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Liège, Belgium
Né à Bruxelles dans une famille d'origine grecque, turque, albanaise et bulgare. Etudes secondaires gréco-latines. Licence en Histoire de l'art, Archéologie et Musicologie de l'Université de Liège. Lauréat de la Fondation belge de la Vocation. Ancien journaliste à La Libre Belgique et La Gazette de Liège. Actuellement Chargé de mission développement et médias à l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège. Directeur artistique-adjoint du Festival des Nuits de Septembre. Enseigne l'Histoire sociale de la musique aux Alumni de l'Université de Liège.

mardi 15 avril 2008

De Gilgamesh à Zénobie : quand les musées bruxellois se moquent du public

Les Musées Royaux d'Art et d'Histoire de Bruxelles possèdent une des plus importantes collections d'art du Proche-Orient au monde (près de 10.000 pièces). Des trésors que le public de ne peut plus admirer depuis la fermeture des salles orientales en 2002, en raison de travaux de rénovation qui n'ont d'ailleurs toujours pas vu le jour. L'exposition De Gilgamesh à Zénobie, est du coup une bonne occasion de retrouver l'ensemble des plus belles pièces de la collection, que complète une dizaine d'œuvres prêtées par le Musée du Louvre.

Les pièces les plus anciennes datent du Néolithique, l'essentiel pour ce qui est des périodes historiques s’étend du règne de Gilgamesh, légendaire roi d’Uruk (2652-2602 av. J.-C.), à la victoire de l’empereur romain Aurélien sur la reine de Palmyre, Zénobie (272 apr. J.-C.). Parmi les incontournables figurent la célèbre plaque votive de Gilgamesh, des bas-reliefs de Nimroud, des ivoires et des statues votives de Phénicie, des idoles anatoliennes, des sceaux-cylindres et des tablettes mésopotamiennes, de superbes bijoux iraniens et babyloniens et surtout, la plus belle collection au monde de bronzes du Luristan (Iran) dont les formes et la décoration fantastiques sont influencés par les arts de la steppe.

La qualité des objets exposés est indiscutable. A l'inverse, la scénographie est totalement incompréhensible et l'on se demande quelle est l'approche didactique la présentation part dans tous les sens. Toutes les civilisations de Mésopotamie (de Sumer à l’Empire néo-Babylonien), de la Syrie, la Phénicie, la Transjordanie sans oublier celles plus périphériques d'Iran, d'Arabie du Sud (le royaume de la Reine de Saba), d'Anatolie (les Hittites) sont exposées comme s'il n'y avait pas la moindre différence entre elles. Pas de parcours chronologique distinct, pas de clarté quant à la répartition géographique (mis à part pour l'Iran), pas de présentation didactique des diverses cultures qui semblent appartenir à une unique civilisation, enfin pas de thèmes mis en valeur (excepté pour l'écriture) pour comprendre l'apport du Proche-Orient en matière de mathématiques, d'astronomie, d'agriculture, de législation, de médecine, de navigation. Juste de superbes objets classés au hasard d'une inspiration douteuse.

La première salle (mais faut-il parler de salle dans cet espace unique qui n'est balisé d'aucun parcours logique) présente des documents rassemblés par les premiers conservateurs du Musée (du moins on le devine). On s'attend ensuite à quelques mots sur Gilgamesh, l'alpha supposé de l'exposition et c'est une grande macédoine de cultures qui s'offre au spectateur, dans une pénombre générale que ne semblent pas dicter les besoins de conservation des pièces. Le règne de Zénobie, l'oméga de ce non-parcours, est quelque part au milieu de l'exposition (à moins que ce ne soit effectivement à la fin), sans qu'on ne comprenne en quoi cette femme a été une redoutable statège et femme politique, maîtresse d'une civilisation qui contrôla sous son règne l'Egypte et l'Anatolie, qui tenta de faire de son fils un empereur romain avant que le véritable empereur n'en décide autrement. Son évocation tient plus du ragot de magazine féminin que d'une véritable initiation didactique.

Côté explication, les différents textes de présentation s'attardent sur des points spécialisés qui dépassent le cadre d'une initiation à l'art du Proche-Orient. Ils sont rédigés par un personnel scientifique qui ne se soucie nullement de savoir ce qu'attend ou comprend le public. Les étiquettes sont pour leur part approximatives, le cas le plus flagrant étant celui d'une vitrine sans datation et dont le village mentionné ne permet pas d'identifier si les pièces proviennent d'Iran, d'Irak, de Syrie ou d'ailleurs. La plupart des vitrines sont encerclées par de longs fils noirs de plusieurs mètres de haut, assez laids, qu'il faut chaque fois soulever avant de pouvoir admirer les pièces, à condition toutefois qu'elles ne soient pas dans un noir complet, ce qui fut le cas de cinq ou six vitrines d'entre elles. Au grand mépris de ses visiteurs, le Musée ne se soucie visiblement pas de remplacer les ampoules mortes.

Ce n'est pas un secret, les moyens financiers manquent à cette institution qui possède pourtant une des plus belles collections historiques au monde. Faute de moyens, il est toujours possible, comme d'autres l'ont montré, de mettre à contribution son imagination, de faire preuve de didactisme, de rigueur scientifique, de clarté et de séduction afin de monter que l'on respecte son public et qu'on l'encourage à revenir. Les Musées Royaux d'Art et d'Histoire de Bruxelles suscitent une envie contraire ; ils donnent une image déplorable aux visiteurs étrangers (le reste des collections est tout aussi mal valorisé). Un passionné de l'art du Proche-Orient pourra vaille que vaille reconstituer mentalement le puzzle de ce capharnaüm et se réjouir de la beauté de certaines pièces. Il en ira autrement des non-initiés qui passeront leur chemin pour privilégier les musées de Paris, Londres, Berlin, Istanbul ou de Damas.

4 commentaires:

Fabienne a dit…

Ce que tu racontes est vraiment navrant car une collection de qualité ne s'adresse pas qu'aux visiteurs avertis qui feront fi de la mauvaise présentation (quoique!). Je souhaitais aussi signaler le très beau musée d'archéologie de Chypre à Nicosie. Il présente au travers de 14 galeries des oeuvres d'art du 8ème millénaire av. J-C jusqu'à la fin de l'Antiquité. Céramique, bijouterie, sculptures, monnaies, bronzes, etc couvrant toutes les périodes de la civilisation chypriote, depuis l'ère néolithique, en passant par l'âge de bronze et l'âge de fer jusqu'à la période gréco-romaine, sont préservés et exposés au Musée de Chypre. A remarquer: les modèles de sanctuaire en argile constitué d'une enceinte à ciel ouvert et les figurines cruciformes (divinités chypriotes liéees à la fécondité) en stéatite qui sont représentés sur l'euro chypriote.
Cela mérite amplement le voyage sur l'île d'Aphrodite.

Stéphane DADO a dit…

Tu as raison, l'art chypriote ancien est d'une qualité indénialble, même si l'île a toujours eu du mal à définir une position esthétique forte, partagée entre les influences egéennes, égyptiennes et proche-orientales. Outre les exemples que tu décris, il faut rappeler que Chypre tire l'essentiel de ses richesses de ses mines de cuivres : les objets provenant d'Enkomi (statuette du dieu cornu)ou de Kourion sont des exemples remarquables d'une production qui aura des influences jusqu'en Sardaigne... Une autre production typique de l'île, les statuettes en pierre calcaire du premier millénaire, dont la naïveté et la virtuosité technique n'ont rien à envier à la statuaire de l'âge archaïque...

En plus du musée de Nicosie (que je n'ai pas encore vu), je te recommande d'aller voir les salles chypriotes du Met de New York et celles du British Museum, qui complètent à merveille ce panorama.

Pierre-Jean a dit…

C'est un sujet qui me touche particulièrement. Etant souvent amené à conduire des élèves à des expos, je regrette l'absence totale de réflexion muséographique sur la pédagogie. Certaines présentations sont esthétiques, mais complètement inadaptée à une exploitation et groupe et qui plus est avec des groupes de jeunes. Ainsi l'Expo Paul Klee peut être à ce titre là qualifiée de désastre, certaines salles ne se prêtent absolument pas à une visite guidée. Alors déjà l'art "moderne", c'est pour mes élèves très très difficile donc avec seulement 1/4 du groupe qui arrive à suivre la guide, cela vire au désastre pédagogique.
De plus, je suis consterné par l'absence de politique pédagogique de certaines institutions. Les guides du Bozar (très chers d'ailleurs puisqu'un groupe est composé de 15 élèves maximum=2 guides pour une classe normale=8-9 euros/élèves !!!)bossent en free lance, et au fil des prestations ils passent d'ados du technique à des mamies. Les visites sont dans 9/10 des cas standardisées et peu adaptées à des ados qui ont largué les cours d'Art depuis des années...Il existe aussi des situations grotesques ainsi lorsque ING finance une Expo au Bozar, ils imposent les guides de l'espace ING tandis et donc pas de boulot pour les guides habituels du Bozar. Il en va de même à La Monnaie ou les intervenants sont aussi payés à la prestation. Leur seule exigence est d'avoir des contrats à l'année sur base de temps partiels, mais cela ne fait pas partie des priorités....
C'est peut être pas clair, mais je profite de ton texte pour évoquer certains sujets qui me touchent ;)

Stéphane DADO a dit…

@ Pierre-Jean

Si c'est très clair... Pour ma part, je déplore, en tant que visiteur solitaire, d'avoir à subir la présence de groupes et surtout celles des guides qui formatent comme tu le dis leur discours parce qu'ils le puisent dans une source unique, le catalogue, cet outil sommaire, peu adapté lorsqu'il s'agit de développer le contenu d'une pièce (cf. le texte très synthtique de l'expo Klee). Je constate que les guides n'ont plus la capacité d'analyse qui permet de décortiquer, de laisser voir une oeuvre. Ils se limitent à des données factuelles (date, taille, matière d'un tableau ou objet) et à des anecdotes dont on n'a rien à cirer.... C'est assez pénible et il m'arrive souvent de demander avec un certain culot soit le droit au silence (ô surprise!), car j'estime avoir le droit de contempler une oeuvre sans avoir les cris des guides autour de moi, soit de corriger les inepties qui sont racontées par compassion pour les pauvres victimes... Je peste toujours de les voir traverser une salle en s'attardant sur un tableau, alors que les autres oeuvres de la pièce valent tout autant le détour.