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Liège, Belgium
Né à Bruxelles dans une famille d'origine grecque, turque, albanaise et bulgare. Etudes secondaires gréco-latines. Licence en Histoire de l'art, Archéologie et Musicologie de l'Université de Liège. Lauréat de la Fondation belge de la Vocation. Ancien journaliste à La Libre Belgique et La Gazette de Liège. Actuellement Chargé de mission développement et médias à l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège. Directeur artistique-adjoint du Festival des Nuits de Septembre. Enseigne l'Histoire sociale de la musique aux Alumni de l'Université de Liège.

jeudi 13 mars 2008

La Passion selon Claude Ledoux

Parmi les compositeurs belges d'aujourd'hui, Claude Ledoux est un de ceux dont j'apprécie particulièrement la musique. Sa finesse mélodique (souvent inspirée des musique extra-orientales), la beauté de ses orchestrations, son travail sur la décomposition des harmoniques du son, directement influencé par l'école "spectrale" de Grisey et Murail, donne lieu à des pièces extrêmement séduisantes et raffinées. Son 1er Quatuor à cordes ainsi que le Cercle de Rangda (son concerto pour piano) comptent parmi les œuvres les plus importantes créées en Belgique ces dernières années. Compositeur prolixe, Claude Ledoux crée ce mois-ci deux nouvelles compositions :

- Sa Passion selon saint Luc est donnée ce mercredi 13 mars à 20h à la Cathédrale Saint-Michel de Bruxelles, et le samedi 15 mars, à 20h, à la Cathédrale de Liège.
- son 3e Quatuor à cordes "Las lagrimas de un angel", que le Quatuor Danel interprètera le mardi 18 mars, à 20h, au Conservatoire de Bruxelles.

A cette occasion, il a accepté de parler de ces nouvelles pièces.

Une Passion au XXIe siècle... n'est ce pas anachronique ?

La question interpelle ; à l’instar de la proposition d’Alain Arnould, aumônier des artistes à la Cathédrale de Bruxelles, qui suscita en moi une profonde réflexion sur le devenir d’une certaine musique sacrée d’aujourd’hui. Certes, écrire une œuvre musicale sur les derniers moments de la vie du Christ renvoie à un pan indéniable de la culture musicale du monde : des Passions de la Renaissance où le chœur tient le rôle des protagonistes, à celles des temps baroques où les conventions des “passions” se déclament au gré de parties vocales fortement individualisées ; mais aussi de certains Chants méditerranéens de la Semaine Sainte exhalés par un chœur de solistes aux sonorités nasillardes et pourtant sublimes ; sans oublier ces monodies archaïques des églises du Proche-Orient, berceau de la foi chrétienne, ouverts à la profusion de mélismes envoûtants. L’occasion était belle d’offrir aux oreilles d’aujourd’hui un voyage né de la synthèse de ces univers aimés, “digérés” en un tout organique faisant la part belle aux sonorités d’un ailleurs imaginaire, associé à ce texte magnifique de l’évangéliste Luc.

Cette Passion est-elle pour vous un acte de foi ?

Se lancer dans l’aventure de la musique religieuse aujourd’hui me semble un acte responsable, intégré dans une époque où les valeurs spirituelles ne cessent d’affronter la frénésie matérialiste. Reste la question : où donc se situer sur cette échelle de valeurs que l’on ne peut négliger ? Je n’ai pas de réponse catégorique.

Quel traitement réservez-vous au chant ?

Je suis parti d’un point focal caractéristique qui ne cesse de m’émerveiller : les chants de la Semaine Sainte de Sardaigne, entendu interprétés par un choeur d’hommes à quatre voix à la richesse harmonique insoupçonnée. Les extraordinaires couleurs nasillardes de ces voix renforcent, par addition des timbres des solistes, certaines bandes de fréquences du spectre vocal, inhabituelles dans le chant classique. Ainsi a-t-on la sensation d’entendre une voix nouvelle, féminine, virtuelle – celle de la mater dolorosa - planer au dessus de ces voix strictement masculines. Une présence dans l’absence. D’où l’idée d’utiliser dans ma Passion une unique voix féminine solo en réponse à cette virtualité sonore ; en réaction aussi à la tradition vocale des Passions. De plus, à l’instar des chants de Sardaigne, l’idée d’enrichissement spectral sous-tend l’entièreté de l’œuvre grâce à l’utilisation de l’électro-acoustique. Ce qui nous rappelle combien l’histoire de la technologie demeure liée à celle de la spiritualité musicale.

Comment s'organise la distribution des rôles lorsqu'on ne dispose que d'une soliste ?

Il n'y a point de distribution stéréotypée, mais une variabilité permanente où les personnages, tant le Christ que les autres protagonistes, peuvent être représentés alternativement par la soliste, le chœur ou l’électro-acoustique. Un jeu aussi entre représentation individuelle et proposition collective ; que ce soit dans le statut de Jésus – aussi bien individu sensible qu’ouverture sur l’infini – ou celui du peuple – multitude meurtrie par ses antagonismes, mais aussi objet unique de la miséricorde de Dieu.

Venons-en à la seconde création. Pourquoi ce 3e quatuor s'intitule-t-il "Las lagrimas de un angel" ?

Ce titre est d'abord métaphorique. Il fait référence à l’histoire de la jeune équatorienne Angelica (et finalement celle de tous ces enfants de famille d’exilés, parfois résidant de longue date dans nos contrées), recluse en 2007 dans la promiscuité d’un centre fermé pour sans-papiers, aux larmes largement médiatisées, qui m’a ému au point de composer une œuvre dont l’écriture et ses stratégies se devaient d’offrir mon point de vue sur la chose.

Comment ce point de vue s'est-il affirmé musicalement ?

L’une de mes caractéristiques esthétiques consiste depuis bon nombre d’années à me nourrir des musiques extra-européennes, de les “digérer” et de les synthétiser sous la forme d’une dialectique avec les pratiques techniques de l’écriture musicale occidentale. Dès lors pour rejoindre la métaphore précédemment citée, j’ai analysé par le biais de l’informatique certains faits sonores émanant de rituels pratiqués en Équateur mettant en valeur des ensembles de conques – les pututus - aux sonorités étranges. Ainsi, les échantillons mis sous observation ont-ils révélé de remarquables propriétés spectrales. Ainsi le projet musical rejoint-il le projet métaphorique ; même si pour l’oreille ne demeure uniquement que la musique !

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci pour l'info. Comme j'aime beaucoup les Danel, j'irai écouter le quatuor de Claude Ledoux à Bruxelles. Brigitte