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Liège, Belgium
Né à Bruxelles dans une famille d'origine grecque, turque, albanaise et bulgare. Etudes secondaires gréco-latines. Licence en Histoire de l'art, Archéologie et Musicologie de l'Université de Liège. Lauréat de la Fondation belge de la Vocation. Ancien journaliste à La Libre Belgique et La Gazette de Liège. Actuellement Chargé de mission développement et médias à l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège. Directeur artistique-adjoint du Festival des Nuits de Septembre. Enseigne l'Histoire sociale de la musique aux Alumni de l'Université de Liège.

lundi 13 octobre 2008

Salomé débarque à Kinepolis

Marathon culturel ce week-end à Liège entre la belle exposition Gustave Serrurier-Bovy au Musée d'Art Moderne (l'un des pionniers du designer industriel), les concerts de l'OPL (interprétation et programme magnifiques vendredi soir), les interviews de deux compositeurs élèves dans la classe de Michel Fourgon (Delphine Derochette et Jonathan Aussems dont l'OPL a créé la première œuvre pour orchestre), la Salomé du Metropolitan de New York (en direct à Kinepolis), la Biennale liégeoise du design éclatée avec plus ou moins de bonheur dans une multitude de lieux (on retiendra néanmoins le travail de l'atelier "Anverre" au Musée d'Ansembourg, de superbes vases et verres magnifiés par les installations florales de Daniel Ost), avec un constat général : la jeune génération de designers et compositeurs liégeois a trop les yeux rivés vers le passé, il lui manque l'audace, la provocation, la fantaisie et un détachement certain à l'égard du public pour parvenir à imaginer des créations nouvelles et fortes.

Contre toute attente, l'expérience la plus novatrice aura été la transmission en direct de New York. Non que la mise en scène de Jürge Flimm (datée de 2004) et l'interprétation musicale fussent d'une qualité suprême, mais les conditions de représentations offrent un potentiel inédit.

Transposé dans la Judée contemporaine, le palais d'Hérode évoque par son clinquant vulgaire les hôtels pour nouveaux riches du Proche-Orient de l'an 2000 (une incommensurable insulte au raffinement oriental). La cour du Tétrarque est une jet set contemporaine en tenue de soirée, décadente par son luxe tapageur, méprisable par sa nonchalance superficielle, elle se partage entre l'ennui de vivre et l'ivresse éthylique. Si la concrétisation matérielle de cet univers est plastiquement laide et vulgaire (terrasse en plexiglas et escalier tubulaire en inox obligent), si les anges de la mort gagneraient plus à être évoqués par l'imagination que matérialisés par les faits, le parti pris de l'actualisation tient la route.

On ne peut en dire autant de la direction de Patrick Summers. Ni haletante ni vénéneuse, sa conception a laissé le minimum de sensualité vital au vestiaire, faisant presque oublier que Salomé est une formidable leçon d'orchestration. S'ajoutent à la déception le Jochanaan épais de Juha Uusitalo dont l'intonation trop basse est un supplice bien pire que sa décollation, l'Hérode vocalement fatigué et court de Kim Begley, et dans une moindre mesure la Salomé de Karita Mattila qui n'a ni la voix et ni le physique du rôle (on la prendrait pour la mère d'Hérodiade) mais qui parvient, le choc du premier quart d'heure de rides passé, à envoûter par son jeu scénique et son extraordinaire don de soi.

Toutes ces "scories" sont pourtant balayées par la grande triomphatrice de la soirée : la diffusion d'un opéra en direct dans une salle de cinéma. A l'inverse d'une transmission à la télé ou d'une projection en DVD, l'expérience est complètement différente : l'écran géant redimensionne la scène à sa juste mesure, les personnages évoluent dans un espace enfin plausible et supportable à l'œil, les gros plans décuplent la moindre expression et le moindre jeu des acteurs, étonnement développés pour la cause (une des raisons qui rendent Karita Mattila, malgré ses défauts, exceptionnelles). La mise en image ultra soignée permet des plans quasi cinématographiques, les points de vue multiples réalisés par une foule de micro-caméras, les angles inédits, les perspectives nouvelles cassent l'axe frontal traditionnel, créant une dynamique supplémentaire qui, dans les moments cruciaux, tient en haleine. L'effet est sidérant!

La qualité sonore ne manque pas d'attraits. Diffusée en haute définition, la musique enveloppe le spectateur dans un bain de sons puissants et vibrants irréalisables au moyen d'un home cinéma. Certes, pour un amateur d'opéra la perception de l'orchestre est déroutante, la spatialisation des instruments est gommée au profit d'un son plus compact et global, qui ne tient pas nécessairement compte des équilibres réels, les acteurs chantent au même volume au centre de l'image acoustique, mais l'on s'habitue très vite à ces conditions. Le résultat, proche de la perception acoustique de toute musique de film, reste cent fois supérieur à l'écoute en salle d'un mauvais orchestre de fosse dans un médiocre opéra de province. Enfin, la magie du direct est aussi incomparablement plus forte au cinéma qu'à la télévision et on frémit à la vue de Mattila interviewée devant sa loge, rejoignant avec angoisse la scène, embrassant avec chaleur ses collègues de plateau à quelques secondes du lever de rideau. Les applaudissement de ce cher public new-yorkais sont plus réels que nature, ils résonnent autour de nous et donnent l'illusion, le temps d'un instant, d'être avec lui à Manhattan. Là encore des sensations inédites impossibles avec la télévision.

Cette projection de Salomé est une première pour le Kinepolis de Liège (comme pour celui de Waterloo-Braine, Bruxelles a déjà inauguré l'expérience la saison dernière). Une dizaine d'opéras (et non des moindres) sera proposée au cours de la saison, à commencer par Doctor Atomic de John Adams le 8 novembre prochain. Sans nécessairement chercher à démocratiser l'opéra, l'institution vise incontestablement une nouvelle clientèle et mise sur une certaine forme de prestige : le spectateur reçoit une coupe de champagne en arrivant, le synopsis (en anglais) est distribué, le personnel est aux petits soins.

La nouveauté du concept et le coût élevé de la projection (le double d'une place de cinéma) n'ont rassemblé samedi soir qu'une vingtaine de spectateurs parmi lesquelles le directeur de l'Opéra Royal de Wallonie dont on se demande s'il aura vécu l'événement comme de la concurrence ou, au contraire, comme une formidable opportunité de synergie entre les deux institutions. Comment ne pas espérer en effet que les maisons d'opéra s'approprient dans un futur proche le projet, qu'elles dotent leurs salles d'écrans géants et de technologies sonores avancées, qu'elles complètent leur saison par des projections venues des quatre coins de la planète, qu'elles constituent des réseaux de coproductions ciné-opératiques. Ce serait aussi une incroyable opportunité pour des festivals élitistes comme Bayreuth, Salzbourg, Glyndebourne ou Aix d'être mis à la portée de tous. Tout cela annonce incontestablement le début d'une ère nouvelle pour l'histoire des maisons d'opéra...

www.metopera.org/hdLive

4 commentaires:

Anonyme a dit…

En effet, c'est une avancée qui semble inéluctable à condition que tout le monde ne se mette pas à chasser le même lapin...
L'Opera de Barcelone (Le liceu) a depuis longtemps un système de diffusion de ses productions dans des auditoires d'universités dans le cadre d'un programme auprès des étudiants...
Ce qui me rebutte un peu c'est qq même le prix fort élevé demandé...

Stéphane DADO a dit…

Le prix est effectivement élevé, 18 euros au Kinepolis, qui est justifié sans doute par les coûts extrêmes du système de diffusion. Tu as raison, Pierre-Jean, sur la nécessité de pas se mettre à chasser tous le même lapin... Sur le long terme, je me demande si la formule ne concernera pas aussi les sociétés de concerts, les théâtres, etc. Avec le problème évident de la concurrence que cela risque d'engendrer. Entre une transmission en direct de la Comédie française et une pièce de Théâtre donnée au Théâtre du Parc de Bruxelles, le choix est vite fait... J'imagine que cette concurrence aura aussi pour effet d'améliorer la qualité des productions en salle...

Anonyme a dit…

J'étais hésitant, mais je sens qu'il ne faut pas louper les suivants. Il y a la géniale Damnation de Faust de Robert Lepage le 22 novembre. MH

Stéphane DADO a dit…

Oui, il s'agit de la production de Paris. Pas vue mais il semble qu'elle soit exceptionnelle. J'avais beaucoup apprécié son Stravinsky à la Monnaie, l'un des plus beaux spectacles de l'ère Foccroulle (et le dernier si je me souviens bien).