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Liège, Belgium
Né à Bruxelles dans une famille d'origine grecque, turque, albanaise et bulgare. Etudes secondaires gréco-latines. Licence en Histoire de l'art, Archéologie et Musicologie de l'Université de Liège. Lauréat de la Fondation belge de la Vocation. Ancien journaliste à La Libre Belgique et La Gazette de Liège. Actuellement Chargé de mission développement et médias à l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège. Directeur artistique-adjoint du Festival des Nuits de Septembre. Enseigne l'Histoire sociale de la musique aux Alumni de l'Université de Liège.

lundi 8 décembre 2008

Beste Erik Van Looy and Bart De Pauw...

La dernière chronique (bimensuelle) d'Alain Gerlache dans l'excellent journal flamand "De Staandard" - une lettre ouverte à Erik Van Looy et Bart De Pauw, respectivement réalisateur et scénariste du récent film Loft, va à contre-courant des pensées univoques répandues en Flandre comme en Wallonie. Très favorablement reçue par le lectorat et l’intelligentsia flamands, cette chronique mérite d'être livrée dans sa traduction française car elle révèle clairement l'étendue du fossé qui sépare désormais francophones et néerlandophones de Belgique. Une division caricaturale et absurde, évoquée pourtant sans la moindre volonté de belgicanisme latent. Le constat est clair, tranché, radical, avec les quelques flèches d'usage décochées là où cela fait mal!

Chers Erik Van Looy et Bart De Pauw,

J’ai eu de la chance ! Et j’en suis fier, car cela semble en effet une véritable performance. J’ai visionné votre film Loft dans un cinéma wallon. J’entends par là sur le territoire wallon à Braine-l’Alleud. Je l’admets, ce n’est pas loin de la frontière linguistique. Mon ami et moi étions presque les seuls francophones dans la plus petite salle du complexe Kinepolis où le film était projeté. En néerlandais, avec des sous-titres français. Deux jours plus tard, Loft n’était déjà plus à l’affiche. Le plus grand succès de tous les temps en Flandre n’est même pas visible en Wallonie. Grâce à ces facilités culturelles, très temporaires, nous avons vu, sans avoir à nous rendre à Bruxelles ou à Louvain, un excellent thriller. C’est ça le Loft : un très bon film. De la qualité pour le grand public. Nullement une production flamande ou belge que l’on soutient par sympathie. "The proof of the cake is the eating". Et la preuve qu’un film est bon, c’est qu’on prend du plaisir à le voir.

Je trouve très dommage que les Wallons n’aient aucune chance de voir votre film. Pas seulement parce que qu’ils vont manquer quelque chose. Mais aussi parce qu’ils verraient une toute autre image de la Flandre que celle qui leur est proposée quotidiennement. Qui sont-ils les Flamands qui s'expriment dans les médias francophones ? Essentiellement des politiciens et quelques footballeurs et cyclistes. Je n'ai rien contre les politiciens et les sportifs. Mais la Flandre c’est bien plus que Bart De Wever et Tom Boonen. Loft donne une vision de la Flandre que la plupart des francophones ne connaissent même pas. Je suis certains qu’ils seraient surpris. A mille lieux de l’histoire lamentable de trois bourgmestres et de l’image revancharde d’une Flandre paranoïaque qui à vrai dire doute encore d’elle-même. Votre film prouve qu’une autre Flandre existe maintenant : moderne, ouverte, sûre d’elle, créative. Une Flandre tournée vers l’international et qui se préoccupe davantage des nouvelles tendances à New York ou Hollywood que de la langue des convocations électorales à Linkebeek.

Les francophones pensent que la Flandre est plus conservatrice que la Wallonie parce qu’elle est politiquement plus à droite. Un beau sujet de réflexion pour les politologues. Mais sur le plan culturel, la Flandre est de loin plus progressiste. Ce n’est pas par hasard que l’action [de Loft] se déroule à Anvers, aux yeux des francophones une ville réactionnaire à la limite du fascisme. Naturellement, la ville portuaire connaît de graves problèmes et des situations inacceptables. Mais Anvers est dans le domaine culturel sans doute la ville la plus dynamique de la Belgique. Que savent les Wallons du Singel, de la Nuit des Musées, de l'architecture moderne anversoise ou de Tom Lanoye ? Rien. "Few places offer such an appealing mix of classic and modern features" déclare le guide "Lonely Planet" qui classe Anvers dans le "top ten" de ses villes préférées. En Wallonie, Anvers est toujours associée à Filip Dewinter et au Zoo.

La culture est la première compétence nationale qui a été scindée. À la demande des Flamands, d'ailleurs. Vous souvenez-vous encore des Conseils Culturels, les ancêtres des parlements de nos actuelles Communautés ? Dans le contexte belge de l'époque cette décision était sans doute compréhensible. Mais un pays où la culture est divisée n'a pas d'avenir. Peut-être était-ce justement cela le but ? En tout cas, je maintiens mon point de vue : les francophones doivent aller voir Loft. Pour cela, il faudrait que le film soit montré dans la Wallonie entière et pas seulement à Bruxelles. Mais cela ne suffit pas. Même dans la capitale, peu de francophones ont vu le film.

Ce film-ci devrait être doublé. Non pas parce qu’il s’agit d’une production en néerlandais. Dans les zones linguistiques où le doublage est rentable, le public donne toujours la préférence à la version doublée. Mais il doit être parfaitement doublé : les tentatives de doublage bon marché de séries télévisées flamandes ont fait un flop en Wallonie. Ajoutons encore ceci: les films wallons eux-mêmes remportent le plus souvent très peu de succès chez nous. Par manque de talent ? Non bien sûr! Car ils sont déconnectés du grand public ? Cela a peut-être été le cas jadis mais la situation est en train de changer. En témoigne le dernier film wallon, Les Deux Chaines, réalisé par Frédéric Ledoux, par ailleurs producteur de programmes télévisés très réussis. Que nous manque-t-il donc alors ? Réfléchissons un instant. Pourquoi les films des Frères Dardenne ont-ils autant de succès ? Parce qu’ils ont d’abord été reconnus à l’étranger. Pour attirer les spectateurs de Mons ou de Namur, il faut d’abord passer par Cannes. Et décrocher la Palme d’or ! Cela en dit long sur le lancinant manque de confiance en soi des Wallons.

Donc, chers Erik et Bart, un bon conseil. Faite doubler Loft, essayer de trouver un distributeur en France, faite savoir via les médias que le film a du succès à Paris et vous pourrez le lancer en Wallonie en toute tranquillité.

Alain Gerlache
http://www.alaingerlache.be/
(traduction St.D.)

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