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Liège, Belgium
Né à Bruxelles dans une famille d'origine grecque, turque, albanaise et bulgare. Etudes secondaires gréco-latines. Licence en Histoire de l'art, Archéologie et Musicologie de l'Université de Liège. Lauréat de la Fondation belge de la Vocation. Ancien journaliste à La Libre Belgique et La Gazette de Liège. Actuellement Chargé de mission développement et médias à l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège. Directeur artistique-adjoint du Festival des Nuits de Septembre. Enseigne l'Histoire sociale de la musique aux Alumni de l'Université de Liège.

dimanche 3 février 2008

Fairuz, la turquoise du Liban

Fairuz (turquoise en arabe) est le mythe vivant de la chanson arabe. Nouhad Haddad de son vrai nom, Fairuz est née au Liban, en 1935. Elle est d'abord membre du chœur de la radio libanaise avant de se lancer dans la carrière soliste avec son premier enregistrement « Itab » (blâme) en 1952 et de monter sur scène en 1957 et de devenir l'invitée régulière du festival de Baalbek (fondé en 1956). Ses premières chansons, inspirées par les rythmes sud-américaines (l'adorable Yes'ed Sabahak) ou les mélodies occidentales (une très belle version arabe d’Arrivederci Roma de Renato Rascel), avec une combinaison subtile entre instruments arabes et orchestres occidentaux, ont la savoureuse nostalgie et l'insouciante légèreté des années 60. Ces opus de jeunesse s’inscrivent dans un contexte où Beyrouth s’impose comme l’une des villes les plus cosmopolites de l’Orient.

Fairuz deviendra l’icône du monde libanais lors de sa rencontre avec les frères Assi et Mansour Rahbani (le second deviendra son époux), également producteur de la plupart des films où elle apparaît en vedette (des comédies musicales ou des drames historiques). Le génie musical et poétique de ces deux artistes libanais oriente la carrière de Fairuz vers un style plus oriental. Leur art s’inscrit dans un contexte de revalorisation du patrimoine national. Il faut se rappeler que durant les décennies qui suivent la proclamation de l’indépendance du Liban (en 1943), les communautés urbaines du pays ont subi l’arrivée massive de populations rurales dont le poids culturel est considérable. Beyrouth a progressivement absorbé un nombre substantiel de personnes issues de villages perchés dans les régions montagneuses du Liban central et du Nord. Leur influence culturelle et politique ira croissant au fil des années au point que le gouvernement libanais, dans le but de valoriser et préserver les racines ethniques de ces communautés, développera au milieu des années 60 des groupes de recherches interdisciplinaires qui susciteront la collaboration de groupes significatifs de compositeurs, interprètes, chanteurs, dramaturges, chorégraphes, danseurs, concepteurs de costume, et producteurs, tous issus de milieux ethniques variés.



De ses collaborations naissent les « masrahiyyah », sorte de drames musicaux qui relatent des événements survenus dans des villages libanais ou repris à l’histoire nationales, avec costumes ethniques, danses folkloriques (les « dabkah ») et chansons populaires écrites dans les différents modes (ou « maqams ») connus du monde arabe (l’emploi des tonalités du monde occidental est rare mais pas inexistant) dont Fairuz est évidemment la vedette. Dans un contexte de valorisation du patrimoine national, il peut paraître étrange que l’instrumentation de ces chansons fasse peu appel aux instruments folkloriques comme les « mijwiz » (les clarinettes doubles), les quanun (sorte de cithares) ou le luth (ud). Afin de rendre de rendre cet art plus actuel et moderne, les frères Rahbani utilisent plus volontiers l’accordéon, le buzuq (luth allongé avec les cordes en métal), la flûte à bec en bois ou les claviers électriques, instruments mélodiques qui sont toujours complétés par un tapis de violons et par les rythmes lancinants des percussions (tablah et tambour de basque).

Les Rahbani vont créer pour Fairuz des chansons qui innove au regard de la production arabe générale : elles sont entièrement écrites alors que l’improvisation est presque toujours de mise et moins attachées aux descriptions des tourments de l’amour qu’à la narration des beautés de la vie quotidienne, en particulier l’attachement à son village natal ou l’amour inconditionnel pour le Liban. La grande force expressive et poétique de ces chansons leur donne rapidement un caractère patrimonial partagé par tout le monde arabe. Outre la musique des Rahbani, Fairuz chante aussi les classiques de la chanson arabe : Mohamed Abdel Wahab ou Philemon Wehbe. Le catalogue de ses œuvres contient plus de 800 chansons…

J'ai découvert la musique de Fairuz en 1996, à Amman, lors d'un long mois d'été en Jordanie. Tout le monde écoutait sa musique, dans les taxis, les cafés, les restaurants, les hôtels, les souks, les transports publics. Pas une radio qui ne crachotait les sublimes mélodies de la grande dame de l'Orient. La pureté de son timbre, d’une grâce enfantine, et la douceur romantique de sa voix était qualifiée par le marchand de musique qui me fit entendre son art de « muk hmali », elle est « comme du velours ». Un Irakien qui avait fuit le régime de Saddam Hussein pour se réfugier dans une chambre délabrée à deux pas du célèbre théâtre romain, piaule infâme partagée par dix autres patriotes, déclarait que Fairuz était "l'étoile du matin" des Arabes alors que Oum Kalthoum leur "étoile du soir".

Aujourd’hui encore, ces astres continuent de briller dans les nuits du Proche-Orient. Leur éclat reste intact !



4 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour cette belle découverte.

Anonyme a dit…

Oui merci, j'ai r�cout� ce soir quelques chansons qui m'ont transport� sur une route en Syrie entre Deir ein sorn et Alep ...

Anonyme a dit…

Je l'ai entendue au festival de Baalbeck en juillet 2006. Elle n'a rien perdu de ses qualités. Elle avait près de 72 ans.

Stéphane DADO a dit…

Merci à tous pour vos commentaires. Effectivement, le site officiel de Fairuz, www.fairuzonline.com, évoque ce concert ainsi qu'une prestation en 2007 à Athènes à l'Odéon d'Hérode Atticus (où Nana Mouskouri a donné son mythique concert lors de son retour en Grèce). Quant à la route entre Deir-er-zor et Alep, je garde en mémoire le superbe site de Saint-Serge-et-Bacchus (Resafe)sans une âme. Le souffle du désert, un vent chaud, assez violent et cet improbable restaurant où un petit bonhomme de 10 ans à peine servait le thé, seul.