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Liège, Belgium
Né à Bruxelles dans une famille d'origine grecque, turque, albanaise et bulgare. Etudes secondaires gréco-latines. Licence en Histoire de l'art, Archéologie et Musicologie de l'Université de Liège. Lauréat de la Fondation belge de la Vocation. Ancien journaliste à La Libre Belgique et La Gazette de Liège. Actuellement Chargé de mission développement et médias à l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège. Directeur artistique-adjoint du Festival des Nuits de Septembre. Enseigne l'Histoire sociale de la musique aux Alumni de l'Université de Liège.

mardi 11 mars 2008

Le rebetiko selon Jacques Lacarrière

L'Eté grec (1976) de Jacques Lacarrière est incontestablement le plus beau livre écrit par un auteur français sur les 4000 ans de civilisation grecque. Excellent traducteur des auteurs antiques et poètes modernes, Lacarrière fut aussi un voyageur infatigable. Il parcourut à pied la Grèce entre 1952 et 1966, sans un sous en poche, en véritable routard bohème et étudia tous les pans culturels du pays, en particulier la vie quotidienne du petit peuple. Parmi les plus belles pages de L'Eté grec, celles sur le rebetiko (je préfère la graphie sans accent) sont une évocation très riche de ce qui est sans doute le patrimoine musical le plus précieux des Grecs.

"S'il me fallait définir d'un mot ce qui, au cours de ces années grecques, fut pour moi le plus révélateur (ce que j'emporterais de grec avec moi dans une île déserte), je dirais : les rébétika. [...] Ces airs sont liés à toutes mes années grecques et ils accompagnent toujours dans ma mémoire chacun de mes séjours en Grèce. [...] Parler des rébétika, c'est-à-dire des rébètés, [...] mot [qui] signifie en grec un homme des bas-fonds, du "milieu" ou simplement du sous-prolétariat des villes, un miséreux ou un paumé, un homme du bas-monde (en précisant qu'il s'agit là de la vision bourgeoise du mot, le rébétiko réhabilitant justement le mot pour faire de ce bas-monde, le vrai monde, - celui où l'on connaît la vie, la souffrance, les réalités par rapport au monde conventionnel et frelaté de la bourgeoisie et de l'intelligensia) bref, parler des zébékikas, les danses qui accompagnent ces chants, des bouzoukia, des baglamadès, instruments qui leur sont associés et de tout l'univers impliqué par ces chants et cette poésie populaire (la taverne, le vin, la misère, la nuit, la mort, la prison, les ports, le haschish, le narguilé, le déké, la masoura) serait raconter pratiquement un demi-siècle de l'histoire grecque. [...] Les principaux compositeurs populaires grecs de rébétika, Tsitsanis, Bambakaris, Dascalakis, Mitsakis, Papaioannou, Mathésis, Batis sont pour moi l'équivalent des plus grands compositeurs de blues, d'un Amstrong, d'un Fats Waller, d'un Sydney Bechet.

[...] Dans leur histoire présumée, le rébétiko et le zébékiko sont nés à la fin du siècle dernier dans les quartiers grecs et pauvres de villes d'Asie Mineure. Car cette musique et cette danse sont avant tout des phénomènes urbains. Airs et paroles sont l'oeuvre d'artistes autodidactes et donc composés par un individu précis, connu de tous. Son nom peut ou non devenir célèbre par la suite, dépasser les frontières d'un café, d'un quartier, d'une ville, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit toujours de créations individuelles, non d'oeuvres collectives ou anonymes.



[...] L'essentiel des rébétika, c'est leur musique impossible à décrire par des mots - et la poésie des paroles. Après la catastrophe d'Asie Mineure [en 1922] (où un million de Grecs quittèrent la Turquie pour s'installer en Grèce, dans les îles avoisinantes, la Thrace puis la banlieue de Salonique et d'Athènes), ces danses et ces chants furent apportés par les réfugiés. Ils purent s'y développer, y évoluer dans un cadre presque identique (influences turques mises à part), la langue étant pratiquement la même. De cette période héroïque du rébétiko, entre les années 1920 et 1940, il reste des paroles, des disques, et toute la nostalgie de ceux qui l'ont connue. Car ce qui se dit, ce que joue, ce que chante le compositeur autodidacte (ou la chanteuse qu'il choisit pour le faire), c'est la plainte extrême des bas-fonds, la litanie de la misère, le lyrisme d'un sous-prolétarat qui trouve dans le chant, la danse, le vin et le haschisch les seules évasions possibles. Il en émane un thrène continu qui a socialement, historiquement, un contenu bien précis au point qu'on pourrait presque écrire une histoire du sous-prolétariat urbain en étudiant ces chants. La pauvreté, l'exil, la prison, l'amour toujours déçu ou impossible, l'errance dans les rues nocturnes, le refuge dans la taverne mal éclairée, le haschisch, le narguilé, la mort, voilà quelques-uns des thèmes courants de ces rébétika."

Markos Vamvakaris, An fiyoume ston polemo


Giannis Papaioannou, Vgike o xaros na psarepsi


Sotiria Bellou, Sinnefiasmeni kyriaki

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Pour les amateurs, vu dans un toute-boites local : Concert grec de Nicolas Syros
Florennes - FEDASIL et le Foyer culturel de Florennes proposent de découvrir l'univers déroutant du rebetiko. Nicolas Syros, un musicien reconnu de bouzouki viendra présenter la richesse de cette musique grecque moderne.
Né au début du XXeme siècle dans les communautés grecques d'Asie Mineure pour s'étendre ensuite à toute la Grèce, le rebetiko est l,une des créations les plus originales et les plus spécifiques de la culture grecque d'aujourd'hui. Comme le blues le fut en son temps, il véhicule le cri des marginaux, la plainte des esseulés et des laissé-pour-compte, le credo d'une Grèce réfractaire à toute culture bourgeoise. Nicolas Syros, qui se produira à Florennes le 14 mars est né à Athènes en 1955. Sa famille est composée de musiciens; son père a un diplôme de violon classique du conservatoire national d'Athènes; son frère est guitariste et violon classique du conservatoire; il a un oncle accordéoniste et un autre guitariste populaire.
Très tôt Nicolas Syros est attiré par le bouzouki, seul instrument traditionnel national typiquement grec avec le baglama.
Compte tenu que cet instrument n'est pas enseigné dans les conservatoires, il fait son apprentissage en tant qu'autodidacte auprès du célèbre Vassilis Tsitsanis, en 1968.
Il rencontre alors les plus célèbres interprètes. Nicolas Syros viendra en interpréter des mélodies ce vendredi 14 mars à 19h30 à la salle St-Pierre. Entrée gratuite.

Voilà, pour ceux qui habitent la région, et même au delà, c'est sans doute une excellente soirée. Francis de Biesme.

Anonyme a dit…

Je partage votre admiration pour Jacques Lacarrière,que j'ai eu la chance d'écouter en conférence-lecture il y a une dizaine d'années à la Maison de la Poésie, à Paris."L'été grec" est en effet un des plus beaux livres qui soit.
Marianne

Stéphane DADO a dit…

@ Francis

C'est vrai que le rebetiko est "le credo d'une Grèce réfractaire à toute culture bourgeoise". Lacarrière dénonce à plusieurs reprises la récupération de cette musique populaire par les intellectuels grecs après les années 50. Cela a d'ailleurs donné quelques contresens : Theodorakis qui fait du rebetiko intello chanté par Farandouri cela peut être complètement emmerdant (heureusement, ils ont aussi fait des choses très belles).

Stéphane DADO a dit…

@ Marianne
Je vous envie de l'avoir rencontré. Il était l'hériter d'une Grèce qui est en train de complètement disparaître sous l'effet d'une occidentalisation et d'une industrialisation déplorables.

Dans l'optique d'un prochain voyage dans ce pays, j'ai repris l'Eté grec. Je suis émerveillé par l'étendue de la connaissance littéraire de Lacarrière, tant chez les auteurs antiques que contemporains, par son esprit de découverte infatigable (le moindre village reculé n'a pas de secret pour lui) et par son amour du peuple, le principal dépositaire de l'âme grecque.

Lacarrière était en plus un excellent interprète. Sa traduction des voyages de Pausanias (que je dois prochainement relire) est rédigée dans une langue imagée, élégante et fluide, tout comme celle du Z de Vassilikos.

Je vous recommande son Dictionnaire amoureux de la Grèce (2001), que j'ai lu jusqu'au bout avec un enthousiasme sans égal.

Anonyme a dit…

Je n'ai pas lu son "Dictionnaire amoureux", mais je vais le faire très prochainement, c'est une bonne idée, merci !
Je ne suis plus retournée en Grèce depuis 1978. Peut-être ne dois-je rien regretter?....
Marianne