
Toute cette agitation est dérisoire (vanitas vanitatum et omnia vanitas) lorsqu’on sait que la grande faucheuse attend les hommes au tournant. Ses symboles parsèment le spectacle : de la petite urne qui contient les cendres de Pompée, omniprésente, à la Mort qui traverse régulièrement le Nil sur sa barque en quête d’âmes, en passant par un portemanteau couronné d’un crâne où pendent le casque et l'armure de César (cynique allusion aux désastres de la guerre), sans oublier ce ventilateur en palme de plumes (symbole de la fragilité) qui ventile moins qu’il ne tourne comme le mécanisme d’une gigantesque horloge funeste (elle s’arrête au moment même où César est supposé tué), tout nous rappelle l'éphémère de la vie. Et comment ne pas voir en ces flèches plantées sur l’avant-scène (une pointe côté cour, une queue côté jardin) non seulement les traits de passions qui se suivent et ne se ressemblent pas mais surtout l’allégorie des heures qui blessent et finissent par tuer (vulnerant omnes ultima necat).

Heureusement, le spectacle des Herrmann ne verse pas que dans le memento mori. Le texte de Giulio Cesare est clairement inspiré par les conventions de l’opéra vénitien (Haym a retravaillé le livret de Giacomo Francesco Bussani que Sartorio mis en musique en 1677), caractérisées notamment par le mélange de scènes comiques aux tragiques. Les metteurs en scène ne se privent dès lors pas de faire preuve d’humour quant il le faut : dans les interventions de Nireno (la servante de Cléopâtre, sublimement jouée par l’inusable et charismatique Dominique Visse), dans les scènes de séductions frivoles (Cléopâtre faussement
endormie dans sa barque) ou les rencontres au sommet de César et Ptolémée (sur un ring de boxe), dans le choix de costumes aussi : magnifiques tenues vaporeuses ou zébrées de Ptolémée, allure sexy de Cléopâtre qui en fin de spectacle renoue avec le look néodisco de Madonna dans Confessions on the Dance Floor (avec les souliers de circonstance). Sans parler des serviteurs de Ptolémée portant de grandes ombrelles blanches et vêtus comme s’ils sortaient des scènes orgiaques d’Eyes Wide Shut, les masques animaliers des dieux Anubis, Bastet, Khnoum ou Thôt en plus.

Les coupures opérées par René Jacobs, essentiellement dans le IIIe acte ne nuisent en rien à l’équilibre du drame, et quand bien même il manquerait une heure de spectacle, il reste trois heures trente d’une partition sublime, constamment animée par l’intelligence des parties « da capo », dans l'ensemble extraordinairement variées et musicalement soumises aux impératifs et au rythme du théâtre. L’orchestre est somptueux, opulent, incisif, avec quelques dédoublements d’instruments dans les passages délicats (2 cors se partagent la partie virtuose de « Va tacito », 2 violons solistes celle de l’aria « Se in fiorito ») qui évitent tout dérapage. Leur présence permettent aussi de beaux jeux théâtraux : à l'instar du petit orchestre prévu par Haendel au début de l'acte II, ces solistent jouent sur scène et interagissent avec les chanteurs.
Confié à Marijana Mijanovic, malade ou en méforme, le rôle-titre perd de sa crédibilité : vocalises savonnées, justesse approximative, couleurs ternes, faiblesse du volume et un manque évident de charisme qui se corrige en fin du spectacle. Sandrine Piau est une Cléopâtre d’anthologie, sa souplesse vocale est sans limite, son timbre somptueux, fruité, sans faille, son jeu théâtral pétillant, incroyablement séducteur et donc crédible. Brian Osawa assure jusqu’au bout la crapulerie de son personnage, Monica Bacelli a le physique et la voix idéale pour ce Sextus prématuré, Luca Pisaroni fait montre de toute la (somptueuse) violence qu’on attend d’Achille, Charlotte Hellekant, enfin, est bouleversante de pudeur en Cornélie.
Au terme de cette soirée enivrante, on en oublierait presque les propos shakespeariens de César méditant devant les cendres de Pompée : « Ti forma un soffio, e ti distrugge un fiato ».
2 commentaires:
Vu ce spectacle mardi, le meilleur à La Monnaie depuis septembre !!!
J'ai vu l'autre cast avec un Lawerence Zazzo absolument phénoménal !
Scéniquement c'est grandiose, j'ai d'autant plus apprécié que je restais sur 2 gros gros bides en matière de baroque : Didon et Enée de Purcell selon S. Walz (nul et prétentieux) et Castor et Pollux de Rameau selon P.Audi (nul et chiant=dans Rameau faut le faire...).
On verra ce que Wozzeck va donner. Je crains le pire avec M. W. à la baguette...
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