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Liège, Belgium
Né à Bruxelles dans une famille d'origine grecque, turque, albanaise et bulgare. Etudes secondaires gréco-latines. Licence en Histoire de l'art, Archéologie et Musicologie de l'Université de Liège. Lauréat de la Fondation belge de la Vocation. Ancien journaliste à La Libre Belgique et La Gazette de Liège. Actuellement Chargé de mission développement et médias à l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège. Directeur artistique-adjoint du Festival des Nuits de Septembre. Enseigne l'Histoire sociale de la musique aux Alumni de l'Université de Liège.

dimanche 2 novembre 2008

Alep la magnifique

Je quitte Damas avec une légère tristesse que le torrent de l'agitation alépine va tôt faire de dissiper. La ville extraordinairement cosmopolite est un îlot de tolérance raciale et religieuse. Toutes les confessions cohabitent dans une parfaite harmonie, on a un plaisir fou à passer des temples maronites aux églises grecques - catholiques ou orthodoxes - en passant par la vieille synagogue, les lieux de culte des communautés syriaques et, bien sûr, les innombrables monuments érigés par l'islam. Alep peut s'enorgueillir de posséder l'un des plus formidables quartiers arméniens du monde, celui de Jdaydah, cœur économique de la ville, où l'on peut voir aussi les plus belles habitations traditionnelles du coin.

Les journées à Alep sont longues et intenses. En compagnie de Colette, j'ai pris un certain plaisir à revisiter la Citadelle dont les remparts millénaires offrent une vue imprenable sur la métropole, à rêver au Musée archéologique toujours aussi figé dans une muséologie antédiluvienne que ne méritent pas les innombrables trésors de Mari, d'Ebla, d'Ougarit ou de Tell Halaf. J'ai exploré des heures le dédale des souks pluricentenaires à la recherche du plus précieux des savons de la ville (estampillé aux huit étoiles), visité dans ses moindres recoins le site protégé du vieil Alep, riche de belles medresas en pierre blanche, de bimaristanes magnifiques (ces hôpitaux psychiatriques où les médecins du Moyen-Âge soignaient la folie des patients aux sons des instruments de musique et du murmure des fontaines), de savonneries gigantesques où l'on s'immisce clandestinement sous le regard bienveillant des ouvriers du coin, de caravansérails désordonnés dont l'activité incessante remonte à la nuit des temps. Je n'ai pu manquer de faire un crochet par le quartier des artisans, au Nord de la Citadelle, où des centaines d'ouvriers, pratiquent, pignon sur rue, avec une fierté rare et une dignité admirable, des métiers dont on a oublié ailleurs l'existence ou de visiter enfin (merci Madeleine), après m'être péniblement rendu dans un quartier populaire totalement inconnu et infréquentable!, la sublime mosquée "Al Fardous" (littéralement "du paradis") qui séduit par son iwan gigantesque et ses colonnes en pierre rose dont les subtilités chromatiques gagnent à être vues au coucher du soleil.

Alep est une ville d'art exceptionnelle. C'est aussi une cité gastronomique qui impose au voyageur gourmand ses rituels particuliers : il s'agit notamment de ne pas manquer à midi les gargotes populaires qui servent de succulents plats en sauce accompagnés de blé concassé (on y mange avec les doigts!). L'après-midi, on déguste de délicieux jus de kakis, de grenades, d'oranges ou de mûres introuvables ailleurs. Le soir, on succombe au raffinement des grandes tables du quartier arménien : installés dans un cadre magique, les restaurants Sisi, Wakil ou Yasmeen proposent depuis des décennies leurs mets exceptionnels que l'on déguste aux sons live du luth alépin : il ne faut manquer pour rien au monde la purée d'aubergines parfumée au jus de grenade, la cervelle d'agneau au citron, le homos nappé à l'huile d'olive et décoré de carrés de viande, les böreks au soudjouk (salami) piquant, les köftas à la menthe, la purée d'ail, les feuilles de vigne farcies au riz et raisins secs, le fromage kurde cuit au four, les taboulés rafraîchissants copieusement garnis de persil, les boulettes de viande marinées dans une sauce à la cerise (la spécialité de la ville). Mes soirées se terminent généralement, un verre d'arak à la main, au bar du mythique hôtel Baron, établissement construit en 1911 par une ancienne famille arménienne, qui peut se targuer d'avoir reçu Agatha Christie (elle y a écrit Meurtre en Mésopotamie), Lawrence d'Arabie, Charles Lindbergh, Charles De Gaulle et tant d'autres. Le Baron est mon indéfectible point de chute dans la ville, j'aime me mêler à sa clientèle cosmopolite et cultivée qui envahit les salons élégants de l'hôtel en fin de soirée, j'aime encore bavarder avec l'adorable "Madame Lucine" ou avec l'inimitable "Monsieur Walid", véritable maître des lieux, qui propose à longueur de journée ses mille et une roublardises aux clients à moins qu'il ne corrige vos rudiments d'arabe. A la tombée de la nuit, la terrasse du Baron est un coin de lecture unique pour se replonger avec ferveur dans les vies des anachorètes syriens magnifiquement contées par Jacques Lacarrière.

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