
C'est à ses côtés et en compagnie de Colette (déjà!) et de Pascale (une amie française rencontrée quelques années plus tôt en Turquie) que j'ai découvert le Nord de la Syrie au cours de l'été 1996 ; je revenais d'un long périple solitaire en Jordanie qui avait pris fin à Pétra, j'avais fait escale dans la vilaine Amman pour prendre un taxi en direction de Damas. Passé la frontière, après seulement une heure de contrôle du véhicule et des bagages, j'arrivai dans le chaos déplaisant de Damas en pleine heure de pointe. Je pris un bus d'un autre âge qui traversa des villages poussiéreux peuplés d'enfants loqueteux aux cheveux en bataille, des hameaux vétustes et des bastions d'intégrisme gardés par des barbus à l'œil noir, des routes désertiques dont les silences inquiétants laissaient présager je ne sais quelle catastrophe. Rien ne donnait envie de s'arrêter, de rester, de prolonger un voyage déjà trop long. Le coup de blues, amplifié par une longue fatigue, ne fit qu'accentuer un sentiment d'hostilité à l'égard de ce nouveau pays. Et puis, après ces quelques heures de méfiance inopportune et d'inquiétude malvenue ce fut, à la tombée de la nuit, la révélation : une des plus belles métropoles de l'Orient s'offrait tout à coup en spectacle, avec toute la générosité, l'élégance et le raffinement des centres cosmopolites qui jalonnent la Route de la soie. Autant Damas, en raison de son statut de ville sainte, m'était apparue inhospitalière et fermée aux étrangers (impression démentie lors d'un nouveau voyage, l'an dernier), autant Alep, de par ses racines marchandes, cultivait le brassage ethnique et religieux dans un esprit de cohabitation qui me parut exemplaire. Je m'y suis senti immédiatement chez moi, sentiment amplifié par le bonheur d'y retrouver mes amies à la terrasse de l'élégant hôtel Baron, animée par les sons envoûtants du luth aleppin...
Encore fallait-il y faire le "tour du propriétaire"... Madeleine, épaulée par son vieux complice de toujours, Abdallah Hadjar, un ingénieur civil chrétien reconverti dans l'archéologie qui peut se targuer d'être la plus grande autorité nationale dans la connaissance patrimoniale de la Syrie du Nord, nous fit découvrir les trésors cachés de la région : outre Alep, il y avait Ebla et sa "bibliothèque cunéiforme", Saint-Siméon et son indécrottable stylite, Maaret-an-Nouman et ses mosaïques virtuoses, Cyrrus et son théâtre en ruine, Aïn-Dara et ses lions néo-hittites, l'Euphrate et ses reflets d'émeraude, la ronde des "villes mortes" et ses beautés spectrales.
Madeleine et Abdallah nous ont consacré de longues journées à l'étude des particularités architecturales du vieil Alep (à l'époque en pleine résurrection), à la visite des souks (les plus grands du monde et parmi les plus anciens) et de leurs khans (ces superbes caravansérails transformés pour certains en consulat au XIXe siècle), à la découverte des maisons traditionnelles de Jdaydé, de complexes religieux de confessions multiples, de centres médicaux en activité depuis le Moyen-âge, de fabriques de savon qui embaument l'olive et le laurier, tout en nous expliquant les particularités des styles "ayyoubide", "omeyyade", "mamelouke", en nous replongeant dans les périodes du pouvoir ottoman, du Mandat français, de la domination égyptienne. Et, de quoi joindre l'utile à l'agréable, Abdallah nous convia plus d'une fois chez lui, dans le quartier résidentiel d'Azizié, pour nous faire goûter la succulente cuisine de son épouse Mouna et nous faire vivre, en direct, la chaleureuse atmosphère d'une famille chrétienne de Syrie.
Le guide d'Abdallah, organisé en itinéraires denses et fouillés que clarifient de nombreuses cartes et une iconographie soignée, contient tout ce savoir. La traduction de Madeleine orne ce livre de la plus précieuse des étoffes verbales. Une fois de plus, l'une et l'autre vont nous plonger dans bien des souvenirs et nous permettre encore de nombreuses découvertes.
Merci Madeleine pour ce cadeau d'une valeur affective et scientifique inestimables...!
3 commentaires:
:-) jp
Cher Stéphane, c'est toujours un plaisir de lire vos récits,
anecdotes et impressions de voyage ! c'est si vivant, amusant et savant tout à la fois - quelle plume !
Je me réjouis à l'idée de lire vos lignes sur votre prochain voyage à Alep.
avec mes amitiés
Bonjour,
Pouvez vous me dire où je pourrais acheter ce livre traduit par Madeleine Trokay. Je vais prochainement à Alep et on m'a conseillé ce livre. Hélas mon anglais n'est suffisant que pour une discussion.
par avance merci
Michel
osmoserh@free.fr
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