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Liège, Belgium
Né à Bruxelles dans une famille d'origine grecque, turque, albanaise et bulgare. Etudes secondaires gréco-latines. Licence en Histoire de l'art, Archéologie et Musicologie de l'Université de Liège. Lauréat de la Fondation belge de la Vocation. Ancien journaliste à La Libre Belgique et La Gazette de Liège. Actuellement Chargé de mission développement et médias à l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège. Directeur artistique-adjoint du Festival des Nuits de Septembre. Enseigne l'Histoire sociale de la musique aux Alumni de l'Université de Liège.

dimanche 9 mars 2008

Comprendre l'art ou le sentir?

Ce samedi, Alain Finkielkraut recevait dans "Répliques" (France Culture) Jean Clair, éminent historien de l’art, ancien directeur du musée Picasso et Hector Obalk, chercheur en esthétique et philosophie de l’art. La confrontation portait sur l’intérêt d’une délocalisation du Louvre à Abou Dhabi. La question restera sans réponse car le débat dévie très vite vers une confrontation virulente entre deux types d’approches de l’art. Jean Clair opte pour une lecture purement historique de l'œuvre d’art : celle-ci doit être étudiée et comprise en fonction de son contexte social, philosophique et économique et n’a pas à s’encombrer d’une approche esthétique qui tendrait à la décrire comme belle ou non, comme plus ou moins meilleure à d’autres œuvres.

Hector Obalk expose à l’inverse l’idée d’une nécessaire hiérarchie des œuvres d’art (un Raphaël serait « par nature » supérieur à toute production du Pérugin). Il opte pour une étude purement formaliste, autrement dit, c’est le style d’un artiste qui fonde l’œuvre et non son sujet. Si nous avons 30 représentations de la crucifixion, ces 30 toiles n’auront pas la même valeur esthétique, quand bien même le sujet est identique.

Le débat est surprenant, tant par la radicalité des propos que par le cloisonnement des thèses respectives. Il s’agit clairement pour les deux intervenants d’opposer la compréhension à la perception. Une analyse sérieuse et exhaustive de l'œuvre d’art exigerait, au contraire, une approche plus globalisante. L’étude iconologique qui permet d'identifier un personnage, decomprendre le sens caché, la fonction symbolique d'un objet, le rôle du commanditaire, n’exclut pas de porter par la suite un regard sur les aspects plus stylilstiques : le schéma général de la composition, les proportions des objets ou des personnages, la rapidité du coup de pinceau, le choix des coloris, les jeux de lumières, etc. composantes qui sont l’âme d’un tableau, la marque de fabrique d’un peintre.

Jean Clair, que j’admire par ailleurs, reproche la vanité d’une approche de l’art par le seul biais du jugement esthétique et de la sensation de celui qui perçoit. Certes, le goût artistique est une affaire personnelle et personne n’est détenteur d’aucune vérité en matière d’art. Mais étudiés sur la durée et sur le nombre, les jugements deviennent un sujet d'étude passionnant sur l’histoire et l’évolution des goûts d’une société. L’école anglaise, en particulier cet éminent historien d’art qu’est Francis Haskell, a œuvré en ce sens sans qu’il soit question d’opposer l’histoire et l’esthétique. Pourquoi les penseurs français jugent-ils bon de s'enfermer dans des querelles d'écoles pour le moins stériles?

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Le débat est sans limite...et peut être vain.. L'urinoir de Marcel Duchamp, est-ce de l'art ? Et pourquoi un bronze de Rembrandt Bugatti est-il de l'art et pas une automobile de son frère Ettore ? Francis de Biesme.

Stéphane DADO a dit…

Je pense que nous sommes dans un débat d'un tout autre ordre avec cette question. Il ne s'agit plus de déterminer la méthode d'analyse de l'œuvre d'art mais de savoir ce qui peut avoir le statut d'œuvre d'art ou pas.

Qu'on soit sensible ou non à la qualité esthétique de l'urinoir de Duchamp, peut importe : l'artiste a élargi la définition de l'art, celui-ci n'est plus une réalisation bâtie sur des notion de savoir-faire, de virtuosité, de beauté. Duchamp introduit dans la définition de l'art la notion de l'intention : est de l'art ce que nous considérons comme tel : c'est l'acte de nommer qui fait l'œuvre, c'est le choix de l'exposer dans un musée qui lui donne ce statut. Avec ses ready-made (roue de vélo, porte-bouteille, urinoir), il a ouvert la voie à tous les grands courant en vigueur depuis ces cinquante dernières années : le happening, le pop art et surtout l'art conceptuel.

La question de "qu'est-ce que l'art" appliquée aux frères Bugatti se pose moins. Le bronze de Rembrandt clairement a une vocation esthétique, la voiture d'Ettore a une fonctionnalité différente, quand bien même la recherche de beauté y est manifeste.

Sophie B. a dit…

Personnellement, je suis très instinctive face à un tableau. J'aime ou je n'aime pas. Pas besoin de littérature ou d'histoire pour déterminer mon goût.

Stéphane DADO a dit…

C'est la démarche que défend Obalk. Je la partage dans le domaine de l'art contemporain mais elle a ses limites : notre jugement n'est pas toujours stable, il nous arrive de décrier ce que nous avons aimé quelques années plus tôt. Comment dès lors établir des normes, un classement à partir d'une chose aussi capricieuse et instable que le goût? Pourquoi les opéras de Vivaldi sont à la mode alors qu'on les décriait il y a encore dix ans? Pourquoi Ingres est un génie pour l'homme contemporain alors qu'à d'autres époques, il était regardé comme le sommet de l'académisme...? Si la méthode d'Obalk est effectivement séduisante parce qu'elle induit un rapport émotionnel à l'oeuvre, ses faiblesses sont criantes.

Anonyme a dit…

Pas convaincu de la pertinence de ce débat...mais je recommande la lecture du "Journal atrabilaire" de Jean Clair, qui vient d'être réédité en poche dans la collection Folio

Stéphane DADO a dit…

Effectivement Jean-Pierre, comme je l'écrivais en conclusion du billet, il me paraît stérile. Ce qui m'a surpris c'est l'agressivité de la joute en radio...

Anonyme a dit…

Après avoir réécouté l'émission sur internet, je ne peux que regretter le survol trop rapide et "désordonné" (Finkielkraut emploie le mot lui-même en fin d'émssion)des sujets évoqués.
Pour en revenir au "Louvre" d' Abou Dhabi, j'aimerais préciser que Jean Clair avait signé avec Françoise Cachin un article intitulé "Les musées ne sont pas à vendre" dans le Monde en décembre 2006, peu après l'annonce du projet de délocalisation par le ministre de la Culture Donnedieu de Vabres.La pétition contre le projet de Louvre à Abou Dhabi, lancée par la Tribune de l'Art à la même époque, circule toujours sur internet, cela vaut la peine de la (re)lire...Dommage que l'intérêt financier eut le dernier mot, comme toujours.
Marianne

Anonyme a dit…

http://www.lemonde.fr/opinions/article/2006/12/12/les-musees-ne-sont-pas-a-vendre-par-francoise-cachin-jean-clair-et-roland-recht_844742_3232.html

On trouve aussi cette interview dans le Point

http://www.nouveau-reac.org/docs/CJ/CJ_IVEL2.htm

Louis VH