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Liège, Belgium
Né à Bruxelles dans une famille d'origine grecque, turque, albanaise et bulgare. Etudes secondaires gréco-latines. Licence en Histoire de l'art, Archéologie et Musicologie de l'Université de Liège. Lauréat de la Fondation belge de la Vocation. Ancien journaliste à La Libre Belgique et La Gazette de Liège. Actuellement Chargé de mission développement et médias à l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège. Directeur artistique-adjoint du Festival des Nuits de Septembre. Enseigne l'Histoire sociale de la musique aux Alumni de l'Université de Liège.

mardi 2 décembre 2008

L'orphisme : une religion du salut dans la Grèce antique

L'idée que les Grecs de l'Antiquité se font de la mort est sombre et pessimiste. Dans sa destinée postmortem, l'âme du défunt rejoint les profondeurs de l'Erèbe, elle végète, fantomatique, sans conscience de son ancienne destinée, et ne vaut guère plus que le pâle reflet d'un homme dans un lac. Tout aussi dévalorisante pour les hommes semble leur rapport aux Dieux, marqué, selon la doctrine officielle, par une infranchissable distance, une subordination aveugle dont le moindre écart donne lieu aux châtiments des grandes tragédies. Sur terre comme au ciel, il n'y a point de salut pour la condition humaine. Cette vision pessimiste a inévitablement favorisé l'émergence de courants spirituels alternatifs préoccupés, six siècles avant la naissance du Christianisme, par le salut des hommes : les religions à mystères (à commencer par ceux d'Eleusis) et les cultes orphiques en font partie.

Dans son excellente étude “Orphée et l'orphisme” (P.U.F.), Reynal Sorel livre une synthèse captivante de ce second courant. Il se penche sur des sources souvent tardives (certaines datent du IIe siècle de notre ère), complétées par la découverte récente de textes inscrits sur des lamelles en or que les archéologues ont retrouvés dans des tombeaux, aux mains de défunts.

A l'inverse de la pensée religieuse dominante, la "secte" orphique considère que l'homme a une parcelle de divin en lui : il est à la fois une émanation de Dionysos et des Titans. Le Dionysos des orphiques n'a rien avoir avec le dieu du vin et du théâtre engendré par Sémélé. Il s'agit d'une divinité conçue par Zeus avec sa fille Perséphone, gardienne des enfers. Ce Dionysos alternatif est tué et dévoré par les Titans (des entités immortelles apparues aux premiers temps de la création) qui, à leur tour foudroyés par la colère de Zeus, se transforment en émanations de fumée. Cette fumée finit par se consolider et donne naissance à l'homme.

Affligée par la mort de Dionysos, Perséphone fait appel à Orphée pour ramener son fils à la vie, car lui seul, pour avoir tenté de libérer Eurydice des enfers, connaît les secrets des enfers et la bonne marche à suivre pour guider les hommes vers le séjour des bienheureux, leur permettre de s'assimiler au divin et les empêcher d'errer dans l'Hadès comme de vulgaires ombres inconsistantes privées de sens et de mémoire. L'âme du défunt non initié est impure, elle doit continuer à se réincarner, sous forme animale, végétale ou humaine jusqu'à ce qu'elle soit mise en contact avec les mystères orphiques qui l'aideront à former un tout avec les Dieux.

Une des grandes leçons de la tradition orphique est de considérer que l'âme de l'homme est immortelle quand bien même, au départ, elle entachée par la souillure des Titans. Le salut (c'est-à-dire l'assimilation au divin dans le royaume des morts) s'obtient par la pratique de la purification, autrement dit par diverses ascèses quotidiennes qui font partie intégrante de l'initiation orphique. Parmi celles-ci, le refus des meurtres, du suicide ou des sacrifices animaliers (réminiscence pour Perséphone de la mort de son fils), le végétarisme (qui découle du renoncement aux sacrifices) ou encore l'interdiction d'inhumer les cadavres dans un linceul de laine, fibre d'origine animale...

Précaution ultime, l'initié doit être enterré avec des textes (les fameuses tablettes en or retrouvées dans les tombes) qui rappelleront le chemin à suivre pour accéder au salut : il s'agit pour lui de prendre, une fois arrivé aux enfers, la route de droite qui mène aux eaux de Mnémosyne (la mémoire) où il s'abreuvera en récitant la formule "Je suis desséché de soif et je meurs". Il pourra ainsi se souvenir de sa vie terrestre et rompre le cycle des réincarnations. Sans ces tablettes, le mort partira sur la gauche, boira les eaux du Lethé (l'oubli) et sera condamné à renaître une fois encore. Ces tablettes permettent enfin de réciter à les formules consacrées à
Perséphone pour que l'âme renoue éternellement avec sa part de divinité : "Je suis fils de la terre et du ciel étoilé" : "Pure, je viens d'entre les purs, ô reine des enfers" ; "Je me suis envolé du cycle insupportable des douleurs [celui de la métempsychose vécue comme une condamnation].

Les premiers chrétiens savent, qu'à l'instar du Christ, Orphée assure aux défunts une immortalité bienheureuse, raison pour laquelle les deux personnages sont véritablement confondus dans les catacombes : Jésus est figuré sous les traits d'un berger (parfois muni d'une lyre). Une assimilation bien utile au temps des premiers martyrs (tout chrétien infiltré peut se revendiquer ainsi du paganisme orphique) mais surtout une reconnaissance de cette filiation commune dans la quête d'un au-delà salvateur.


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