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Liège, Belgium
Né à Bruxelles dans une famille d'origine grecque, turque, albanaise et bulgare. Etudes secondaires gréco-latines. Licence en Histoire de l'art, Archéologie et Musicologie de l'Université de Liège. Lauréat de la Fondation belge de la Vocation. Ancien journaliste à La Libre Belgique et La Gazette de Liège. Actuellement Chargé de mission développement et médias à l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège. Directeur artistique-adjoint du Festival des Nuits de Septembre. Enseigne l'Histoire sociale de la musique aux Alumni de l'Université de Liège.

lundi 20 octobre 2008

Cenerentola au TRM : la montagne qui accouche de souris



Lorsqu'une maison d'opéra comme le Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles programme La Cenerentola de Rossini, une double ivresse se fait attendre : celle de voir un spectacle débridé qui en jette par sa féerie, celle d'entendre le plus euphorisant des opéras servi sur un plateau (musical) d'argent. Une double promesse que ni la mise en scène du Catalan Joan Font ni la conception musicale problématique de Marc Minkowski, dont c’est le premier Rossini à la scène, n'auront tenue.


A vrai dire, rarement le TRM, qui aime pourtant les degrés de lecture multiples (en particulier dans les opéras à lisibilité complexe), n’aura présenté une vision aussi ordinaire et basique d’un conte pourtant connu de tous. Deux optiques sont salutaires aujourd’hui pour monter La Cenerentola : on peut soit concevoir l’histoire comme un drame réaliste sur fond de misère et de discrimination sociale ; soit au contraire jouer la carte de la magie et de l’enchantement, à l’aide de décors chatoyants, de costumes précieux et d’une assistance technologique poussée qui culminerait au moment où le mage Alidoro permet à Cendrillon d’aller au bal.


A part les éclairages très réussis du château et deux ou trois gags plutôt réduits, on ne trouve rien de tout cela chez Joan Font qui préfère se complaire dans le vieil esprit de la farce : il traite ses personnages en marionnettes, les affuble de costumes caricaturaux taillés dans le tissu d’anciennes arlequinades, il force le trait comique là où livret et musique sont suffisamment explicites pour éviter ces redondances éculées qui ont fait les beaux jours des petits théâtres d’Italie. Sentant que ses jeux de scène se perdent dans le grand vide du foyer de Don Magnifico, Font comble l’ennui visuel à l’aide de gentilles souris géantes qui observent le plus souvent l’action, à moins qu’elles ne servent au passage d’accessoiristes. Ont-elles un sens symbolique ? Sont-elles la matérialisation de l’humilité de Cendrillon, discrète et mesurée dans tous les contextes sociaux ? On en sait trop rien ! Leur utilité dramaturgique est à peu près comparable à celles des textos de spectateurs qui défilent inlassablement sur les clips de MTV.


Marc Minkowski - que l’on a connu plus en forme - peine dans le premier acte : ses troupes manquent de cohésion, il laisse tonitruer les vents (le pompon revient au piccolo aussi puissant que cinq chanteurs réunis !) et souffre surtout d’une incompréhension évidente de la forme musicale. En réalité, on sent clairement que Minkowski ne parvient pas à structurer les airs et les scènes d’ensemble, conçus sur le modèle quadripartite du pezzo chiuso - introduzione, cavatina, tempo di mezzo, cabaletta - en vigueur dans toute la première moitié du XIXe siècle en Italie. Les introductions sont statiques, les cavatines (et plus particulièrement les passages où l’action est totalement suspendue) sont étirées à outrance (cela peut fonctionner dans Mozart, mais pas avec Rossini), le tempo di mezzo oublie de rallumer ses phares, les cabalettes enfin pétaradent, trop vite et un peu tard pour être crédibles, sans que le chef ne parvienne à doser l’alchimie rythmique du crescendo. Privées de ces accélérations infinitésimales qui enfièvrent les sens jusqu’à l’hystérie, les fins d’arias ou de scènes versent rapidement dans la monotonie. Plus resserrée et fluide dans le deuxième acte, la musique s’emballe un peu plus sans convaincre pour autant.


Du côté des chanteurs, assez inégaux pour la plupart, on oubliera le Don Magnifico fade de Donato di Stefano, l’Alidoro court et nasal d’Ugo Guagliardo (il ne suffit pas d’être habillé comme Sarastro, il faut encore en avoir la profondeur vocale), les Clorinda et Tisbe monochromes des sœurs Milanesi (non, elles ne sortent pas d’un roman de Stendhal) pour retenir en tout premier lieu le Ramiro exceptionnel du Mexicain Javier Camarena, l’une des plus belles voix de ténor du moment, qui allie une rare suavité belcantiste à une puissance fébrile et radieuse et un charisme éblouissant. La mezzo espagnole Silvia Tro Santafé a énormément de noblesse dans le rôle-titre (et la petite touche de la froideur qui sied à sa future fonction royale) ; son timbre pur et profond (proche de celui d’Agnès Baltsa) et sa finesse musicale surmontent les moindres pièges de la technique colorature, son jeu sobre est touchant et humain à la fois. Lorsqu’il se cantonne au registre de la pantalonnade, le baryton belge Lionel Lhote se révèle admirable de naturel et d’intelligence, servi par des moyens d’une facilité déconcertante (il déjoue à merveille tous les pièges de Rossini) et par une voix splendide dont le grain est parfait pour le rôle de Dandini. Chapeau enfin aux choristes de la Monnaie dont on saluera l’énergie, les couleurs variées et l’impeccable diction.


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