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Liège, Belgium
Né à Bruxelles dans une famille d'origine grecque, turque, albanaise et bulgare. Etudes secondaires gréco-latines. Licence en Histoire de l'art, Archéologie et Musicologie de l'Université de Liège. Lauréat de la Fondation belge de la Vocation. Ancien journaliste à La Libre Belgique et La Gazette de Liège. Actuellement Chargé de mission développement et médias à l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège. Directeur artistique-adjoint du Festival des Nuits de Septembre. Enseigne l'Histoire sociale de la musique aux Alumni de l'Université de Liège.

vendredi 29 février 2008

Un Trio Talweg incandescent aux Concerts de Midi



Une heure de plaisir intense aux Concerts de Midi de Liège ce jeudi. La Salle académique de l'Université recevait le Trio Talweg dans le Nocturne de Schubert et le Trio de Tchaïkovksi. L'occasion de retrouver le violoniste Sébastien Surel, le pianiste Alexander Gurning (membre bien connu de Soledad) et le violoncelliste Sébastien Walnier (ancien membre de l'Orchestre Philharmonique de Liège) dans une forme radieuse. Les Talweg ont gagné en cohésion et élégance depuis leur dernier passage à la Salle Philharmonique dans Dvorak. Leur Schubert est délicat, contrasté et d'une justesse impeccable, il a juste ce qu'il faut de rêverie pour ne pas tomber dans la mièvrerie. Une mise en bouche subtile et efficace.

Pièce maîtresse du concert, leur Tchaïkovski évite la joliesse et l'esthétique salonnarde aux limites du verbiage. Les Talweg donnent du sens à l'oeuvre en charpentant des lignes architecturales solides. L'assise rythmique est robuste. Le tempo rapide tient en alerte. Les lignes de chant s'enlacent avec densité. Le résultat est puissant, par moments poignant et d'un engagement extrême. Il est juste regrettable qu'un musicien du niveau d'Alexander Gurning doive se battre avec les sonorités ingrates d'un piano Fazioli lourdingue parce que métallique, excessivement réverbérant, terne dans les médiums, écrasant dans les graves.

On retrouvera prochainement au disque le Trio de Tchaïkovski par les Talweg, couplé avec le 1er Trio de Chostakovitch. Selon Sébastien Walnier, le CD sortira bientôt en France "soit chez un petit label, soit chez un label très important, les discussions sont en cours". On attend la sortie du CD avec impatience...

jeudi 28 février 2008

Fabienne Vande Meerssche accueille un décideur pas comme les autres pour sa 100e émission

Ce vendredi 29 février, à 9h15, sur la Première, Fabienne Vande Meerssche reçoit Jean-Pierre Rousseau, directeur général de l’Orchestre Philharmonique de Liège et Président de la Chambre Française de Commerce et d'Industrie des provinces de Liège et Luxembourg, dans « Les Décideurs du vendredi ». Rendez-vous hebdomadaire de haute tenue, cette émission évoque le parcours professionnel des grands managers de Belgique. Doté d'un parcours riche qui l'a mené notamment de la Radio Suisse romande à la direction de France-Musique, Jean-Pierre Rousseau nous permettra notamment de mieux comprendre pourquoi un organisme culturel doit être géré avec la rigueur d'une entreprise économique. Il sera le 100e invité de l'émission!

Depuis le lancement des "Décideurs du vendredi" en septembre 2005, Fabienne Vande Meerssche a reçu des personnalités comme Maurice Lippens, Philippe Bodson, Etienne Davignon, Guy Quaden, Bernard Foccroulle, Jean Stephenne, Jean-Louis Grinda, Bernard de Launoit, Pierre Marcolini ou encore Tony Mary.

L’émission est disponible ici ou podcastable sur le site de la Première :

mercredi 27 février 2008

Medea de Pasolini : une lecture schizophrène du mythe



Après Accattone, le cinéma Churchill de Liège poursuit cette semaine son cycle Pasolini avec Medea (1969). Un film dense, complexe, d'une violence radicale. Pasolini y distille en filigrane le mythe grec. La pièce originelle d'Euripide apparaît comme un vague souvenir.

Pasolini souhaite en réalité opposer deux mondes : celui de Médée, un univers où l'homme est en communion avec les forces divines de la nature, monde des contes et légendes de l'enfance, de la magie ancestrale, de la pureté primitive de l'homme. Et le monde de Jason : une société moderne, conquérante, virile, banale, matérialiste où les dieux ont perdu leur raison d'être. Militant communiste acharné, Pasolini ajoute une lecture politique au film : l'univers de Médée est celui de l'Italie du Sud, pauvre, aride, authentique, alors que le monde de Jason (on devrait presque prononcer le nom à l'américaine) est cette Italie du Nord, industrielle, capitaliste qui aurait perdu son âme.

D'entrée de jeu, Medea expose les deux univers. Le film s'ouvre sur l'image de Laurent Terzieff transformé en centaure qui raconte à un Jason de trois ans l'origine de la toison d'or : la sphère du mythe bat son plein. Image suivante : Terzieff a perdu ses formes animales et recommande à un Jason adulte d'aller récupérer la toison d'or pour conquérir son royaume : le monde de l'enfance a fait place aux réalités politiques de l'âge adulte. Cette coexistence de deux univers sera constante, au point de devenir, par un coup de génie cinématographique, une schizophrénie narrative au moment le plus intense du film. La mort de Glauce, la rivale de Médée, est proposée dans deux versions consécutives : dans la première, Pasolini nous ramène à l'atmosphère magique du mythe puisque la robe offerte par Médée à la nouvelle épouse de Jason s'enflamme par l'action de la magie. Dans la seconde, une vision plus terre à terre et psychologique est exposée : Glauce se suicide considérant que son mariage avec Jason est une injustice pour Médée.

Croyant sans dieu, Pasolini éprouve une nostalgie évidente pour le monde des forces primitives.
La 2e séquence du film est à cet égard une parenthèse extraordinaire : elle reconstitue durant une douzaine de minutes avec une méticulosité extrême une scène de sacrifice antique. La caméra s'est nourrie auprès de Jung ou de Mircea Eliade, elle décortique le rituel avec la méticulosité d'un anthropologue. Entourée des jeunes éphèbes typique dans les films de Pasolini (avec leurs corps musclés à demi-nu, leurs carnations foncées et leurs cheveux bouclés qui les font ressembler au Bacchus du Caravage), Médée préside les cérémonies du sacrifice comme s'il s'agissait d'associer d'emblée l'héroïne au monde ancien des énergies telluriques.

Le choix de Maria Callas en Médée est pertinent. Non pas parce que la diva a incarné le personnage à l'opéra - la Médée de Cherubini est avant tout une mère et une épouse bafouée -, mais parce que son visage de tragédienne grecque aux traits anguleux compose avec une noblesse étonnante toutes les gammes d'expression que requiert le personnage pasolinien : tendresse, dévotion mystérieuse, fragilité, crainte, furie vengeresse, hystérie féminine, barbarie, folie, rage, douleur... Callas est on ne peut plus crédible dans ce personnage archaïque exilé dans un monde déshumanisé et brutal. Callas ne chante pas, un comble pour une diva. Elle parle à peine. Mais ses répliques touchent comme un glaive. Toute sa composition tient également dans la force de son regard. Pasolini en abuse par une infinité de gros plans, plus intenses les uns que les autres.

S'il reste grandiose malgré sa crudité, le film comporte deux faiblesses : la musique et les décors. Choisis rien moins que par l'écrivaine Elsa Morante, femme de Moravia et sans doute la plus grande écrivaine de l'Italie du XXe siècle, les extraits sonores - des chants sacrés du Tibet ou des airs japonais accompagnés au koto - pouvaient paraître ingénieux dans les années soixantes, ils paraissent complètement décalés aujourd'hui. Les mêmes invraisemblances touchent les lieux de l'action. La citadelle d’Alep sert de décor naturel à la ville de Corinthe. Pourquoi pas, elle est sublime. Lorsqu’on en franchit ses murs, sa cour intérieure n'est autre que le Campo dei Miracoli de Pise… Bizarre tout de même… Enfin, s'il le royaume de Colchide est filmé dans les merveilleux payasages troglodytes de la Cappadoce, la présence de centaines de figurants turcs, avec leurs jolies moustaches, est plutôt anachronique pour une action qui se passe dans l'Antiquité...

Pasolini a souhaité que la projection du film soit accompagnée ou complétée par la lecture des Visions de Médée (où il explicite le sens de l'oeuvre). Medea est pour cette raison une des premières oeuvres "multimédias" avant la lettre, bicéphale comme la narration de l'histoire.

En prime : une interview de Callas aux côtés de Visconti, quelques semaines avant le tournage de Medea :


Une seconde interview, réalisée à l'issue du film :

mardi 26 février 2008

Le plus vieux savon du monde

J'ai visionné avec retard l'excellent "Des racines et des ailes" sur Sanaa, Leptis Magna et Alep. Le reportage sur la ville syrienne s'attarde sur la fabrication secrète du célèbre savon d'Alep, le plus vieux savon du monde. Et je ne peux résister à l'idée de conter ici son histoire, son mode de fabrication, ses multiples usages qui concentrent à eux seuls tout le génie d'un peuple.

Fabriqué depuis près de 5000 ans, le savon d'Alep a été introduit en Occident par les croisés qui le font connaître en Italie (Venise, Bologne, Gênes) et en Espagne (Valence) au XIIe siècle avant que Marseille ne s'empare de sa formule pour créer le savon qui porte son nom.
Elaboré sans colorants, ni parfums, ni adjuvants, le savon d'Alep est conçu à partir de deux des produits les plus précieux de l'Antiquité grecque : l'huile des noyaux de l'olive (associée à la déesse Athéna qui l'offrit aux Grecs) et les baies du laurier (symbole du dieu Apollon pour sa subtilité aromatique).



Utilisée par toutes les populations antiques de la Méditerranée dans la cuisine, l'olive est employée également au sortir du bain pour l'assouplissement des articulations et des muscles tout comme elle sert de remède contre les troubles du foie, les calculs biliaires, les coliques néphrétiques, l'hypertension ou le diabète. L'huile de baies de laurier entre dans la composition de pommades contre les inflammations de la peau (furoncles, abcès, acné, l’eczéma, mycoses, psoriasis.). Outre ses propriétés antiparasitaires, elle guérit pour les médecins de l'Antiquité les douleurs rhumatismales et névralgiques.

La fabrication du savon s'effectue à partir du mois de novembre, au moment où l'on récolte les olives. L'huile est transférée dans les savonneries des souks et mélangée à de la soude végétale (généralement les cendres de la salicorne) que l'on cuit pendant plusieurs jours dans des grandes cuves de pierre (selon les règles de la saponification antique) ou dans de grands bassins de cuivre.


En fin de cuisson, quand la pâte est prête, on ajoute l'huile essentielle de baies de laurier pour l'enrichir et la parfumer. Au terme de la cuisson la pâte verte est "goûtée" pour juger de sa qualité, avant d'être étalée au sol. Elle repose 24 heures au frais, le temps de se solidifier, elle est ensuite découpée manuellement en blocs de 7 x 7 x 5 cm d'environ 200 grammes. Les ouvriers procèdent au découpage et estampillent ensuite la face supérieure du bloc du cachet de la manufacture. Sur ce cachet, figurent le nom du savonnier, le millésime de fabrication et le pourcentage des huiles.



Les cubes de savons sont ensuite entassés méthodiquement en formes de jolies tours. On les laisse sécher 9 à 10 mois dans des espaces ventilés, avant leur commercialisation dans les vieux souks. Les meilleurs savons ont plus de 5 ans d'âge. La teinte extérieure a viré au brun mais le coeur garde sa couleur verte. Sa durée de vie est d'une quarantaine de jours.


Les Syriens utilisent le savon d'Alep tant pour se nettoyer le corps et les cheveux que pour le lavage du linge, des tissus précieux, des tapis délicats. Découpé en copeaux, il sert également d'antimites dans les armoires. Enfin, l'action antiseptique du laurier permet de calmer les piqures de moustiques en passant le savon à sec sur la zone affectée. Efficacité garantie!

lundi 25 février 2008

Des flambeaux qui éclairent les discours

La vie est parfois faite de coïncidences troublantes. Ce matin, après un bref passage à la Salle Philharmonique, je reprends distraitement le chemin de mon appartement un livre à la main (il m'arrive souvent de lire dans la rue en marchant lentement). Trois messieurs qui croisent mon chemin me remarquent plongé dans les Proverbes de l'Algérie et du Maghreb, textes publiés entre 1905 et 1907 par un des plus fins lettrés du monde arabe, Mohammed Ben Cheneb. Ils me demandent de manière directe :

- "vous aimez la culture arabe?". Je relève la tête et découvre mes trois interlocuteurs.

- "Oui beaucoup!" ai-je répondu aussitôt. "Vous connaissez ce livre?"

- "Ben Cheneb est notre La Fontaine à nous!"

J'apprends ainsi qu'ils sont tous les trois Algériens. Le plus jeune étudie l'économie dans une haute école de Liège. Les deux autres sont professeurs à l'Université d'Alger où ils comptent rentrer dès le lendemain. Je n'ai pas osé demander s'ils étaient parents ou seulement amis, mais j'ai senti une très forte complicité entre eux. Le plus âgé, la cinquantaine approchante, poursuit la conversation de la sorte :

- "Vous autre, Occidentaux, lisez bien plus que le peuple arabe. On dit chez nous qu'une civilisation qui lit beaucoup ne sera jamais colonisée, au sens intellectuel du mot".

Aussi belle soit-elle, l'expression ne figure pas dans mon ouvrage. Elle est cependant significative d'un état d'esprit typiquement arabe qui est d'employer en abondance des proverbes dans le langage commun. Pour les Algériens, ils sont commes "des flambeaux qui éclairent les discours". Tout le génie d'un peuple, toute la courtoisie et le savoir-vivre de l'Orient s'y expriment.

A l'aide d'un proverbe, on fait taire les bavards, on ranime une conversation, on concilie les coeurs, on évite les longs discours, on admoneste un égaré, on réfute un argument, on répare une erreur, on répond à une invitation. Le proverbe arabe est doté d'une structure symétrique, d'un rythme et d'une musicalité qui en facilite la mémorisation et qui explique sa propagation. Beaucoup de ceux rassemblés par Ben Cheneb ont un sens crypté, une valeur métaphorique et symbolique parfois très ancienne que l'auteur est parvenu à retrouver.

Mes interlocuteurs ont évoqué quelques minutes encore toute l'importance que la culture pouvait jouer dans une civilisation. Puis chacun est parti de son côté. La sympathie mutuelle née de cet échange mérite d'être scelée ici par quelques citations du livre de Ben Cheneb qui en comporte plus de 3000 proverbes classés par ordre alphabétique.

"Si tu as beaucoup, donne de ton bien ; mais si tu as peu, donne de ton coeur."

"Lorsque la lune est avec toi, que t'importent les étoiles !" (se dit lorsqu'une personne haut placée est l'ami d'une autre qui n'aura pas à se mesurer aux subordonnés de la première)

"Quiconque est plus âgé que toi d'un jour est plus expérimenté que toi d'une année."

"Que celui qui dit que le lion est un âne aille lui mettre un licol."

"L'avare ressemble à un âne qui porte de l'or et de l'argent et qui se nourrit de paille."

"Entre chaque point, une chèvre peut se coucher." (se dit d'une mauvaise couture)

"L'étude dans la jeunesse ressemble à la gravure sur la pierre ; l'étude dans la vieillesse, à la gravure sur mer."

"Le minaret s'est penché." (se dit à celui qui se croit important lorsqu'on le charge d'une chose)

"Les chameaux sont les vaisseaux de la terre et les moutons des silos ambulants."

"Les funérailles sont grandioses et le mort est une souris." (Se dit du tapage que l'on fait à propos de choses futiles)

"Un mot dans les coeurs vaut mieux que mille dans les livres."

"L'optimisme est un précipice."

"La persévérance perce le marbre."

"Deux capitaines à bord d'un navire le font toujours sombrer."

"Le raisin sec n'est bon à manger que lorsqu'il est ridé." (se dit pour consoler un ami qui a épousé une femme âgée)

dimanche 24 février 2008

Le César néo-réaliste d'Abdellatif Kechiche

Après le Prix spécial du jury au Festival de Venise, le cinéaste franco-tunisien Abdellatif Kechiche décroche une nouvelle fois le César du meilleur film avec La graine et le mulet. L’œuvre raconte le drame d’une famille magrébine cherchant à s’intégrer dans le tissu urbain de la ville portuaire de Sète. A l’opposé du cinéma bobo prise de tête pour Parisiens des beaux quartiers, avec ses scénarios abscons, ses dialogues creux, ses préoccupations bourgeoises, son pseudo-intellectualisme et ses acteurs narcissiques (Romain Duris et Mathieu Amalric m’insupportent), La graine et le mulet décrit une tragédie du quotidien dans toute sa violence et sa crudité. Le scénario est dépouillé, sans effets spectaculaires, les dialogues sont d’une vérité aux antipodes des films à thèse verbeux qui polluent les salles. Servi par une brochette d’acteurs amateurs (à commencer par Habib Boufares), Kechiche donne la parole à des communautés humbles, aux gens de la rue, trop souvent oubliés ou méprisés par l'intelligensia française et se concentre sur ce difficile devoir qui est celui de vivre. D'un néo-réalisme peu commun, le film est d'une humanité inouïe qui justifie pleinement l'attribution de ce César.



P.S. : En prime, le Doutage des Inconnus, en référence aux quelques commentaires que ce billet du jour à suscité...

samedi 23 février 2008

Gülümse... ade... Gülümse!

Restons en Turquie avec Sezen Aksu, l'une des grandes interprètes turques contemporaines (elle est venue au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles il y a peu) et cette chanson poignante qu'est "Gülümse" (un hymne à Istanbul). Le titre signifie "souris" (du verbe sourire).

Mosaïque des Balkans et d'Anatolie



Jeudi soir, le cinéma Le Parc accueillait l'un des plus fameux clarinettistes d'Istanbul, Selim Sesler, accompagné d'un ensemble de trois musiciens : un joueur de saz (luth à manche long), un quanun (cithare utilisée dans la musique classique ottomane, jouée par Bülent Sesler), et une darbuka, tambour en calice qui remonte à l'antiquité iranienne, confié à Serkan Koçan.

Sesler est issu d'une famille de tsiganes installés en Grèce depuis des générations. En 1922, un incroyable mouvement de population voit la migration des Turcs de Grèce vers Anatolie, échangés contre des Grecs d'Asie Mineure. Les parents de Selim Sesler font partie des migrants, ils s'installent à Istanbul.

Interprétée avec une fougue et une virtuosité incroyables, la musique proposée par Sesler est une incroyable synthèse de l'art des Balkans : accents nostalgiques de la musique tzigane et klezmer avec leurs lignes de chant descendantes, couleurs des musiques populaires de Roumanie et de la Grèce du Nord, mélodies irrésistibles d'une vitalité presque triviale de la musique serbe (celle des films de Kusturica). Un tourbillon d'énergie d'une heure réellement capiteux.

La 2e partie, plus sensuelle et nostalgique, se pare des modes d'Anatolie, des danses langoureuses de la musique turque à l'instar du çiftetelli qui a bercé les musiques grecques de mon enfance (on l'appelait d'ailleurs le "turkiko tsifteteli" dans les chansons). Des souvenirs istanbuliotes refont surface : les soirées magiques à Taksim, les musiciens des restaurants populaires de Kumkapi, les danses des petites tavernes enfummées du quartier de Bakirkoÿ. Et la promesse de retourner bientôt à Istanbul!

vendredi 22 février 2008

L'autonomie c'est contagieux?

Effet boule de neige de l'indépendance du Kosovo? Toujours est-il que les Communautés hongroises de Roumaine réaffirment leur volonté d'autonomie par rapport au gouvernement de Bucarest. Pour plus de détails, je vous recommande la lecture de cet article extrait du Courrier des Balkans, le portail francophone le plus complet de la région :

http://balkans.courriers.info/article9819.html

Les gays responsables des tremblements de terre selon un député iraélien

JERUSALEM 20/02 (AFP) Les homosexuels sont responsables de la vague de tremblements de terre qui ont secoué Israël ces derniers mois, a affirmé mercredi à la Knesset (Parlement) un député israélien religieux orthodoxe. "Nous cherchons des solutions terre à terre pour nous prémunir contre les effets des séismes, et moi je propose un autre moyen: le Talmud nous dit que l'une des causes des secousses telluriques que la Knesset (Parlement) a légitimée c'est l'homosexualité", a déclaré Shlomo Benizri, un des 12 élus du Shass, sur 120 députés à la Chambre.

La Knesset a légalisé l'homosexualité en 1988, et divers textes de loi ont ensuite reconnu les droits des membres de la communauté gay. "Dieu a dit qu'il agiterait le monde pour vous réveiller si vous agitez vos parties génitales là où vous n'êtes pas sensés le faire" a expliqué M. Benizri devant une commission du parlement qui examinait les mesures de protection contre les effets des séismes. "Le Talmud indique que les tremblements de terre sont véritablement une chose terrible", a-t-il poursuivi, soulignant que la tradition religieuse juive considère l'homosexualité comme une "abomination".


Cette dépêche de l'Agence France-Presse (merci à Nicolas Vadot de nous l'avoir signalée) montre que le fantasme de Sodome et Gomorrhe est toujours présent dans la tête des fondamentalistes de tous bords. L'immixtion du religieux dans la vie publique ne peut qu'amener des modes de pensée aussi extrêmes. Le degré d'aveuglement et de haine que la Bible, le Coran ou le Talmud propagent est indigne d'une civilisation progressiste. Ces trois livres devraient être proscrits de toute société démocratique et définitivement rangés dans les catacombes des bibliothèques du savoir.

jeudi 21 février 2008

L'hôtel des bains de Visconti disparaît dans les flammes

Après la Fenice (qui a attendu dix ans pour renaître de ses cendres), c’est un autre symbole de Venise qui disparaît dans les flammes. Le mythique Hôtel des bains sur l'île du Lido, immortalisé par Visconti de Mort à Venise, a partiellement disparu à la suite d’un incendie qui s'est déclaré mardi soir, incendie maîtrisé seulement le lendemain matin. Il faudra attendre au moins une semaine pour mesurer l'ampleur exacte des dégâts.

Le quotidien régional Il Gazzettino relève déjà que deux-tiers du bâtiment ont été touché. Il ne reste plus rien du 2e étage et de sa célèbre suite présidentielle. Rien non plus de la chambre 219, la plus belle de l'établissement. Les 3e étage et 4e étages sont complètement dévastés. Un court-circuit survenu au 4e étage est à l'origine du sinistre.

La célèbre salle Visconti, la partie la plus précieuse de l'hôtel, ainsi que la salle "Mann", toutes deux au rez-de-chaussée, n'ont heureusement subi que très peu de dommages.

Il faudra plus d'un million d'euros pour restaurer le bâtiment à l'identique.

Webern de jeunesse : une modernité en puissance



Ecoute en boucle du Quintette pour piano et cordes de Webern. Un choc. Composé en 1907 (un an avant la Passacaille op. 1), ce mouvement unique commence par une phrase souple, sensuelle et capiteuse digne des Liebesliederwalzer de Brahms. La plénitude viennoise est cependant de courte durée : Webern fissure les murs de sa composition. Le désordre tonal s'installe. Pris comme dans une course poursuite, le thème se disloque, finit par voler en éclat et c'est toute la structure porteuse du romantisme tardif qui s'écroule. Un effondrement imaginaire de l'Empire austro-hongrois ? Une mise à mort symbolique de l'héritage brahmsien. Sans doute un peu tout cela.

Le discours repart, fragmenté, murmuré : quelques trémolos joués "sul ponticello" (l'archet presque sur le chevalet), complétés par les accords intermittents d'un piano chétif, fusent comme une apparition. Ils donnent une couleur menaçante et fébrile à cet espace sonore d'un genre nouveau. On croirait que tout le XXe siècle s'apprête à sortir de ces cellules fantomatiques.

Le postromantisme revient pourtant à la surface, très subtilement, comme une conscience qui sort des profondeurs d'un rêve. Les instruments se lancent dans une réexposition qui n'a plus rien d'une répétition ; le thème initial est transfiguré par son séjour dans les abymes, l'écriture se densifie, le contrepoint se resserre comme si Webern voulait faire entrer tout un univers dans une seule mesure. Des pizzicati éclatent brièvement avant le retour de la phrase brahmsienne, plus veloutée que jamais, qui se cherche puis se meurt dans une extase tourbillonnante.

Treize minutes d'une incroyable concentration, de brièveté, de contrastes, d'éclatement mélodique, de silences. Une puissance orchestrale par un effectif réduit. Toute la modernité de la Seconde Ecole de Vienne est là, en attente....

Du tout grand Webern déjà!

mercredi 20 février 2008

Lust, Caution (l'espionne qui m'aimait)

Après les délires psychanalytiques de l'incroyable Hulk et les niaiseries sentimentales de deux cowboys dans le Wyoming, le dernier film du réalisateur taïwanais Ang Lee, Lust, Caution, inspiré du roman éponyme d'Eileen Chang (1950), est, malgré ses 2h40, une totale réussite.

Durant la Deuxième Guerre Mondiale, à Hong Kong, en pleine occupation de la Chine par les Japonais, une jeune étudiante, Wong Chia-Chi (l'actrice Tang Wei), se lance dans le théâtre dans l'espoir de séduire le jeune homme qui l'a conviée à une audition. Elle interprète aux côtés d'autres étudiants des pièces patriotiques antiniponnes qui remportent un certain succès. Lassés de n'être pas réellement dans l'action politique, les comédiens décident de s'engager dans la résistance et deviennent des agents du Kuo-Min-Tang, le Parti populaire de Chine. Leur mission : tuer M. Yee (Tony Leung, très remarqué dans In the Mood for Love), un fonctionnaire chinois d'une quarantaine d'années qui oeuvre pour Wang Ching Wei, le Pétain chinois, ami de l'occupant japonais et futur fondateur du « régime de Nankin ». Leur moyen : demander à la belle Wong Chia-Chi de s'infiltrer chez le fonctionnaire et de le séduire.



Wong Chia-Chi parvient à se faire introduire dans le cercle familial de M. Yee, à Hong Kong, sous le nom de Madame Mak. Après une première rencontre, les deux protagonistes se perdent de vue. Quatre ans plus tard, Madame Mak retrouve Yee à Shangaï et devient la maîtresse de cet homme rude et secret. Le film prend alors une allure doublement captivante puisque Ang Lee joue à la fois sur la tension politique de la narration (va-t-on éliminer M. Yee?) et sentimentale (l'affection simulée se muera-t-elle en passion véritable?).



Si le réalisateur reconstitue de manière nostalgique la Chine des années 40 (avec ses intérieurs en acajou où les femmes passent leur temps à jouer au mah-jong, ses berlines élégantes, ses pousse-pousse folkloriques), ce cadre un rien esthétisant ne distrait pas du propos véritable : l'exploration des sentiments indicibles des deux personnages (exploration déjà développée, mais avec plus de maladresse, dans Le Secret de BM).

La première moitié du film propose des scènes d'une sensualité subtile : l'essai d'une robe moulante chez un tailleur, une trace de rouge à lèvres sur une tasse, une mèche de cheveux délicatement relevée. Lorsque Yee et Mak se retrouvent à Shangaï, le propos se concentre sur des ébats amoureux d'une crudité incroyable. Les personnages se découvrent dans une relation quasi sadomasochiste où la possession physique s'accompagne d'une dépendance extrême, d'une perte de contrôle allant jusqu'au vertige, d'une chute des masques. Yee passe d'une placidité hautaine, neutre à une violence et un amour exacerbés. Toute la grandeur du film réside dans cette exploration.



Lust, Caution est un titre énigmatique. Le site de Télérama explique sa complexité et ses sens multiples :

Lust, Caution est la traduction anglaise du chinois « "se", "jie" ». La préfacière (et traductrice) d'Eileen Chang, Emmanuelle Péchenart, nous plonge dans une jungle polysémique typiquement chinoise : « "Se" désigne la couleur, le charme féminin et le désir sexuel ; "jie" signifie l'abstinence, la retenue et la pru­dence, mais les deux termes signifient encore rôle de théâtre, bague et aussi encercler, donner l'alarme. » Deux mots contiennent littéralement tous les ingrédients du récit : toute la complexité du monde cachée sous le trait fin de l'idéogramme...

mardi 19 février 2008

Indépendance du Kosovo : une solution définitive?



Après l’annonce d'indépendance du Kosovo, le bonheur de certains s’est fait entendre dans les rues de Liège, Namur, Bruxelles ou Genève dimanche après-midi. Je me serais volontiers joint aux manifestants si je n’avais eu au même moment un beau concert de musique élisabéthaine à la Salle Philharmonique. L'avenir du Kosovo me préoccupe sans doute parce que le berceau de mes racines paternelles est en Albanie (une des cousines de mon père qui y vit encore a été vice-recteur de l'Université de Tirana).

Rien n’est gagné au Kosovo. A l'heure actuelle, c'est une moisson de questions qui vient en tête. La Serbie va-t-elle rester sans réaction comme elle le prétend ? Les enclaves serbes du Kosovo ne sont-elles pas des bombes à retardement ? Comment le Kosovo va-t-il œuvrer pour mettre fin à l’extrême corruption du pays, aux crimes organisés, au système des bakchichs ? Est-ce en comptant sur ses richesses naturelles (or, nickel, charbon) que le pays pourra se redresser économiquement ?

Et qu’en est-il de l’idée d’une grande Albanie ? Les erreurs de la Conférence de Londres de 1912, à la base de la scission de la communauté, pourront-elles être réparées par la création d’une Albanie unique (qui engloberait aussi les Albanais de Macédoine)?

Cette union sera-t-elle partagée par tous les Albanais du Kosovo qui devraient alors passer de la tutelle de Belgrade à celle de Tirana sans profiter pleinement de son autonomie ?

Les jours et les semaines à venir risquent d’être passionnants.

lundi 18 février 2008

It's a Free World!

"L'homme est un loup pour l'homme". Ce constat social que développe le Léviathan du philosophe anglais Thomas Hobbes (1651) n'a pas pris une ride dans la Grande-Bretagne contemporaine. Le dernier film de ce militant par l'image qu'est Ken Loach démontre avec brio qu’aujourd’hui encore dans nos sociétés prétendument humaines et civilisées, la fin justifie les moyens. Avec It's a Free World !, Loach dénonce l'exploitation de clandestins immigrés en quête (parfois désespérée) de travail. Le parti pris est original : le réalisateur se place essentiellement du côté de l'exploitant, une jeune mère de famille nommée Angie, incarnée par l’actrice Kierston Wareing, une révélation.

It’s a Free World ! débute à Katowice, en Pologne, au sein d’une grosse agence de recrutement, pour laquelle travaille Angie. Le choix de ce pays et les premières scènes d’entretiens avec des travailleurs prêts à tout pour trouver un emploi, donne le ton du film. On est amené à naviguer dans les méandres insidieux de l’ultra capitalisme contemporain. Une qualité de vie détestable se dégage de cette entreprise notamment en raison des remarques sexistes et des mains aux fesses qui poussent rapidement Angie à se rebeller. La jeune femme est aussitôt licenciée. Elle décide de créer à Londres sa propre société avec son amie Rose (Juliet Ellis), pensant imposer des conditions professionnelles plus justes une fois qu'elle sera son propre patron. En recrutant des travailleurs issus de l’Europe de l’Est, puis des immigrés clandestins, elle va, malgré elle, passer petit à petit de l’autre côté de la barrière : de victime, elle devient bourreau. La dureté de la vie oblige Angie à renoncer à son idéal. Pour se protéger des coups bas, elle finit par adopter un individualisme excessif qui est son inévitable armure face à la brutalité de la vie professionnelle. Et de se demander si la survie de soi et des siens nous pousse vraiment à commettre l’irréparable ? Est-ce là notre seule liberté?



Sans prendre parti, Loach jongle avec cet entre-deux philosophique et montre les effets pervers d’un « système » où à un moment donné, il faut accepter la morale du business qui est de considérer que les gens comptent moins que le profit. La toile de fond de l'action est profondément accusatrice et colle avec cette société déshumanisé. Londres est présenté à travers une série de quartiers périphériques sans âme, des « lieux de vie » constitués par des camps de caravanes où s’entassent les immigrés, par un squat dans un garage sordide ou encore une chaîne de montage dans une usine glauque. Des endroits qui traduisent la laideur, la brutalité et l’insécurité du quotidien et qui s’apparentent à un étau.

Le film est particulièrement réussi car il arrive à éviter une lecture manichéenne du personnage principal. Le réalisateur densifie le rôle en y ajoutant une strate propre à sa nature de femme et de mère. Angie est un personnage multiforme, une blonde, une nana aussi sexy que carnassière, aussi douce que brutale, entre mère Theresa (le surnom lui est donné dans le film) et Margaret Thatcher, qui lutte avec acharnement dans un monde d'hommes mais se laisse abattre dès que les services sociaux de son quartier lui retirent la garde de son fils. L'ambiguïté d'Angie est dès lors totale : généreuse et aimante avec Karol, personnage réussi de jeune Polonais lucide et malin, empathique avec la famille d'un clandestin iranien, elle se montre sans pitié devant la foule d’immigrés quémandant une journée de travail.



Au-delà de ce portrait de femme et de cette descente en enfer individuelle, Loach met également l'accent sur une transformation brutale de la société par le capitalisme carnassier. Le passage d'une embauche à vie au contrat à durée déterminée est pour lui le facteur d'une instabilité nouvelle pour la condition ouvrière. Mais tout ceci n'est rien à côté de la nécessité de produire plus à moindre frais, obsession qui incite les patrons à employer une main-d'oeuvre illégale, bien entendu sous payée et qu’importe si la dignité humaine doit être bafouée pour cela. Si la démonstration n'a rien de neuf, le film a le mérite de montrer que les excès d'un capitalisme non contrôlé risquent de causer des ravages sociaux sans précédent... Les illégaux se substituent aux travailleurs "réguliers" (le père d'Angie dans le film) devenus trop chers pour le patronat, une nouvelle catégorie de chômeurs voit le jour et fragilise davantage un système économique qui finira par céder. It's a Free World! serait-il tristement prémonitoire?

dimanche 17 février 2008

Promenades marginales avec Alechinsky

Samedi après-midi on ne peut plus bruxellois à l’invitation de mon amie Marianne G. Embarquement pour les Musées Royaux des Beaux-arts (j'en profite pour devenir Amis des Musées) afin d'y admirer la très belle rétrospective organisée à l’occasion des 80 ans de Pierre Alechinsky, de A à Y.

Alors que les qualités plastiques des principaux membres du groupe Cobra (Asger Jorn ou Karel Appel) m’ont toujours paru simplistes, brutales, rudimentaires et donc inélégantes, j’ai toujours été fasciné par les gravures ou tableaux d’Alechinsky. Du moins par l’Alechinsky qui s’est révélé à lui-même, à partir de 1965, avec Central Park.

Dès ce moment, chacun de ses tableaux développera le principe des « remarques marginales » : une image centrale sera encadrée par une série de vignettes réparties sur les quatre côtés de cette image. Inspirées par la bande dessinée et les arts de la gravure, ces vignettes complètent ou commentent « en marge » la représentation centrale à la manière d'une écriture. Il se crée des rapports fascinants entre les deux strates picturales : les « remarques marginales » sont soit la représentation du dessin central vu sous un angle différent (transposition du thème), soit une déclinaison nouvelle de cette représentation principale (variation sur le thème), soit encore l'apport d'une donnée iconographique inédite qui oriente et enrichit le sens de la figure centrale (contrepoint de thèmes).

Dans tous les cas de figure, Alechinsky semble vouloir offrir une vision globalisante de son sujet, sorte de synthèse de points de vue qui fera dire à un Ionesco que cet art est comme "la réunion de l'intérieur et de l'extérieur. L'intérieur et l'extérieur se heurtent dans son travail et ont l'air d'en sortir, cabossés. Ce cabossage, si je puis dire est le résultat de ce mélange."



Alechinsky est fascinant par la perfection de ses compositions qui touche aussi bien les images dépouillées que les grands tableaux surchargées. Cela tient à l’équilibre des pleins et des vides, aux répartitions harmonieuses des masses, aux contrastes de couleurs parfaits, à l’élégance des lignes qui se déroulent comme de mystérieuses écritures. L’influence de l’estampe extrême-orientale est manifeste dans cette manière de faire, sentiment qui est corroboré par le fait qu’Alechinsky est allé à Kyoto, en 1955, et qu’il y réalisa un film sur les graveurs et les calligraphes japonais.



Outre cette qualité de la mise en forme, il y a chez Alechinsky une incroyable tension stylistique : dessin au trait nerveux esquissé avec frénésie, vibration forte provoquée par la combinaison des hachures multiples, horreur du vide, expressionnisme de l’image, force de la peinture à l’acrylique ou de l'encre sur le papier marouflé sur toile. Cette énergie de vie est complétée par la présence d’images graphiques récurrentes : serpents (des cobras évidemment), mer, pelures d'orange, chutes d'eau ou volcans... qui se déclinent sur tous les formats et tous les supports.



Autre aspect plus marginal, mais non moins intéressant, Alechinsky fait feu de tout papier, en particulier les papiers anciens qu'il commence à collectionner à partir des années 60 : vieilles cartes postales, factures d'hôtel, actions au porteur, lettres sous pli, cahiers d'écoliers auxquels ils redonnent non sans humour une nouvelle vie financière par ses ajouts à l'aquarelle ou à l'encre de Chine.

Enfin, les livres ont une place considérable dans l'exposition. Parce qu'Alechinsky est un illustrateur de première importance pour ses contemporains à commencer par Dotremont, Octavio Paz et d'autres. Parce que le peintre est également l'auteur d'un nombre d'opus littéraires ou critiques impressionnants qui clarifient en partie sa pensée picturale.

La rétrospective bruxelloise propose près de 200 pièces exceptionnelles, des premiers essais influencés par l'art de Picasso jusqu'aux réalisations les plus récentes, parmi lesquelles le très beau Terril, XXV (2006), tondo d'une beauté suprême.

samedi 16 février 2008

Le Blog de Bruxelles

Soirée mondaine bien sympathique à Flagey ce vendredi, à l'occasion de l'enregistrement de la soirée Arte "spécial Belgique" dont la diffusion est prévue ce mardi. Et l'occasion de rencontrer Mateusz Kukulka, journaliste à la DH, l'un des blogueurs les plus réputés pour sa connaissance des médias et de la politique belges, concepteur de blogs divers dont le Bruxelles, qui plonge quotidiennement au coeur de la belgitude "made in centre ville" :

http://www.bxlblog.be/
http://www.leblogdemateusz.be/
http://www.lepolitiqueshow.be/

vendredi 15 février 2008

Anatole France ou l'éloge du scepticisme

Je n'ai jamais compris pourquoi Anatole France n'était pas davantage lu dans les écoles ou par les amateurs de littérature. Ses livres, à commencer par La Rôtisserie de la reine Pédauque (1892) qui reste mon préféré, sont un bain de jouvence par le progressisme de ses idées et par son profond scepticisme. Et sceptique, il l'est, pourvu qu'on restitue au terme son véritable sens : celui qui examine tous les côtés des choses et qui croit en une relativité du monde. Claires, incisives, toniques, portant les marques d'un "bien écrire", les phrases d'Anatole France sont singulièrement aiguës parce qu'elles pourfendent les ridicules, elles décapent les apparences, elles dénoncent les tourments.

Chez lui, l'âpreté du désir amoureux, d'essence libertine, va de pair avec une maligne observation de la femme (à laquelle l'écrivain est un des premiers à reconnaître le droit d'étudier ou de faire carrière). Mais son talent s'aiguise et excelle lorsqu'il dénonce les préjugés de la société, les comédies de la politique, l'hypocrise des religions. Avec une sorte de pitié pour notre condition aspirant à l'absolu mais incapable de l'atteindre. Il est une sorte de Baudelaire désabusé qui a laissé de côté sa rage et sa superbe pour défendre la liberté de conscience et l'exercice du libre examen, son véritable combat. Voici quelques aphorismes pour donner la pleine mesure de cet esprit brillant :

"Le christianisme a beaucoup fait pour l'amour en en faisant un péché."

"Dans toute religion, c'est toujours le dieu qui importe le moins."

"Les amants qui aiment bien n'écrivent pas leur bonheur."

"Un homme politique ne doit pas devancer les circonstances. C'est un tort que d'avoir raison trop tôt."

"Dans l'amour, une femme se prête plutôt qu'elle ne se donne."

"L'aumône fait du bien à celui qui donne et du mal à celui qui reçoit."

"Il est dans la nature humaine de penser sagement et d'agir d'une façon absurde."

"Les hommes qu'il chérissait en masse, il les méprisait en particulier."

"L'amour est comme la dévotion, il vient tard."

"Un sceptique ne se révolte jamais contre les lois, car il n'a pas espéré qu'on pût imaginer en faire de bonnes."

"Quand on veut rendre les hommes bons et sages, libres, modérés, généreux, on est amené fatalement à vouloir les tuer tous."

"Le souvenir du bonheur nous est plus précieux que le bonheur même, sans doute parce que le présent nous échappe et que nous ne vivons que dans le passé."

"Sa foi restait intacte puisqu'il n'y avait jamais touché."

"Sainte mère de Dieu, vous qui avez conçu sans pécher, accordez-moi la grâce de pécher sans concevoir."

"L'humilité, rare chez les doctes, l'est encore plus chez les ignares."

"Il n'y a plus que les bibliophiles qui aient des bibliothèques, et l'on sait que cette espère d'hommes ne lit jamais."

"L'histoire n'est pas une science, c'est un art et on n'y réussit que par l'imagination."

"Les oeuvres que tout le monde admire sont celles que personne n'examine."

"Il n'est point aisé d'être léger quand on n'est point vide."

"Nous n'avons point d'Etat. Nous avons des administrations. Ce que nous appelons la raison d'Etat, c'est la raison des bureaux."

"La postérité n'est impartiale que si elle est indifférente."

"J'ai passé l'âge heureux où l'on admire ce que l'on ne comprend pas."

"Ignore-toi toi-même, c'est le premier précepte de la sagesse."

"Le véritable appui d'un gouvernement, c'est l'opposition."

"La justice peut être fausse : c'est un système. La piété ne trompe jamais : c'est un sentiment."

"Il n'est pas assez intelligent pour douter."

"A mesure qu'on avance dans la vie, on s'aperçoit que le courage le plus rare est celui de penser."


jeudi 14 février 2008

Ars amandi



Toutes les occasions sont bonnes pour dire à ceux qu'on aime que nous tenons à eux. Y compris la Saint-Valentin (à bon entendeur...). Bien qu'étant le saint patron des amoureux, Valentin est devenu au fil du temps le protecteur des fleuristes, des menus onéreux pour deux, des cahiers de petites annonces, du speed dating, des sites de rencontre payants, de toute la guimauve dégoulinante qu'on nous fait avaler chaque 14 février.

La fête des amoureux n'avait pourtant pas tout cet attirail de mièvreries à ses origines. La célébration des couples remonte aux lupercales romaines de l'Antiquité durant lesquelles les garçons en quête de noces couraient à demi-nus dans les villages pour frapper avec les lanières de bêtes fraîchement égorgées les filles qu'ils voulaient épouser. On savait s'amuser chez les Romains à l'époque! Il a fallu que le Christianisme s'en mêle et que l'Eglise accomode les lupercales à la sauce cul-bénit pour que le rituel évolue...

Comme il est de tradition de s'offrir des cadeaux à la Saint-Valentin, je ne résiste pas à l'idée de reproduire un extrait approprié de L'Art d'aimer d'Ovide - petit manuel de l'an 1 à l'usage des novices, qui fut l'un des plus grands succès littéraires du Ier siècle après J.-C - où il est question des cadeaux qu'un homme doit faire à une femme. Le portrait de la Romaine du Ie siècle qu'on y découvre est moins poétique qu'on aurait pu l'imaginer...

Livre II, 261-266. Quels cadeaux faire?
"Je ne t'ordonne point de faire de riches présents à ta maîtresse; offre-lui quelques bagatelles, pourvu qu'elles soient bien choisies et données à propos. Lorsque la campagne étale ses richesses, lorsque les branches d'arbres plient sous le poids des fruits, qu'un jeune esclave lui apporte de ta part une corbeille pleine de ces dons champêtres. Tu pourras dire qu'ils viennent d'une campagne voisine de la ville, bien qu'ils aient été achetés sur la Voie Sacrée. Envoie-lui ou des raisins ou de ces châtaignes qu'aimait Amaryllis; mais les Amaryllis de nos jours aiment peu les châtaignes.

Un envoi de grives ou de colombes lui prouvera que tu ne l'oublies point. Je sais qu'on achète aussi par de semblables prévenances l'espoir d'hériter d'un vieillard sans enfants. Ah! périssent ceux qui font des présents un si coupable usage!

Dois-je te conseiller de lui envoyer aussi de tendres vers? Hélas! les vers ne sont guère en honneur. On en fait l'éloge, mais on veut des dons plus solides. Un Barbare même, pourvu qu'il soit riche, est sûr de plaire. Nous sommes vraiment dans l'âge d'or: c'est avec l'or qu'on obtient les plus grands honneurs; c'est avec l'or qu'on se rend l'amour favorable. Homère lui-même, vint-il escorté des neuf Muses, q'il se présentait les mains vides, Homère serait mis à la porte.

Il y a pourtant quelques femmes instruites ; mais elles sont bien rares; les autres ne savent rien et veulent paraître savantes. Cependant tu feras, dans tes vers, l'éloge des unes et des autres. Surtout, lecteur habile, fais valoir tes vers, bons ou mauvais, par le charme du débit. Doctes ou ignorantes, peut-être qu'un poème composé en leur honneur fera près d'elles l'effet d'un petit cadeau."

Et pour rester dans Ovide, ne manquez pas d'écouter ou de podcaster l'émission "Une vie, une oeuvre" que France Culture lui a consacré ce jeudi :

mercredi 13 février 2008

Le lion est mort ce matin...

JUANITA BANANA (sur un air de Rigoletto...)


LE TRAVAIL C'EST LA SANTE


QUAND ON "TRAVAIL" ON "TRAVAIL"


ZORRO EST ARRIVE


En italien, un désopilant "ALBUM DE FAMILLE" pour la Rai Due

Télé-réalité à Kaboul

Après s'être intéressé à l'islam des Tchètchènes en 1992, puis aux confréries mystiques musulmanes de Macédoine (Les Amoureux de Dieux, 1998), le dernier film du cinéaste belgo-roumain Dan Alexe, Cabale à Kaboul renoue avec le genre du cinéma documentaire dans la lignée d'un Bresson, ou, plus proche de chez nous, d'un Thierry Michel. Si l'optique documentaire est de mise, le dessein du reportage reste obscur. Alexe filme la vie des deux derniers juifs d'Afghanistan, Zabulon Simantov et le "Mollah" Isaac Levy, deux individus réels qui cohabitent dans l'ancienne synagogue en ruine de Kaboul, désertée de longue date par la communauté juive. Le premier est un célibataire glabre d'une cinquantaine d'années, il fabrique secrètement son vin et s'adonne à la prière quotidiennement entre les petits plats mijotés et la télévision. Le second est le "Mollah" Isaac Levy, vieil homme d'une soixantaine d'années qui pratique le métier de sorcier et gagne quelques afghanis par semaine grâce à la vente des amulettes magiques qu'il fabrique lui-même.

Une multitude de questions se posent sur ces deux êtres. Pourquoi sont-ils restés en Afghanistan? Quel a été leur rapport avec le régime des Talibans? Comment sont-ils perçus par la population musulmane? Espèrent-ils un retour des juifs à Kaboul? Dan Axele n'apportent pas la moindre réponse à ces questions, il se contente pour l'essentiel de dresser un portrait assez grotesque des deux hommes.

Au-delà de la belle alitération avec "Kaboul" et du jeu de mot sur "Kabbale", le titre est à lui seul inapproprié. Nulle cabale en soi. Ou alors elle est purement imaginaire mais on ne la montre pas. La caméra filme tout au plus la haine entre les deux juifs, un conflit à prendre avec autant de sérieux que les escarmouches d'adolescentes prépubères. Isaac et Zabulon ne dialoguent que par jurons interposés - "Apostat", "Charogne", "Proxénète", "Sorcier" -, les humiliations qu'ils se font, les insultes qu'ils s'échangent semblent ne pas avoir de motifs valables. On comprend bien vite que la médisance gratuite prime sur le fait avéré. Ces deux-là fonctionnent comme un vieux couple. On en vient à douter du sérieux de leurs différents.



Formellement, le film appartient davantage au genre de la télé-réalité qu'à celui du cinéma réaliste. D'une qualité numérique assez médiocre, l'image s'introduit sans pudeur dans l'univers des deux personnages, elle décortique les petits faits d'un quotidien sans importance. Le cinéaste ne se contente pas de filmer : il est présent comme un témoin et un protagoniste à part entière. Dan Axele dialogue durant tout le long-métrage derrière sa caméra avec Isaac ou Zabulon. C'est par sa présence et ses dialogues que la narration, assez décousue certes, se construit (la grande originalité du film). Curieusement, alors que les développements psychologiques ne sont pas son fort, Dan Alexe offre d'assez beaux regards croisés, de belles actions dédoublées quand Zabulon et Isaac, chacun de leur côté, préparent à manger, égorgent des volatiles pour leurs sacrifices ou font leur course au marché de la ville.

Le moment le plus intéressant du film est indéniablement celui où Isaac est filmé en plein exercice de sorcellerie, en présence d'un couple de montagnards bien crédules : la caméra exerce sa pleine mission de reportage à la croisée de la sociologue, de l'anthropologie et de l'histoire des superstitions. Dan Alexe en tant que protagoniste s'efface, sa caméra a la concentration d'un scientifique en pleine analyse. S'il avait opté d'emblée pour cet éclairage moins caricatural, son film eût été autrement plus réussi...

mardi 12 février 2008

Un succès qui donne des frissons

L’album Thriller, sorti en décembre 1982 chez Epic (Sony-BMG) fête ses 25 ans. A l’époque Michael Jackson avait un nez, il avait la peau noire et signait son deuxième album solo avec le producteur Quincy Jones, après le très estimable succès du 33 tours Off the Wall.

Thriller peut se targuer d’être l’album de tous les records. Il reste le disque le plus acheté au monde avec 104 millions de ventes au dire de Sony (chiffre ramené à 55 millions selon l’édition 2008 du Guiness Book des records), dont 27 millions rien qu'aux Etats-Unis. L’album est resté 80 semaines dans le top 10 mondial et 37 semaines en première place.

J’ai découvert Thriller au printemps 1983, grâce à la chanson Billie Jean, dernier reliquat de la musique disco de l'époque, qui m’avait complètement séduit par l’atmosphère mélancolique de la mélodie et la tristesse désolée du clip (Michael Jackson y expérimentait pour la première fois son fameux pas lunaire, le « Moonwalk »). Pour le reste, je fus subjugué par la diversité stylistique de l’album : mélodies suaves (The Girl is Mine avec Paul McCartney, Human Nature, The Lady is Mine), ballade hard-rock avec la guitare de Van Haelen en renfort (Beat it), rythmes souls africains (Wanna be startin’ somethin’), début du style funk (P.Y.T). Ce cocktail bien dosé avait de quoi séduire d'autant qu'il remettait à l'honneur la communauté afro-américaine alors en perte de vitesse.

La chanson Thriller avec ses portes grinçantes et le rire démoniaque de Vincent Price était (et est resté) le sommet de l'album. Quand bien même son clip peut paraître kitsch et simpliste avec le recul, sa diffusion sur le petit écran en décembre 1983 a été l’un des événements les plus attendus de l'histoire de la télé, d’abord parce que le clip était produit par John Landis à la manière d’un opus cinématographique, ensuite parce qu’il était annoncé comme le plus long de l’histoire.

25 ans plus tard, une édition spéciale de Thriller sort dans le monde à l’occasion du quart de siècle de l’album. Six chansons remixées dans la veine hip hop et signés Kanye West, Akon, Fergie et Will.i.am ainsi qu'un inédit tiré des sessions d'enregistrement d'origine complètent l'album initial. Une opération commerciale dont le but est de redorer le blason d’un chanteur qui ne produit plus rien de bon depuis une dizaine d’années. Michael Jackson aura 50 ans le 29 août prochain, il espère toucher une nouvelle génération pour laquelle sa musique n'est pourtant qu'un reliquat d'un autre âge. A l'écoute, les bonus du disque n'apportent rien, on peut même dire qu'ils dénaturent quelque peu l'esprit initial de l'album de sorte qu'à l'instar de son interprète, ce nouvel opus est lui aussi une caricature.

Tant qu'à rester dans la caricature, voici deux vidéos parodiques de Thriller relativement intéressantes. La première filmée en Inde dans l'esthétique typique de l'industrie Bollywood, transforme de manière désopilante la musique et l'imagerie initiales. La seconde, sur la chanson originelle, a été réalisé en 2006 dans une prison du Cebu (Philippines), avec, si l'information est correcte, le concours de 1500 prisonniers, visiblement plus calmes et disciplinés que les détenus de la troisième saison de Prison Break.



lundi 11 février 2008

Le Kosovo à la RSR : chroniques d'une indépendance annoncée



Malgré l'opposition du régime serbe de Belgrade et de la Russie, l'indépendance du Kosovo pourrait être proclamée le 17 février prochain. L'information a été annoncée par le ministre serbe du Kosovo, Slobodan Samardzic, sur la base de données recueillies dans l'entourage du 1er ministre kosovar, Hashim Thaçi. Depuis 1999, le Kosovo, province serbe qui compte une majorité d'albanophones, est administrée par l'ONU. Son indépendance devrait être reconnue par une centaine de pays. Ce qui n'ira pas sans contrarier les 100.000 Serbes vivant sur le territoire kosovare qui pourraient faire sécession.

Afin de mieux saisir toute la complexité de l'histoire récente du Kosovo et les enjeux à venir, l'émission "Histoire vivante" sur La 1ère (Radio Suisse Romande) proposait il y a une dizaine de jours six émissions captivantes d'une cinquantaine de minutes podcastables sur Itunes (http://www.rsr.ch/la-1ere/histoire-vivante). Ce choix éditorial des Helvètes peut paraître étonnant, il l'est moins lorsqu'on sait que 10% de la population kosovare est réfugiée en Suisse!

"Histoire vivante" retrace toute la complexité de l'organisation des Balkans à l'époque ottomane avant d'évoquer la création du premier Royaume Yougoslave (1918), les affres de la dictature communiste de Tito, les raisons de l'oppression serbe du régime de Milosevic. Et de terminer par une évocation de ce que devrait être le Kosovo indépendant de demain.

En complément...



"Nous ne voulons pas ce qui appartient aux autres. Nous ne cèderons pas le Kosovo". Ce graffiti à Belgrade exprime toute la détermination serbe à ne pas abandonner le Kosovo...

dimanche 10 février 2008

Le château de Beersel, perle du Brabant flamand



Le samedi radieux de ce week-end m’a donné envie de retourner dans le Pajottenland, cette région plate et fertile du Sud-Ouest de Bruxelles, entre la Dendre et la Senne qui englobe la commune d’Anderlecht où j’ai grandi, mais aussi, Halle, Enghien, Lot et enfin Beersel.
Tous les écoliers bruxellois découvrent leur premier château fort précisément à Beersel, une petite bourgade du Brabant flamand à quelques encablures de Bruxelles. Le lieu appartient à l’imaginaire collectif des habitants de capitale, il n’est d’ailleurs pas innocent qu’une des bandes dessinées qui incarne le mieux la Belgitude, la série « Bob et Bobette », imagine l'un des ses albums (De schat van Beersel) dans ce cadre prestigieux.

Enfant, je n’ai pas échappé à la visite scolaire du lieu et, comme mes camarades de classe, j’y pris plaisir à me laisser envahir par tout l’imaginaire fantasque des contes gothiques. J’étais effrayé par ces invisibles squelettes qui croupissaient au fond des oubliettes, admiratif devant ces cascades d’huile bouillante que déversaient les mâchicoulis ou intrigué par les astucieuses meurtrières qui sauvaient la vie des "bons" archers et donnaient la mort aux "méchants" ennemis.

Le château a conservé une structure intacte qui remonte aux années 1300 : trois tours de gardes reliées par un chemin de ronde irrégulier mais praticable encadrent une cour centrale assez vaste où les villageois se réfugiaient en temps de guerres ou d’épidémies. Si les fenêtres et la couverture des tours ont été réaménagées au début du XVIIe siècle, l’allure générale garde encore une grande cohérence. Chaque tour est bâtie sur trois niveaux. Chaque niveau, que l’on rejoint par un escalier à colimaçon étroit, comprend une pièce principale haute et vaste. La pièce du dernier niveau est généralement ceinturée par un couloir de garde paré de multiples fenêtres qui permettaient une surveillance accrue du paysage brabançon. Aucun mobilier, portrait, éclairage ne vient déranger ces pièces qui offrent la beauté de leur structure et l’éclat hautain de leurs pierres séculaires.

samedi 9 février 2008

Il Matrimonio segreto : un sans faute esthétique à l'Opéra Royal de Wallonie?



J'ai découvert Il matrimonio segreto de Cimarosa lorsque je préparais mon mémoire de fin d’études universitaires sur l’esthétique musicale de Stendhal. Cet opéra était pour l’auteur de La Chartreuse de Parme le prototype du « beau idéal », la perfection de ce qui pouvait se concevoir en musique. Lorsqu’il rédigea sa Vie de Rossini, Stendhal juge L’Italienne à Alger, Le Barbier de Séville ou La Cenerentola au regard du Matrimonio, démarche par nature restrictive qui explique, à côté d’intuitions géniales, la faiblesse de certains jugements et le conservatisme de son goût.


Si cette charmante comédie est effectivement louable pour la beauté de ses lignes mélodiques, il y manque la palette orchestrale, l’adrénaline harmonique, le cheminement tonal complexe, les personnages si profondément humains d’un Mozart. Pourtant, en comparaison de la production opératique du XVIIIe siècle, l'opéra de Cimarosa ne manque ni de verve comique, ni d'un instinct dramatique puissant et il mérite amplement d’être programmé par les maisons lyriques, ce que le directeur de l’Opéra Royal de Wallonie, Stefano Mazzonis, n'a pas manqué de faire dans le cadre de sa première saison à Liège.


Le Matrimonio proposé ces jours-ci à l’ORW est d'ailleurs une réelle réussite théâtrale. Mazzonis, artisan du spectacle, a misé sur les qualités d’acteurs de ses interprètes pour concevoir un spectacle extraordinairement bien rythmé. Parfois, certaines scènes sont un peu surjouées ou surchargées de gags qui remontent à la nuit des temps de la Commedia italienne, mais nul contresens ne heurte la logique de l'action et on se surprend vite à croire à cette farce avec plaisir. A cette réussite dramatique, s’ajoutent la beauté des éclairages, chaleureux et chatoyants (toujours de Mazzonis), les décors et accessoires sans la moindre faute de goût de Jean-Guy Lecat (un intérieur classique qu'on croirait tout droit sorti d'une gravure ancienne) et les costumes somptueux de Fernand Ruiz, fidèles au luxe et à la sophistication du XVIIIe mais rehaussés de couleurs audacieuses du plus bel effet.


Il paraissait judicieux de faire appel à un chef de musique baroque (Giovanni Antonini, leader d’Il Giardino Armonico) mais cette idée restera bancale tant qu’un orchestre sur instruments anciens ne restituera pas les couleurs originelles de l’œuvre dans la fosse. Quand bien même la gestique d’Antonini est d’une grande élégance et certaines ses pulsations rythmiques éclatantes comme des coups de cravaches, le chant est plombé par une lecture mélodique trop verticale. Rien de vraiment gênant, mais un peu plus d'artifice aurait permis à la musique de briller plus aisément et de coller avec le caractère primesautier de la mise en scène. On n’insistera pas sur les qualités vocales du plateau. Aucun chanteur n’est vraiment mauvais, mais aucun ne restera gravé dans les mémoires. A défaut d'avoir de belles voix, ils font montre d'un engagement physique sincère et intense qui rend leur présence plus que supportable.

Matthieu Galey, un écrivain sans œuvre

Lorsqu’on cite le nom de Matthieu Galey (1934-1986), on pense inévitablement aux entretiens avec Marguerite Yourcenar, édités sous le titre Les Yeux ouverts en 1980. Une publication qui attira la colère de l’auteur des Mémoires d’Hadrien, par les libertés que ce jeune critique littéraire à l’Express et au Combat s’étaient autorisées en divulguant ce qu’il valait mieux pour l’écrivaine, moins maîtresse d'elle-même que de coutume, de taire.

L’excellente émission « Une vie, une œuvre » diffusée jeudi dernier sur France Culture consacrait un portrait très réussi à ce dandy proustien, membre du comité de lecture chez Grasset, qui fréquentait les salons mondains de Paris où il côtoya les grands écrivains français de son époque, à commencer par Jacques Chardonne, Henry de Montherlant, Julien Gracq, Marcel Jouhandeau ou Louis Aragon. En 1986, un an après sa mort (il fut emporté par la maladie de Charcot), paraissent à titre posthume les deux tomes de son Journal, des pages corrosives qui dénoncent les travers des milieux littéraires parisiens et relatent ses différentes expériences sexuelles.

L’émission - podcastable encore quelques jours - rassemble des témoignages passionnants, ceux de Pierre Joxe (ancien ministre de l’Intérieur français qui fut l’ami d’enfance de Galey), Jean-Claude Fasquelle (ancien PDG des éditions Grasset), Herbert Lugert (l’un des deux compagnons de Galey) ou encore Geneviève Galey (la sœur du critique, réalisatrice du journal de TF1).

Le lien : http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/vie_oeuvre/index

vendredi 8 février 2008

No Country for Old Men



Le dernier film d'Ethan et Joel Coën est remarquable. Après un passage à vide, leur No Country for Old Men renoue avec cette inspiration grinçante qui traverse The Barber, O Brother ou Fargo. Inspirée par le roman homonyme de Cormac McCarthy, l'action se situe non loin de la frontière mexicaine, vraisemblablement au Texas. Nous sommes en 1980, à quelques mois de l'avènement de Reagan comme président des Etats-Unis. Llewelyn Moss (Josh Broslin), un looser digne du héros de Fargo, découvre en pleine partie de chasse dans une nature désertique d'une beauté confondante, les corps sans vie de trafiquants de drogue. Une petite mallette bourrée de dollars traine non loin des cadavres. Il commet l'erreur de s'en emparer et c'est là que tous ses maux commencent : l'affreux Anton Chigurh va lui coller aux trousses. Interprété par un époustouflant Javier Bardem (acteur fétiche d'Almodovar et de Luna), ce Chirug, affreusement coiffé comme un Beatles ou un Playmobil, est un tueur d'un genre nouveau. Solitaire, intuitif, redoutablement intelligent, ses crimes relèvent autant d'une folie incurable que de fins philosophiques diverses. La vie de ses victimes, il la joue à "pile ou face" pour accuser le hasard de ses meurtres et décharger ainsi sa conscience. Un ange de la mort d'une effrayante puissance...



Commence entre les deux protagonistes une interminable course poursuite qui tient aussi bien du road movie que du thriller psychologique. La mécanique est parfaitement rôdée, avec une succession d'escalades, de scènes violentes qui s'enchaînent dans un rythme serré, irrésistible. Le dénouement, implacablement fatal, n'advient pas comme on l'attendait. Les codes sont astucieusement cassés : la mort d'un des protagonistes se déroule hors champs, comme un non-événement sans doute parce que cette improbable histoire ne pouvait avoir de dénouement véritable. Les 20 minutes qui terminent le film décantent ce qui s'est passé, scrutent avec profondeur la vie de ceux qui restent, prennent le recul qui manquait jusqu'alors.


Le film ne serait rien de plus qu'un bon suspens s'il ne tirait son sel philosophique de la présence d'un troisième personnage, le shérif Ed Tom Bell (l'excellent Tommy Lee Jones). Spectateur passif de cette incroyable cavale, il est l"old man" principal de l'histoire, un témoin qui relate les faits à la manière d'un évangile, avec toute la lenteur de circonstance et surtout avec le caractère désabusé d'un homme qui, à quelques jours de sa retraite, renonce à servir le bien. Il y a sans doute une part d'incompétence personnelle dans son abandon (les vannes à l'encontre de la police ne manquent pas) mais, et c'est ce qui fait la grandeur du film, il y a chez ce shérif tout le pessimiste des frères Coën. Comment croire en la nature perfectible de l'homme alors que de tout temps, il s'est nourri de convoitise et de crime? La lutte est inutile. Renoncer au monde, c'est se réserver quelques rares instants de bonheur, loin de ce mal qui est une constante chez l'homme. Jadis, il était au coeur des affrontements entre communautés indiennes. Aujourd'hui, ce sont les narcotrafiquants latinos qui le relayent et on n'ose imaginer sous quelle forme il se déclarera demain. Ce constat désabusé fait de No Country for Old Men le film le plus noir des frères Coën et l'un des plus aboutis.

jeudi 7 février 2008

L'Université turque hisse les voiles


La levée de l'interdiction du voile dans les Universités est en passe d'être votée au Parlement turc par les députés islamo-conservateurs (AKP) et les ultranationalistes (NHP). Cela afin d'éviter, comme le déclare Erdogan, "les traitements injustes rencontrés par les filles aux portes des Universités". Cette mesure prise à des fins faussement antidiscriminatoires est, en réalité, une atteinte réelle à la séparation des pouvoirs. Atatürk a fait de la Turquie un état laïque. Cela ne signifie pas un état sans pratiques religieuses (il y a 98 % de musulmans dans le pays), mais une société où la chose publique et le fait religieux sont clairement séparés. Tolérer le voile ouvre la voie à la dissolution progressive de ces frontières.

Le choix de ne pas porter le voile restera évidemment libre pour les étudiantes qui le souhaitent, mais celles qui ne le porteront pas auront à subir la pression morale de leurs consoeurs religieuses. Depuis plusieurs années, une idée issue des milieux défavorisés, fait croire que le port du foulard est un gage de respectabilité. Cette "mahalle baskisi", pression de la rue (littéralement du "quartier") est de plus en plus forte en Turquie. Les femmes laïques entendent régulièrement les petits commerçants affirmer "bien que vous ne portiez pas le foulard, vous êtes une femme respectable" ; "cette fille qui ne porte pas de voile est une mauvaise fille"... Les femmes "baby-sitter" ou "ménagères" mettent systématiquement un foulard pour aller travailler afin de préserver cette notion de respectabilité. Le vote prochain de la loi ne ferait qu'étendre la "mahalle baskisi" à l'ensemble de la société civile.

Au-delà du seul fait vestimentaire, cette introduction du dogme religieux à l'Université pose un autre problème. Enlever ou non un foulard le temps d'un cour n'enlève pas les idées fanatiques qui sont dans la tête. Au nom de la démocratie, l'Université peut-elle tolérer des personnes qui revendiquent leur appartenance à un mouvement spirituel incompatible avec l'expérience scientifique, le travail de raison, la pluralité des points de vue? Comment parler objectivement de l'athéisme de Nietzsche sans le condamner. Comment aborder la question de la sexualité en littérature lorsqu'il y a de tels tabous sur le corps? Comment accepter la théorie de l'évolution des espèces (et ses adaptations postérieures) lorsqu'on est adepte du créationnisme coranique? L'Université est une ère de liberté absolue, sa mainmise par l'Islam ou par n'importe quelle religion serait un désastre pour l'évolution de la pensée humaine.