence d'Idomeneo que de L'Enlèvement au Sérail auquel il est trop souvent comparé.

Ceux qui n'ont guère la possibilité de voir ce superbe spectacle au Théâtre de l'Archevêché peuvent le visionner en accès libre sur le site de France 3, du 28 juin au 25 juillet : (http://www.france3.fr/).

vendredi 27 juin 2008

ASLSP : la plus longue musique du monde

Quel est le plus long concert et le plus long morceau de musique au monde? Il s'agit d'ASLSP - abréviation d'As SLow aS Possible - du compositeur américain John Cage (élève de Schoenberg et membre du mouvement Fluxus), une oeuvre en cours d'exécution d'une durée exacte de 639 années...! Pourquoi 639 ans? Parce que si l'on soustrait ce nombre à l'année 2000, on arrive à 1361, date de l'achèvement de l'orgue que Nicolaus Faber destine à la Cathédrale de Halberstadt (dans la Saxe-Anhalt en Allemagne), orgue considéré comme le premier instrument important à plusieurs claviers utilisé dans la liturgie chrétienne.

Composée en 1985, révisée en 1987, la partition est interprétée depuis le 5 septembre 2001 - jour du 89e anniversaire de Cage (décédé en 1992) - sur un orgue spécialement construit pour le projet dans l'église Saint-Burchardi de Halbersdadt (voir la photo). L'oeuvre est composée de 8 parties d'une durée de 71 années chacune. L'une de ces parties est entièrement répétée. Mathématiquement, 9 x 71 donne le fameux nombre 639. La plus petite valeur temporelle est d'un mois. Tout changement de note a lieu chaque 5e jour du mois.

En 1987, Gerd Zacher, organiste d'Essen dédicataire d'ASLSP, interpréta l'oeuvre à Metz en 29 minutes. Si elle dure 639 années, c'est parce que 2 secondes de musique en temps réel sont étirées sur un mois entier. La partition avec ses 8+1 parties forme une longueur de 4 m 07 lorsque les pages sont disposées en continu. Une partition de 639 années en temps normal ferait 47.000 km de pages!

On peut s'interroger sur l'intérêt d'une partition qui, écoutée en temps réel, à l'air d'être constitué d'un seul accord sans fin. Sa valeur est moins musicale et esthétique que philosophique, comme tout ce qui touche à l'art compositionnel chez Cage. ASLSP est pour son auteur une exploration, une découverte de la lenteur, une manière de décortiquer le temps, supposé fuyant et sans transition. En outre, Cage considère la partition comme la graine d'un arbre qui grandira dans le futur ; l'oeuvre est un symbole de confiance en l'avenir de l'humanité et de transmissions de vie aux générations prochaines. La force métaphorique de la pièce est très grande au point que la performance à Halberstadt est régulièrement au coeur des médias. Le dernier changement de note en 2006 a été filmé par plus de 50 grands médias de part le monde. Chaque année, l'église de Saint-Burchardi attire 10.000 visiteurs désireux de participer à ce happening conceptuel.

Infos pratiques

Adresse :
Eglise de Saint-Burchardi
Am Kloster 1D
38820 Halberstadt
Allemagne

Horaires d'ouverture :
Du mardi au dimanche, de 11h à 17h d'avril à octobre et de 12h à 16h de novembre à mars.

jeudi 26 juin 2008

Le monde selon Héraclite

Les prémices de la philosophie sont apparus en Ionie au VIe siècle avant J.-C. lorsque, des penseurs appelés les "présocratiques" (car nés avant Socrate), s'émancipent de la religion pour apporter, par une fine observation de la nature, des réponses personnelles aux "mystères" de l'univers. Le plus important des présocratiques ioniens est incontestablement Héraclite d'Ephèse (ca 540-480), jeune aristocrate d'Asie mineure qui refuse la charge de roi en faveur de son frère cadet pour se consacrer pleinement à la contemplation et à la compréhension de la nature. Aristocrate, il le demeure pourtant par sa liberté intellectuelle et l'élévation de sa pensée : son œuvre, conservée à l'état de fragments et considérées comme particulièrement hermétique et obscure, s'adresse aux seuls esprits d'élite de l'époque. La perception du monde selon Héraclite (en perpétuel mouvement) et sa réflexion sur le temps sont un des premiers grands moments de la pensée humaine.

UNE SUBSTANCE : LE FEU

Héraclite part du principe que tout ce qui existe est constitué d'une substance primordiale et unique : le Feu. Trois autres présocratiques ont envisagé l'idée d'une substance première : Anaximène avait élevé au rang de principe primordial l'Air, Thalès l'Eau et Xénophane la Terre. Pourquoi précisément le feu chez Héraclite. Sans doute parce que sa force destructrice et son action bienveillante (sous forme de chaleur et de lumière) sont indispensables pour le développement de toute vie. Sans doute aussi parce que c'est sous l'action du feu que les corps changent d'état, l'eau par exemple passe du solide au gazeux, le feu serait le moteur de ces transformations.

Malgré ses innombrables changements d'état, le Feu ne subit, selon Héraclite, aucune augmentation ou diminution de sa substance, aucun gain ou aucune perte de son énergie (ce que les lois de la thermodynamique infirmeront des siècles plus tard). Autrement dit, notre monde qui est un et limité (c'est-à-dire un système clos inaltérable), subit un cycle de constructions et de destructions (par embrasement) à l'infini.

"Ce monde-ci, le même pour tous,
Nul des dieux ni des hommes ne l'a fait
Mais il était toujours, est et sera, un feu toujours vivant
Feu éternel s'allumant en mesure et s'éteignant en mesure."

UN MONDE EN PERPETUEL MOUVEMENT

Par ailleurs, pour Héraclite, le monde n'est pas immobile ou inanimé comme les hommes le croient. Notre durée de vie très minime nous empêche de voir que les étoiles, les montagnes ont elles aussi des cycles de vie changeants et fuyants, qu'elles subissent dans l'infini du temps une quantité importante de transformations. Le mérite extraordinaire d'Héraclite est de considérer que l'homme n'a pas au départ le pouvoir de connaître la Nature, faute de Raison : à peine nous apprêterions-nous à porter un jugement sur un fait donné que déjà celui-ci, se serait dissipé pour donner naissance à un autre, forcément différent de lui. L'image d'un monde chaotique en perpetuel mouvement est rebelle à toute explication, à toute théorie fondée sur des lois stables. La seule vérité qui soit est celle du perpétuel mouvement.

LA RAISON, PRINCIPE DE CAUSALITE DU MOUVEMENT

Pour trouver néanmoins une stabilité dans cette pensée du mouvement continu, Heraclite prend le soin de considérer que le changement n'est pas le fruit du hasard, il est la conséquence d'une certaine détermination dans la Nature régie par des lois immuables et constantes, celles de la Raison. Tout dans la Nature devient, se transforme et se reforme par un principe de nécessité, gouverné par la Raison. Ces transformations ne se font pas de manière aléatoire. Il y a un principe de causalité dans le changement : tout événement est précédé ou suivi par un autre événement car il est impossible qu'il naisse de rien ou qu'il se réduise à rien. Par ailleurs, la succession des transformations, lié à un principe d'opposition des phénomènes (jour/nuit ; été/hiver ; vie/mort) sont à la base de l'harmonie de l'univers :

"L'opposé est utile, et des choses différentes naît la plus belle harmonie (et toutes choses sont engendrées par la discorde.)"

LE "GRAND CYCLE"

Quelle que soit la raison de ces causalités (et notamment l'idée d'harmonie), Héraclite va mettre en évidence la notion de "Grand Cycle", un cycle fermé qui revient périodiquement voire éternellement. Des modèles réduits de ce cycle existent dans la nature : cycle solaire, lunaire, révolution des étoiles. Aussi, par-delà de l'idée d'un monde en perpétuelle transformation, Héraclite met en évidence l'existence d'une certaine uniformité des lois de la Nature. Celle-ci ne se déroule pas en ligne droite mais en cercles (cycles) clos et répétés. Cette idée de cycles est capitale dans l'histoire de la pensée. Elle permet au philosophe d'évacuer la notion de commencement ou de fin du monde. La matière primordiale (le Feu) a toujours existé, elle n'est pas née de nulle part et ne s'éteindra pas dans un néant car le monde n'est pas engendré suivant la notion de temps mais selon la pensée. La formation de l'univers et de la nature satisfait en premier lieu à des nécessités logiques pilotées par la Raison. Dès lors, le temps n'est rien d'autre que l'ordre dans lequel les événements se succèdent et non plus la condition de leur existence...

Vingt-cinq siècles plus tard, cette réflexion constituera l'un des fondements de la pensée du philosophe Hegel pour lequel le monde est un et ne naît pas suivant le temps, mais selon la pensée...

mercredi 25 juin 2008

Miscellanées culinaires

Après les Miscellanées de Mr Schott, déjà évoquées sur ce blog, l'édition française des Miscellanées culinaires du même auteur est enfin disponible. Présentation et mise en page toujours aussi tirée à quatre épingles, et une fois encore une foule de renseignements gastronomiques, des plus anecdotiques aux plus incroyables, à la croisée du livre de recettes, du guide des bonnes manières, de la carte des vins, de l'histoire de l'alimentation. Moins futiles que la première série de Miscellanées, celles consacrées à la cuisine donnent autant d'esprit à la nourriture que de nourritures à l'esprit. L'ouvrage donne même un aperçu assez étendu des us et coutumes britanniques, sans doute les plus complexes et raffinées d'Europe, et pénètre au cœur de la culture anglaise qui compte parmi ses incontournables trésors la succulente cuisine de ses anciennes colonies.

Deux extraits pour mettre l'eau à la bouche :

SPAM
Spam (contraction de Spiced Ham, jambon épicé) est une marque de pâté en conserve déposée en 1937. Les Monty Python en ont parodié la publicité indigeste dans un sketch où le menu d'un restaurant, puis les propos qui s'y échangent, se réduisent peu à peu à un seul mot spam - d'où le choix du terme pour désigner les courriers électroniques envahissants (ou pourriels).

CURRY
Le mot curry dérive du tamoul kary (condiment ou sauce épicée pour le riz) ; il a transité via le kanara karil, le portugais caril, le français cari (attesté dès 1602à, enfin via l'anglais qui a imposé son orthographe. Par métonymie, il désigne à présent tous les plats indiens et orientaux que l'on cuit dans une sauce à base de ce mélange d'épices pulvérisées. Voici une description sommaire des currys les plus populaires dans les restaurants anglo-indiens :

TYPE.........INGRÉDIENTS & CARACTÉRISTIQUES......... PIQUANT (1-5)

BALTI.......curry cuit doucement dans une petite marmite..... variable
BHUNA.....curry sec, avec une sauce à la noix de coco................ 2
BIRIANI...curry épicé, à base de riz.........................................variable

CEYLAN... noix de coco, citron, piments..........................................3
DHANSAK...assez doux, servi avec une purée de lentilles........... 3
DOPIAZA..beaucoup d'oignons.........................................................3
JALFREZI..poivre vert, piments, oignons..........................................3
KARAHI....sec et brûlant, avec oignons et tomates.........................3
KASHMIR..curry doux avec des fruits, souvent des litchis..............3
KORMA....curry crémeux, très doux, souvent avec amandes.........1
MADRAS...tomates, amandes, jus de citron et piments...................4
PASANDA...curry crémeux avec de la noix de coco et amandes........1
PHAL.......piments, piments, piments : stupidement épicé...............6
RHOGA JOSH..agneau, yaourt, piment et tomates.........................4
THAL...assortiment varié de différents plats...............................variable
TIKKA MASALA...curry crémeux, très aromatisé, très apprécié.......1
VINDALOO... aigre, avec tomates, piments et pommes de terre.......5


Les citations ne manquent pas non plus dans les Miscellanées. En guise de conclusion, je ne peux manquer de rapporter celle - irrésistible - de George Bernard Shaw :

"Si les Anglais peuvent survivre à leur cuisine, ils peuvent survivre à tout".

mardi 24 juin 2008

Les Chevaliers de la prospérité

Depuis presque 20 ans, Eugène Gurkin, un nettoyeur de toilettes à New York, rêve d'ouvrir son propre bar dans le Queens, mais les quelques dollars de fond qu'il a en poche n'inspirent aucune confiance aux sociétés de crédit. Un jour, il voit un jour un reportage sur Mick Jagger, installé depuis peu dans un luxueux appartement de la 5e Avenue, et se mit en tête de le cambrioler. Gurkin va ainsi former avec cinq autres paumés de la ville la plus sympathique des organisations criminelles : les Chevaliers de la Prospérité, sorte de Robin des bois du XXIe siècle. Ensemble, ils tenteront de dérober la clé de l'appartement de la rock-star (devenue pour le coup l'incarnation de toutes les inégalités que connaît l'Amérique), de trouver le code d'accès de la porte d'entrée et de déjouer l'attention des gardes avec un manque de professionnalisme à la base des situations les plus loufoques.

Rassemblée en 13 épisodes, la série The Knights of Prosperity (2007), diffusée dernièrement sur Be est signée Rod Burnett et coproduite par le chanteur des Stones himself qui y interprète - admirablement, même si c'est au second degré - son propre personnage. Bien qu'ils se la jouent très "anti-héros-qui-partent-en-guerre-contre-le-méchant-système-capitaliste", les Chevaliers ne manquent pas de répliques triviales du plus beau comique. Les situations invraisemblables (à la limite de l'absurde) dans lesquelles ils s'aventurent permettent à cette série décalée de trancher avec la lourdeur un peu inepte des comédies commerciales américaines.

lundi 23 juin 2008

Le blog de Tri Tri

Internaute invétéré et mélomane passionné, l'historien français Pierre-Jean Tribot, a décidé de lancer depuis peu son propre blog : http://tritrileblog.blog.com/. Cinéma, musique(s) et arts plastiques seront (quotidiennement?) au rendez-vous. L'approche s'annonce pour le moins en dehors des sentiers battus et c'est tant mieux. Je profite de l'occasion pour évoquer la sortie récente de son excellent ouvrage sur l'Expo 58 (Tri Tri nous avait consacré une brillante interview sur le sujet peu avant la sortie du livre), mine d'informations et synthèse intellectuelle remarquable sur un sujet qui continue de fasciner l'imaginaire du peuple belge.

dimanche 22 juin 2008

Zidani et le Mystère de la nativité

Encore peu connue en dehors des sphères théâtrales bruxelloise, la comédienne Sandra Zidani, ancienne condisciple d'Athénée évoquée il y a peu sur ce blog, produit depuis son premier one woman show, La petite comique de la famille (1993), des spectacles truculents inspirés pour la plupart de situations réelles et de souvenirs d'enfance qui rendent son univers littéraire authentique et attachant.

Outre la délirante Fabuleuse étoile en 2007 (l'histoire de la chanteuse populaire Stéphanie Jacques, lancée par le producteur Freddy Sirocco, gagnante de l'Eurovision en 2010, morte tragiquement à l'Olympia en 2023), j'ai eu l'occasion de voir la reprise de Va-t-'en savoir! (2000), satire excellente et féroce d'une école qui prépare le départ à la retraite de sa directrice.

Zid y joue plusieurs personnages : la directrice qui répète son discours aux côtés d'un assistant analphabète, la déléguée syndicale scolaire dont l'altruisme se limite à l'amour de sa personne, la prof dépressive que l'on n'invite pas à sa soirée anniversaire, la professeur de français géniale et tyrannique qui est en réalité un portrait au vitriol d'une pédagogue remarquable que nous eûmes comme maître à penser de 1987 à 1989, ou encore la professeur de religion qui explique le Mystère de la nativité à sa faune prépubères. Cette leçon de catéchisme, sketch croustillant inspiré par une expérience personnelle (Zidani a été professeur de religion protestante durant une dizaine d'années), donne la pleine mesure des talents d'écriture de la comédienne dont on savourera qui plus est le petit accent bruxellois.





A moins de la retrouver sur Facebook, son site perso vaut un petit détour : http://www.zidani.be/ (on peut y découvrir ses propres peintures et son amour pour l'art). A voir également, le site de son personnage Stéphanie Jacques : http://www.stephaniejacques.be/, reine du mauvais goût musical dont pourrait se revendiquer le talent médiocre d'une Cindy Sanders. Différence marquante, quand Zidani chante, la voix est bien plus inspirée (elle suit des cours de chant depuis quelques années) et ses textes, lorsqu'ils ne parodient pas avec humour les chansons françaises des années 70 et 80, sont d'une qualité littéraire évidente. Une Juliette belge en puissance, à coup sûr...


Zidani en Stéphanie Jacques

samedi 21 juin 2008

The Queen Is Back

Egérie de la musique disco dans les années 70 et 80, Donna Summer fait un come back remarqué avec son nouvel album, Crayons. Stylistiquement, le disque use de toutes les ficelles de la R&B contemporaine et de rythmes "dances" très efficaces. Sans rivaliser avec la qualité mélodique et les atmosphères irrésistibles de Hot Stuff, I Feel Love, MacArthur Park, I Love To Love You Baby, On The Radio, No More Tears (formidable joute vocale avec Barbra Streisand), ce nouvel opus offre quelques moments entraînants rehaussés de sonorités électroniques très soignées. I'm A Fire, Stamp Your Feet, The Queen Is Back, Science of love, sont des tubes qui prouvent qu'à l'aube de ses 60 ans (elle les fêtera en décembre prochain), la reine de Boston conserve son pouvoir de séduction vocale intact.

Ne manquez pas une visite du site officiel, convivial et agrémenté vidéos plaisantes :
http://www.donnasummer.com/


I'm A Fire (version longue)


The Queen Is Back

vendredi 20 juin 2008

Les concours musicaux de la Grèce antique

Il est surprenant de penser que seuls quelques rares fragments de musique nous soient parvenus de l'Antiquité grecque alors que cet art était l'une des composantes fondamentales de la société. Les historiens et musicologues ont heureusement, c'est tout de même une maigre consolation, une connaissance sociologique et théorique très étendue de ce qu'était la musique dans l'Antiquité. Le sujet me passionne depuis longtemps. Je viens de terminer un texte remarquable d'Annie Bélis (Université de Paris IV & directrice de recherche au CNRS) sur les concours dans la Grèce antique dont je synthétiserai ici les principales idées.

Alors que les concours musicaux d'aujourd'hui permettent essentiellement à de jeunes inconnus de se faire connaître (des personnalités confirmées n'ont nullement besoin de passer les concours), la Grèce antique (dès la fin du VIe siècle) voit au contraire s'affronter les musiciens les plus en vues (un peu comme dans nos tournois de tennis où les plus grands joueurs s'opposent).

Dans le monde antique, les concours les plus importants sont ceux de la "periodos", circuit de trois concours de haut niveau organisés à Delphes (les "Pythia", concours le plus prestigieux), à Némée et à l'Isthme (près de Corinthe) programmés sur une durée de quatre ans : l'Olympiade, sorte de grand chelem musical. Les concours de la "periodos" sont avant tout des festivités religieuses organisées en l'honneur d'un dieu, dans le périmètre de son sanctuaire, ils sont placés sous l'invocation d'Apollon à Delphes, de Zeus à Némée, de Poséidon à l'Isthme. Autre particularité, les lauréats des Olympiades sont récompensés par des couronnes de feuillage, dépourvues de la moindre valeur marchande. La victoire est purement honorifique (il existe cependant à l'époque hellénistique et impériale des concours généreusement rétribués mais ils s'inscrivent dans un contexte purement profane). Les concours musicaux de la "periodos" ne sont pas organisés de manière indépendante : ils font partie d'un ensemble de compétitions plus vaste comprenant, outre les épreuves musicales, des concours athlétiques et hippiques... Les trois concours de Delphes, Némée et l'Isthme sont panhelléniques, c'est-à-dire qu'ils sont exclusivement réservés à une même communauté de sang, de langue, de culture de religion, les Grecs, qui, en dépit des discordes, aiment revendiquer leur "grécité" commune à travers ces événements à la fois religieux, artistiques et sportifs, à haute valeur fédératrice.

Outre ces trois concours musicaux, il en existe d'autres, de second rang à Athènes : les Panathénées (dès 566 avant J.-C) et les Dionysies qui mettent en compétition uniquement des chorales, généralement des groupes d'une cinquantaine de citoyens athéniens, spécialisés dans les chœurs du théâtre tragique, comique ou satirique constitués de longs chants d'une centaine de vers. Là encore, ces concours musicaux sont combinés à des fêtes religieuses (sous la protection d'Athéna et de Dionysos) et à des épreuves gymniques et hippiques. Le grand législateur Périclès (Ve siècle avant J.-C) a fait construire le premier odéon en pierre pour les épreuves musicales des Panathénées.

Chaque concours a ses spécificités. Les épreuves les plus fréquentes sont les concours d'aulos solos (la double flûte des vases grecs), d'aulos avec chanteur, d'aulos avec choeur, de cithares solos, de cithares avec chanteur et enfin de rhapsodes (chanteurs qui pratiquent la récitation psalmodiée de vers épiques). Les concurrents s'affrontent à armes égales en interprétant le même morceau, des partitions dont chaque partie comportait une difficulté particulière. Les épreuves les plus complexes sont les "nomes pythiques" de Delphes, pièces en quatre ou cinq parties (là encore les musiques ne sont pas parvenues) narrant le combat d'Apollon et du serpent Pythôn (envoyé sur Terre pour empêcher le dieu de fonder son sanctuaire delphique). Ils cumulent tous les obstacles techniques. Les Grecs les considèrent comme le nec plus ultra de ce qu'un virtuose au sommet de son art peut réaliser.

Il existe deux catégories de compétiteurs : les enfants et les adultes (il faut un minimum de 16 ans pour appartenir à cette dernière catégorie). Les femmes ne sont pas exclues de certaines épreuves. Un compétiteur peut s'inscrire à plusieurs disciplines à la fois : d'excellents joueurs d'aulos (les aulètes) sont aussi connus comme chanteurs lyriques et acteurs comiques. Tout comme à notre époque, les historiens relèvent des cas de sportifs qui excellent dans les disciplines musicales (les Yannick Noah de l'Antiquité).

Généralement, les artistes interprètent les oeuvres des concours devant un jury de plusieurs personnalités toujours munies d'un long bâton (on en relève six à Delphes). Les concurrents exécutent en principe leur chant ou leur pièce instrumentale jusqu'au bout sauf s'ils sont trop médiocres : dans ce cas les juges tendent leur bâton horizontalement, les artistes sont exclus et risquent même des coups de fouet! Un seul lauréat triomphe par épreuve (il n'y a donc pas de classement), désigné après le vote du jury. Une victoire dans l'un des grands concours donne de nombreux privilèges et honneurs. Le vainqueur peut ainsi ériger par décret sa statue dans la cité, en indiquant son nom sur la base. Delphes a ainsi conservé un grand nombre de socles de statues en bronze de musiciens (aujourd'hui disparues).

Les sources antiques mentionnent le nom de nombreux candidats et lauréats de concours. L'un des plus célèbres n'est autre que l'empereur Néron, artiste médiocre et d'une totale mauvaise foi, qui, d'après les témoignages, se prenant pour le plus grand chanteur et joueur de cithare de son époque, s'est présenté aux plus grands concours de la Grèce.

jeudi 19 juin 2008

La Visite de la fanfare

Une petite perle dans le paysage cinématographique israélien : La Visite de la fanfare, premier long métrage d’Eran Kolirin au scénario minimaliste. Afin d’inaugurer le centre culturel arabe de Petah Tiqva (en Israël), la fanfare de la police d’Alexandrie débarquent à l’aéroport de Tel-Aviv, vêtue de son uniforme bleu ciel, les épaulettes alignées au cordeau. Aucune délégation n’attend ces huit musiciens à l’aéroport, un manque de coordination de services administratifs sans doute. Sous la conduite de leur chef, l’autoritaire Tewfiq (Sasson Gabai) qui a des petits airs d’Omar Sharif, les musiciens estiment important de remplir leur mission en grande pompe (d’autant que les subventions allouées en dépendent) et comptent se rendre à Petah Tiqva. Une mauvaise prononciation de l’hébreu les mène pourtant à Beit Hatikva, bled perdu au milieu des sables qui vit de la répétition ennuyeuse d’un quotidien sans surprise. Trop tard pour faire marche arrière, il n’y a plus de bus avant le lendemain, et naturellement aucun hôtel sur place comme le leur apprend Dina, Israélienne d’une quarantaine d’année qui tient le café local. Dina propose l’hospitalité à Tewfiq et Khaled, le bellâtre de la fanfare, et parvient à caser les six autres musiciens chez des amis ou parents israéliens plus ou moins consentants.

Une fois l’exposition lancée, ce qui aurait pu être une farce comique sur le choc des civilisations est au contraire un dialogue des cultures sensible et intelligent, placé sous le signe de l’espoir et de la fraternité. Pas d’action véritable, mais des dialogues subtils où chacun expose (dans son anglais approximatif) sa solitude, sa quête désespérée d’amour, ses querelles familiales (les tirs de la trahison par-dessus l’oreille des invités sont parfois aussi violents que les conflits armés), des leçons de vie universelles qui dépasse le cadre de chaque culture. Lorsque les limites de la communication sont atteintes, par pudeur ou faute de vocabulaire, les délicates plages de silence, le langage des corps et la musique (Summertime, My Funny Valentine) prennent le relais.

Film résolument optimiste sur le rapprochement et la proximité des peuples (Dina révèle que les Israéliens ne manquaient aucun film arabe à la télé chaque vendredi midi), La Visite de la fanfare, suggère implicitement que cet idéal de paix est possible lorsque les convictions religieuses sont mises à l’écart. Provocation ou militantisme, la religion est d’ailleurs l’unique absente du film. Personne ne s’en plaindra.

mardi 17 juin 2008

Ostende, la reine des plages

Week-end à Ostende pour y fêter l'anniversaire d'un ami alsacien proche. J'ai découvert la reine des stations balnéaires belges en février 1987, aux côtés d'une troupe de jeunes Canadiens venus en Belgique dans le cadre d'un échange théâtral (j'allais jouer quelques mois plus tard à Montréal et Québec avec la troupe de mon lycée qui comptait notamment Serge Morel, plus connu aujourd'hui comme transformiste à Bruxelles sous le pseudo de Maman, et la comédienne bruxello-kabyle Sandra Zidani, déjà très douée à l'époque).

Je suis régulièrement retourné depuis, pour admirer à chaque fois la magnifique colonnade des thermes, magnifiée dans les aquarelles symbolistes de Spilliaert ou pour voir les vieilles boutiques d'antiquaires à l'exemple de celle que tenaient les parents de James Ensor. Chez un antiquaire, nous dénichons une très belle xylographie du graveur flamand Frans Masereel (que Stefan Zweig admirait particulièrement). Les longues promenades sur la plage ou la digue sont de bonnes occasions pour nous adonner à la photographie!

lundi 16 juin 2008

Souvenirs d'Ephèse

Juillet 1993. Deuxième voyage en Turquie. Découverte de la côte ionienne aux côtés de ma mère. Nous ne parlons pas un mot de turc mais l'aventure est totale. Je tiens des carnets de route. Je retombe aujourd'hui sur l'un deux et me rappelle des souvenirs, des lieux et des visages oubliés, je retrouve quelques croquis d'églises en Cappadoce, quelques poèmes écrits les soirs de mélancolie.
Dont ces lignes sur Ephèse que je relis avec nostalgie.

Usurpée, cette terre de nos ancêtres s'est vengée.
Ce pays s'est fait aussi dur que le silence.
Il serre dans la lumière ses vignes,
Et ses oliviers sont orphelins.
Les mamelles d'Artémis se sont flétries,
Fendues comme les sillons des dalles embrasées.

Jean devait combattre le paganisme.
Les missionnaires d'un faux dieu ont triomphé de lui.

Cette patrie blasphémée serre les dents.
Il n'y a plus d'eau. Seulement de la lumière.
Des torrents de lumière qui aveuglent la raison.
Les sept dormants sommeillent à jamais,
Sous le marbre, unique ombre de leurs enclos.

samedi 14 juin 2008

Quand l'ordinateur décrypte vos pensées

Saviez-vous que l'ordinateur peut lire les chiffres de vos pensées... Pour vous en convaincre, cliquez ici :

http://www.k-netweb.net/projects/mindreader/

Une fois l'exercice effectué, lisez la suite pour comprendre le fonctionnement mathématique de ce jeu.

Si l'on pense à un chiffre de 1 à 9 et qu'on le soustrait à lui-même, dans les neuf cas le résultat sera égal à zéro... Pas très sorcier comme calcul, mais ce qui nous a mis la puce à l'oreille, c'est que d'office pour chacun des neufs chiffres on tombe toujours sur ce même zéro après soustraction, et donc sur le même symbole, prenons par exemple le symbole £ pour nos prochains exemples.

Et si cela fonctionnait pour les dizaines suivantes? En faisant le calcul pour les nombres de 10 à 19, chaque soustraction donne cette fois le chiffre 9 : ex : 19 - 9 - 1 = 9 tout comme 13 - 3 -1 = 9. Comme par hasard ce chiffre neuf est lui aussi affublé du symbole £. L'exercice marche également pour les dizaines suivantes, pour chaque nombre, nous tombons sur un multiple de 9 compris entre 9 et 81... Et bien évidemment chacun de ces multiples est associé au symbole £. Pas si sorcier que ça en fin de compte...

vendredi 13 juin 2008

Bremen et Anderszewski : la perfection beethovénienne

La Deutsche Kammerphilharmonie Bremen est à mon sens la meilleure formation actuelle pour l'interprétation des oeuvres de Beethoven. La Symphonie héroïque donnée au Mostly Mozart Festival de New York avec le chef estonien Paavo Järvi en 2005 et le début de l'intégrale au disque des Symphonies (chez Virgin) sont deux expériences inégalables tant les troupes de Bremem ont placé le degré d'excellence à des hauteurs jamais atteintes. Un travail qui découle clairement des interprétations sur instruments anciens : transparence absolue des cordes, rage de l'interprétation, engagement hors normes des pupitres, justesse irréprochable de chaque musicien (y compris au concert), jeu fruité des bois, dynamiques incisives (les timbales vibrent d'une tension sans pareil), phrasés d'une beauté suprême.

Le Premier Concerto pour piano fraîchement paru chez Virgin, avec Piotr Anderszewski au piano et à la direction, confirme toutes les qualités énoncées. Qui plus est, le pianiste y est d'une élégance exemplaire : Anderszewski évite les maniérismes narcissiques et poseurs qu'on peut lui reprocher par exemple dans ses Chopin, son jeu s'avère éminemment poétique et tendre, lyrique à souhait (l'aria du largo central est à pleurer), racé et électrique dans les mouvements vifs.

En ouverture, les Six Bagatelles de l'op. 126, contemporaines de la 9e Symphonie, des miniatures dont Anderszewski restitue tout le côté visionnaire, curieusement proche des élans fugitifs et fantomatiques d'un Schumann.

jeudi 12 juin 2008

Le site des cantates de Bach

Les musicologues comme les amoureux de la musique vocale de Johann Sebastian Bach trouveront leur bonheur sur LE site de référence consacré, comme son nom l'indique, à l'ensemble des cantates du cantor de Leipzig :

http://www.bach-cantatas.com/

Malgré une présentation désuète, laide et austère ("protestante" diraient les mauvaises langues), ce site fournit une mine de renseignements majeurs : à commencer par l'intégralité des textes allemands de chaque cantate, la traduction de la plupart d'entre elles, des indications sur l'auteur de ces textes. Très utile également, la mise à disposition en format pdf de l'intégrale des partitions (sous format piano-chant), les nombreux commentaires musicologiques, la bibliographie, la discographie de chaque cantate.

On appréciera aussi les diverses classifications proposées, à commencer par ce tableau qui regroupe les cantates par types de voix (ex. les cantates pour basse seule, celles pour soprano et ténor, celles pour alto, ténor et basse encore pour les cantates pour choeur seul...). Très louable aussi cette rubrique qui indique la source de toutes les mélodies de choral utilisées par Bach ! Etonnants encore l'entrée qui regroupe l'essentiel des transcriptions et arrangements effectués à partir des cantates de Bach, l'agenda des concerts établi pour chaque cantate, le programme fourni pour tous les festivals Bach du monde (dont l'excellent Festival Bach en Vallée Mosane de Philippe Pierlot à Liège!), la grille de correspondances entre les cantates et le calendrier luthérien contemporain, la partie iconographique, les liens internet et encore bien d'autres informations. Un travail colossal, à la mesure du maître allemand.

Comme si les cantates ne suffisaient pas, le site est en train de s'élargir aux autres oeuvres vocales et instrumentales de Bach, offrant là encore un maximum de renseignements précieux.

mercredi 11 juin 2008

Nicolas Christou, un Grec d'Alexandrie

J'ai eu le très grand plaisir de passer deux heures en compagnie du baryton-basse Nicolas Christou, professeur de chant au Conservatoire de Liège. Elève du grand Frédéric Anspach à Bruxelles, il entame sa carrière à 21 ans au Théâtre de la Monnaie - scène prestigieuse où il incarnera Figaro, Golaud, Don Giovanni, Boris Godounov, Philippe II, Wotan, Jochanaan, Falstaff, Don Alfonso (ce dernier aux côtés d'Armin Jordan en 1976 qui lui a proposé de venir à Bâle!) - rôles qu'il reprendra par la suite sur les plus grandes scènes internationales, notamment en Allemagne, avant de se consacrer à la pédagogie.

Fidèle lecteur de ce blog, Nicolas Christou est issu d'une famille grecque d'Alexandrie, ville cosmopolite où il a passé les dix premières années de sa vie, après quoi ses parents s'installèrent huit ans au Congo et quelques mois à Athènes avant son arrivée en Belgique. Amoureux de la culture hellénique, Nicolas Christou a souhaité partager quelques souvenirs de jeunesse, à la source de notre rencontre ce mardi.

Son amour pour le chant lui est venu en Egypte. A Alexandrie, son père qui tenait un négoce de tissus de luxe très convoités par la bourgeoisie grecque pour la confection sur mesure de costumes de qualité, était un fervent amateur de musique. Il allait régulièrement écouter avec son rejeton les grandes voix grecques de l'époque, à commencer par Sophia Vembo et Nikos Gournakis - sorte de Tino Rossi grec durant les années50 - qu'ils appréciaient tout particulièrement (Nicolas Christou m'a montré une très belle photo de son père aux côtés de Gournakis dans une taverne de la ville). L'influence de ces artistes majeurs aura été déterminante dans l'orientation professionnelle du baryton. Cinquante ans plus tard, l'écoute de leur musique intense et nostalgique fait ressurgir ce monde cosmopolite entièrement révolu.

Après quelques évocations musicales, nous avons eu l'occasion de parler de littérature, et notamment de Marguerite Yourcenar et de sa traduction (ou, selon moi, sa libre interprétation) de Constantin Cavafy. Comme tous les Alexandrins, Nicolas Christou est fasciné par la poésie de son compatriote, il admire la profondeur de sentiments et la passion, dissimulés derrière une pudeur maladive et une économie des moyens lexicaux. C'est un véritable bonheur de l'entendre parler du poète avec autant d'ardeur.

Nicolas Christou a personnellement connu un autre mythe de la culture grecque, Manos Hadjidakis (l'auteur de la chanson Les Enfants du Pirée, immortalisée par Melina Mercouri dans Jamais le dimanche et qui lui valut un oscar en 1961), le plus grand compositeur grec avec Mikis Theodorakis. Hadjidakis est venu à plusieurs reprises à La Monnaie, à la demande de Maurice Béjart qui était fou de sa musique et réalisa une chorégraphie pour son Ballet du XXe siècle sur Les Oiseaux (partition inspirée par la pièce d'Aristophane). Nicolas Christou se souvient que lorsqu'il mit en scène La Traviata, Béjart souhaitait que la direction musicale revienne au compositeur grec, également chef d'orchestre (il a exercé cette fonction à l'Orchestre de l'Etat d'Athènes, à l'Opéra National et à la Radio Nationale grecque). A l'occasion de ses visites bruxelloises, Hadjidakis était régulièrement reçu par Nicolas Christou dans l'appartement qu'il occupait près de l'église Saint-Michel. Fin gourmet, le chanteur se rappelle lui avoir préparé pendant des heures une spécialité culinaire grecque assez roborative, du lapin au vin rouge, que Hadjidakis refusa de manger, à regret, à cause de son diabète...

L'anecdote fut l'occasion d'évoquer avec Nicholas Christou la gastronomie grecque (le lien le plus tangible avec ses souvenirs de jeunesse) que lui et son épouse préparent avec le plus grand soin. Nous nous sommes promis de déguster ensemble quelques mets nationaux au retour des vacances.

mardi 10 juin 2008

Manifestation pour la hausse du pouvoir d'achat à Liège

Entre 15.000 et 20.000 travailleurs ont défilé ce lundi à Liège contre la baisse du pouvoir d'achat à l'initiative des syndicats socialistes et chrétiens. Le cortège, plutôt bon enfant, passait par le boulevard Piercot, longeant à coups de sifflets et de pétards, la Salle Philharmonique. Irrésistible... Il m'a semblé important, à titre symbolique et en toute neutralité idéologique, de marcher quelques minutes aux côtés des manifestants, les problèmes sociaux qu'ils ont dénoncés sont cruciaux et dépassent le cadre des clivages politiques traditionnels : l'index en Belgique ne parvient pas à rattraper l'inflation, situation qui devient intolérable pour les petits salaires, à la limite du seuil de pauvreté ; la flambée de l'immobilier contraint une famille à s'endetter entre 30 et 40 ans avant d'acquérir un logement ; les pensions de retraite sont les plus basses d'Europe, à quand également l'équité des salaires entre hommes et femmes qui mettrait un terme à une discrimination d'un autre âge? Relever les salaires nets les plus bas est une nécessité absolue. Il est temps effectivement que les dirigeants politiques (tous partis confrondus) soient enfin à l'écoute des citoyens, qu'ils réalisent la détresse dans laquelle vivent les plus défavorisés (détresse qui touche petit à petit les moyens salaires), qu'ils prennent à bras-le-corps un ensemble de problèmes qui nous concernent tous.

Ce reportage sur RTC Liège donne le ton : http://www.rtc.be/content/view/5301/166/

lundi 9 juin 2008

Einstein : pensées et aphorismes

Découverte de quelques citations d'Albert Einstein qui n'était pas seulement un physicien de génie. La plupart sont extraites de Comment je vois le monde, un petit livre où Einstein expose ses positions sociales, politiques, religieuses et économique au moment de l'avènement d'Hitler au pouvoir. Le moins que l'on puisse dire c'est que derrière le physicien se cache un homme d'une étonnante modestie, d'une extrême lucidité et d'une admirable sagesse....

"Le nationalisme est une maladie infantile. C'est la rougeole de l'humanité."

"Il n'existe que deux choses infinies, l'univers et la bêtise humaine... mais pour l'univers, je n'ai pas de certitude absolue."

"Ceux qui aiment marcher en rangs sur une musique : ce ne peut être que par erreur qu'ils ont reçu un cerveau, une moelle épinière leur suffirait amplement."

"Je ne pense jamais au futur. Il vient bien assez tôt."

"Il est plus facile de désintégrer un atome qu'un préjugé."

"Le progrès technique est comme une hache qu'on aurait mis dans les mains d'un psychopathe."

"La chose la plus difficile à comprendre au monde, c'est l'impôt sur le revenu."

"Je ne dors pas longtemps, mais je dors vite."

"N'essayez pas de devenir un homme qui a du succès. Essayez de devenir un homme qui a de la valeur."

"L'homme évite habituellement d'accorder de l'intelligence à autrui, sauf quand par hasard il s'agit d'un ennemi."

"L'imagination est plus importante que le savoir."

"Placez votre main sur un poêle une minute et cela vous semble durer une heure. Asseyez-vous auprès d'une jolie fille une heure et cela vous semble durer une minute. C'est ça la relativité."

"Il est hélas devenu évident qu'aujourd'hui notre technologie a dépassé notre humanité."

"Je sais pourquoi tant de gens aiment couper du bois. C'est une activité où l'on voit tout de suite le résultat."

"Le problème aujourd'hui n'est pas l'énergie atomique, mais le cœur des hommes."

"C'est le devoir de l'homme de rendre au monde au moins autant qu'il a reçu."

"Le hasard, c'est Dieu qui se promène incognito."

"Soit A un succès dans la vie. Alors A = x + y + z, où x = travailler, y = s'amuser, z = se taire."

samedi 7 juin 2008

Un Rossini pop-kitsch-schizo

Les amateurs de Rossini doivent impérativement acquérir le DVD de la superbe Pietra del paragone filmée en 2007 au Théâtre du Châtelet. Il y a au minimum trois bonnes raisons pour découvrir ce melodramma giocoso.

Premièrement, la musique (composée pour Milan, en 1812). Celle d'un Rossini de vingt ans d'une fraîcheur grisante tant chaque moment de la partition est inventif, survolté et servi par une orchestration délicieusement subtile, faite de petites touches de couleurs, ici une phrase de cor, là un hautbois, ailleurs un solo de clarinette, le tout est d'une rare fraîcheur. Côté chant, les lignes vocales fusent avec spontanéité, elles sont graciles, parées d'ornementations ciselées comme des arabesques. On est loin des roulades interminables de la période napolitaine. On comprend pourquoi dans sa Vie de Rossini, Stendhal considère La Pietra comme le meilleur ouvrage bouffe du maître, sans parler du livret extrêmement inventif bien qu'un peu tordu de Luigi Romanelli où un microcosme de parasites et de scribouillards vaniteux est vivement égratigné.

Deuxièmement, l'interprétation. Jean-Cristophe Spinosi a déjà démontré qu'il est un maître insurpassable dans Vivaldi (cf. les enregistrements exceptionnels de La Verità in cimento, Griselda et Orlando furioso), il prouve ici qu'il est aussi un rossinien de premier plan. Dans cette "Pierre de touche" sans pareil, il fouette, électrise, pousse aux limites des possibilités physiques l'Ensemble Matheus. On entend enfin un Rossini où l'orchestre n'est pas un faire-valoir, un orchestre qui vit, rayonne (merci les instruments anciens), brûle la chandelle par les deux bouts. Rien à voir avec les Rossini old fashion d'Alberto Zedda, aussi ennuyeux au disque qu'à la scène (le DVD de sa Pietra del paragone enregistrée à Pesaro en 2006 est mortel, malgré un casting de rêve). En outre, Spinosi architecture de manière remarquable. Chaque "pezzo chiuso" de l'oeuvre - cette structure quadripartite utilisée pour tout air ou tout ensemble - est construit idéalement : les parties lentes et lyriques se distillent dans l'air comme un parfum précieux, enivrantes mais sans le moindre statisme capiteux ; les parties rapides s'amorcent dans des tempi idéaux, vifs quand il le faut, bouillonnants lorsqu'on s'y attend le moins, sans la moindre sécheresse. Les fameux crescendos rossiniens sont ici des machines à donner la chair de poule. Charmante sans être exceptionnelle, la troupe de chanteurs est dominée par la basse François Lis et la contralto Sonia Prina au jeu irrésistible et communicatif.

Troisièmement, la mise en scène. Giorgio Barberio Corsetti et Pierrick Sorin ont transformé la scène du Châtelet en studio de télévision, les interprètes chantent et jouent devant des caméras qui les filment en permanence. Dans un coin du plateau, un manipulateur installe et désinstalle des maquettes de décors montées sur des roulettes. Ces maquettes sont filmées par d'autres caméras, en gros plan. Les images des chanteurs sont incrustées dans celles des décors puis reprojetées en temps réel sur trois grands écrans mobiles suspendus aux cintres, au dessus des interprètes. Le résultat donne des images kitsch-pop du plus bel effet (y compris sur le petit écran, et c'est bien l'une des rares fois où l'opéra passe aussi bien en télé), des vidéos déroutantes et poétiques qui tiennent chaque aria en haleine. Le caractère un peu schizophrène des doubles plans est du plus bel effet.

vendredi 6 juin 2008

Venise et les "vu comprà", de Donna Leon à la Biennale

Installée à Venise depuis plus de vingt ans, l'écrivaine américaine Donna Leon y situe l'ensemble de ses intrigues policières. Auteure des fameuses enquêtes du Commissaire Brunetti, vendues à des millions d'exemplaires à travers le monde, Donna Leon a trouvé un créneau fructueux en associant de manière réaliste les divers visages de la Venise contemporaine à l'histoire d'une famille mi-aristocratique mi-bourgeoise, celle de Brunetti et sa femme (issue d'une lignée patricienne). La dernière enquête du commissaire, De Sang et d'ébène, n'échappe pas à la règle. Donna Leon se penche ici sur les communautés africaines de Venise, essentiellement des Sénégalais qui vendent à la sauvette des contrefaçons de sacs de marque. Des illégaux installés dans la lagune depuis la fin des années 90. Les Vénitiens les surnomment les "vu comprà", expression hybride qui provient du jargon utilisé par les premiers vendeurs noirs durant leur négoce. Grammaticalement incorrecte, la formulation dérive du "vous" français et du "comprà" italien ("achetez").

Dans le roman de Donna Leon, un de ces vendeurs, originaire d'Angola, est retrouvé assassiné au Campo Santo Stefano. Sa mort est liée à un trafic de diamants bruts destiné au financement d'une révolte contre l'état angolais compromis dans un marché illégal avec une compagnie minière italienne. Si l'intrigue est un peu mince, le roman décrit avec force le quotidien de ces sans-papiers qui vivent en circuits fermés dans des squats insalubres du côté de la Via Garibaldi (Castello), tâchant de gagner quelques deniers pour les envoyer au pays. Confrontés à la haine des commerçants vénitiens qui voient en eux une concurrence doublement injuste (les illégaux Africains ne payent aucune taxe, ils vendent à bas prix de faux produits de luxe, au détriment des vrais marques), poursuivis par la police qui se garde pourtant de les mettre en prison - stratégie qui entacherait la logique politique d'extrême-gauche du maire communiste Massimo Cacciari, les "vu comprà" errent individuellement à Venise entre cinq et dix ans, migrant tour à tour vers le Ponte de l'Accademia, le campo Santo Stefano, les abords des églises San Mosè, San Salvatore et Santa Maria del Giglio, en attendant de connaître un sort meilleur...

En 2003, le pavillon américain de la Biennale de Venise a rendu un hommage exceptionnel aux "vu comprà" avec une installation qui est sans doute la création la plus forte de la Biennale cette année-là : Speak of me as I am (Parle de moi comme je suis) de Fred Wilson. A l'aide d'un système audio et de photographies des Sénégalais contemporains installés à Venise, Wilson a donné la parole à ces illégaux, leur laissant le soin de raconter leur origine, leur histoire, leurs peurs et leurs espoirs. Un document centré sur l'impossible rêve de trouver une place sûre dans un monde discriminateur et violent. Ces témoignages étaient mis en perspective avec des oeuvres vénitiennes du Moyen-Âge au XVIIIe siècle dans lesquelles apparaissent des personnages noirs : de Mantegna à Véronèse en passant par Carpaccio et bien d'autres. D'autres oeuvres (des bustes de Canova supportés par des noirs, des bougeoirs en verre supportés par des esclaves africains, des lustres de Murano ou des larmes en verre noir, des damiers symbolisant la notion de racisme, des projections simultanées d'Othello sur un même écran) permettaient à Fred Wilson de poser quelques questions essentielles sur la condition des noirs de Venise : qui étaient ces noirs? quel était leur statut? de quoi vivaient-ils? comment étaient-ils considérés? existait-il une communauté africaine dans la ville. La réponse, très nette, mettait en relief le regard condescendant et esclavagiste de la Sérénissime dans les siècles passés.

Les mentalités changent ; heureusement... Il est significatif de constater que depuis 2007, la Biennale de Venise a enfin inauguré le premier pavillon de l'art africain. Cette 52e Biennale a d'ailleurs remis le Lion d'or au photographe malien Malick Sidibé, une distinction méritée et une volonté pour Robert Storr, l'actuel directeur artistique de la Biennale, de valoriser les créateurs du continent africain. Depuis 1897, date de la première édition de la Biennale, l’Afrique n’y avait jamais été représentée que par le pavillon égyptien. On pourra toujours ergoter que le continent africain c'est un ensemble d'une soixantaine de pays, et qu'un seul pavillon pour toute la création noire c'est peu... C'est peu, mais c'est tout de même un bon début.

Le pavillon africain à la Corderie, été 2007

jeudi 5 juin 2008

Quand Carmen force sur le manzanilla

Que font en coulisses les six premiers lauréats du Concours Reine Elisabeth en attendant de pouvoir répéter avec l'Orchestre de l'Opéra Royal de Wallonie? Hilares, ils regardent sur Youtube cette vidéo de la "mezzo-soprano" Dragona Jugovic del Monaco interprétant le finale de Carmen de Bizet, un grand moment de malcanto. Il s'agit certes d'une version concertante, mais le spectacle est au rendez-vous, la Carmen en question a visiblement trop forcé sur sa bouteille de manzanilla et, ivre morte, elle arrive à peine à restituer ses répliques. On admirera le Don José sexagénaire qui reste d'un parfait stoïcisme, évitant à la dame de tomber. Et, pour ceux qui ne l'aurait pas remarqué, l'opéra est bien chanté en français!

Si la situation fait sourire, on peut toutefois déplorer que des organisateurs de concerts laissent cette artiste monter sur scène dans un état pareil. C'est d'eux qu'il faudrait le plus rire...

mercredi 4 juin 2008

Les natures mortes d'Adriaen Coorte

Les natures mortes du XVIIe hollandais m'ont toujours fasciné : jamais l'homme n'a observé son univers avec autant d'attention, doté incontestablement d'outils scientifiques qui lui permettent de mieux prendre connaissance du monde qui l'entoure. C'est ainsi que la peinture atteint un réalisme d'une précision chirurgicale (y compris dans les détails les plus subtils), le traitement de la lumière y frôle la perfection. A cette qualité picturale, mise à l'honneur au début du XVIIe siècle par les peintres de l'école de Haarlem, Pieter Claesz ou Willem Heda (allez les admirer au Musée des Beaux-Arts de Bruxelles) puis par les peintres d'Amsterdam (Karel Slabbaert), s'ajoute la beauté du discours philosophique de ces natures mortes, pensées comme des traités imagés sur la brièveté de la vie. Loin d'être mortes ou silencieuses (nature morte se dit "still life" en anglais), certaines compositions grouillent de vie et de chuchotements, habitées par un petit monde d'insectes, principalement des chenilles et des papillons qui rappellent que toute espèce, humaine, végétale, animale est en métamorphose permanente, que chaque mort ouvre la voie à une nouvelle naissance. Les peintures florales de Jan Davidsz de Heem et celles de Willem Van Aelst comptent parmi les réalisations les plus accomplies du genre.

(Van Aelst, Nature morte avec fleurs, 1665)

La Mauritshuis de La Haye présente en ce moment une trentaine de tableaux d'un petit maître injustement oublié, qui est véritablement un géant de la nature morte : Adriaen Coorte. On ne sait pratiquement rien de lui, si ce n'est qu'il a été actif entre 1683 et 1707 à Middelburg, en Zélande. Ses premières oeuvres sont influencées par un peintre d'Amsterdam, Melchior d'Hondecoeter, dont on suppose sans la moindre preuve que Coorte fut l'élève pour avoir copié à ses débuts quelques motifs animaliers. Coorte n'était pas inscrit à la guilde des peintres, ce qui laisse supposer une activité d'autodidacte. Depuis le milieu des années 1950, moment où le peintre est redécouvert par l'historien de l'art Laurens J. Bol, organisateur de la première rétrospective Coorte en 1958 au musée de Dordrechts, une soixantaine d'oeuvres du peintre ont été authentifiées. Le fait que la plupart figuraient dans des collections privées explique la méconnaissance de ce peintre jusqu'alors.

Les natures mortes de Coorte sont réalisées à la peinture à l'huile sur des papiers de petites dimensions, parfois le verso de simples feuilles de compte (!), documents fragiles qui furent plus tardivement collés sur des canevas de bois par ses premiers collectionneurs afin de mieux les protéger. Le peintre privilégie toujours les mêmes sujets : quelques fruits (fraises des bois, pêches, abricots, groseilles), quelques légumes (asperges en botte, artichauts), parfois combinés, souvent représentés individuellement, et, plus rarement, des coquillages précieux assemblés d'après le contraste des formes et de leurs couleurs (cinq de ces dessins ont été réalisés pour un bourgeois de Middelburg, Gerardus Beljard, son unique commanditaire connu à leur actuelle).

Les tableaux du maître se répètent avec une rigueur obsessionnelle : fruits et légumes sont représentés sur le bord d'une table de pierre légèrement fendillée, l'arrière-fond est noir, seul un filet de lumière, d'une force mystique, longe l'extrémité avant de la table. Les fraises des bois et les asperges sont les motifs les plus fréquents. Les premières sont parfois représentées soit dans le même pot en terre cuite, soit dans de jolis bols bleus et blancs en porcelaine Wan-Li importés de Chine par la Compagnie des Indes. Quelques rares papillons brisent la noirceur de l'arrière-plan, ajoutant une tâche de couleur à ces compositions d'une magnifique austérité.

Il se dégage de ces tableaux une douceur et une fragilité à mille lieux des natures mortes virtuoses et parfois grandiloquentes de l'école hollandaise. Les atmosphères de Coorte sont feutrées, silencieuses, l'artiste se contente de créer des images d'une simplicité naturelle, répétées inlassablement comme s'il s'agissait de percer, à la longue, le mystère des choses. Il y a chez lui un avant-goût de Chardin : avec cinquante ans d'avance, Coorte restitue aussi méticuleusement que son cadet la substance des objets. Il partage avec lui cette contemplation de la vie dans le plus pur silence, cette jouissance de l'intimité des choses qui leur donne une valeur pratiquement sacrée.

mardi 3 juin 2008

La Haye, cette belle inconnue

Petite escapade ce week-end à La Haye à l'invitation de mon amie Daisy qui y tient ses quartiers d'été. Comme beaucoup de monde, j'imaginais que La Haye était une ville administrative sans charme, une cité moderne regorgeant de bureaux et de gratte-ciel ennuyeux que les fonctionnaires désertent le week-end. C'est en réalité une des plus belles cités des Pays-Bas, injustement méconnue du grand public. Le centre historique est conçu autour du Binnenhof et du Buitenhof, un magnifique ensemble de bâtiments administratifs remontant pour certains au XIIIe siècle, qui jouxtent le Hofvijver (l'étang de la cour) et abritent les Etats-Généraux des Pays-Bas (la Chambre et le Sénat).



A proximité, on peut admirer de belles architectures bourgeoises de la Renaissance (l'ancien Hôtel de Ville) et de l'époque baroque, notamment la Mauritshuis qui renferme une superbe collection de peintures (La Leçon d'anatomie de Rembrant, la Jeune fille à la perle et la Vue de Delft de Vermeer). Les quartiers construits autour de ce centre historique datent pour la plupart de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Architecture éclectique, (le palais de la paix néo-Renaissance qui abrite la célèbre Cour Internationale de Justice), art nouveau, constructions de l'école d'Amsterdam (avec ses briques colorées et ses sculptures décoratives), modernisme des années 20 et 30 (proche du courant De Stijl) et art déco s'interprénètrent harmonieusement tout le long des rues et avenues.


De belles constructions contemporaines avoisinent également la gare et plus rarement le centre ville : le superbe nouvel Hôtel de Ville de Richard Meyer (tout en blanc) vaut à lui seul le détour, tout comme l'Anton Philips Zaal, l'une des salles de concerts les plus importantes de la ville, ou le tram souterrain et son formidable sol en marqueterie.


L'eau est également omniprésente : quelques canaux évoquent Amsterdam (sans l'agitation et la foule de la capitale) et, à quelques stations de tram du centre, apparaît la mer avec ses longues plages de sable, ses kilomètres de dunes (où l'on perçoit d'anciens bunkers de la Seconde Guerre mondiale) et son port de Scheveningen (la seule zone réellement industrielle de la ville).

De nombreux parcs, espaces verts, étangs, jardins, sans compter les arbustes qui poussent le long des façades, les fenêtres parées de fleurs, transforment la cité en un véritable écrin de nature. Curieusement, il n'y a pas de touristes à La Haye, ce qui donne à la cité une authenticité et un cachet incomparables, le tout complété par une qualité de vie optimale (propreté irréprochable, population calme et très avenante) et de structures urbaines très développées (réseau de transports en commun remarquable, offre culturelle très riche, services écologiques multiples). Et que dire de la panoplie de bons restaurants indonésiens, japonais, exotiques, végétariens qui rendent tout séjour précieux.



Si vous avez l'occasion d'y passer un week-end, ne manquez pas de descendre au fameux Hôtel des Indes, ancienne demeure citadine du Baron van Brienen, conseiller personnel du roi William III, qui, en 1881, fut vendu et transformé en un élégant hôtel lorsque les Pays-Bas perdirent définitivement les comptoirs de la fameuse Compagnie des Indes. L'Hôtel des Indes est à deux pas du musée Maurits Cornelis Escher, peintre et graveur néerlandais célèbre pour ses architectures impossibles, ses travaux sur la métamorphose et ses explorations de l'infini.