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Liège, Belgium
Né à Bruxelles dans une famille d'origine grecque, turque, albanaise et bulgare. Etudes secondaires gréco-latines. Licence en Histoire de l'art, Archéologie et Musicologie de l'Université de Liège. Lauréat de la Fondation belge de la Vocation. Ancien journaliste à La Libre Belgique et La Gazette de Liège. Actuellement Chargé de mission développement et médias à l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège. Directeur artistique-adjoint du Festival des Nuits de Septembre. Enseigne l'Histoire sociale de la musique aux Alumni de l'Université de Liège.

mardi 4 mars 2008

De l'indifférence à la politique

Cela aurait pu être de la haine. De la désillusion. Ou du mépris. Le dernier essai de Laurent de Sutter, professeur en théorie du droit à la VUB et spécialiste de la pornographie, traite pourtant De l'indifférence... à la politique (PUF, 2008), ce qui implique davantage un détachement philosophique extrême par rapport au sujet. Maniant remarquablement les épures verbales des moralistes français du XVIIe, son bréviaire condamne à la manière d'un La Bruyère, la radicalité en plus, le monde politique et ses représentants. Ce "joli monde" est pour lui synonyme d'arrogance, de mensonge, de lâcheté, de corruption, de guerre, de dictature. Sutter puise sa réflexion dans le vivier des philosophes et part du postulat que la philosophie n'a rien à apprendre de la politique et, à l'inverse, la politique, au contact de la philosophie, doit tout au plus tenter de prendre conscience de sa vacuité.

En se gardant bien de brandir les contre-exemples, première faiblaisse de l'essai, Sutter démontre en quoi les politiciens sont des manipulateurs, des malades, "des garnements incapables de s'ennuyer seuls", des hypocrites velléitaires dont on ne peut rien attendre. Amoureux de la culture italienne, le pessimisme du penseur doit beaucoup à Leopardi, Rensi, Sgalambro, métaphysiciens de la désillusion politique, et plus encore au caractère désabusé, au désespoir philosophique de Cioran.

Si son rejet du politique s'exprime de mille façons, certaines défendables, d'autres moins - l'auteur va par exemple jusqu'à le condamner dans les grandes œuvres d'art du XXe siècle, ainsi Guernica est "une monstruosité grise qui ressemble à un prêtre en chaire" -, Sutter prône "la paresse comme pratique de l'indifférence", autrement dit, une inertie qui serait salutaire face à l'agitation politique. L'inaction comme seul recours à l'impuissance humaine. Ainsi, l'auteur revendique un individualisme hédoniste, un sédentarisme social, une jouissance égoïste de l'art avec la plus totale indifférence pour le monde qui nous entoure. Attendu qu'un député ou un ministre ne rendront jamais l'humanité meilleure, l'apologie de la superficialité (symbolisée dans le livre par des jeunes filles que l'on croise en rue, toutes les dix pages) a plus de poids que les lourdeurs brumeuses de la pensée politique. La société du divertissement et de l'entertainement sont les seuls moteurs de l'existence sans doute parce qu'ils ont pour finalité de "faire s'évanouir les religions et les politiques".

Poussée à son paroxysme, cette pensée individualiste et outrancièrement antihumaniste est indéfendable. Elle est moins la résultante d'un pessimisme philosophique que l'expression d'une morgue aristocratique, d'un dandysme narcissique. L'auteur se comporte en "bel esprit" épris de légèretés futiles et tant pis si des nations s'entretuent autour de lui.

A l'action politique peut s'opposer l'engagement humanitaire, la création artistique, l'émulation intellectuelle. Si nous n'avons pas d'antidotes à notre désespoir existentiel, nous avons le devoir d'apporter des remèdes à la souffrance humaine, qu'importe si nos moyens sont infimes. Se réfugier dans l'indifférence pour mieux masquer son impuissance était la posture que Cioran a pratiquée toute sa vie. Par amour de l'espèce humaine. Laurent de Sutter a visiblement troqué cet amour de l'humanité contre l'amour de lui-même. C'est son choix! C'est aussi le nôtre de préférer l'original à la copie.

Extraits choisis :

"Il y a un génie du caprice : c'est un génie hasardeux. Le caprice saute d'un objet à l'autre, sans suite, tout juste gouverné par les corconstances. Humeurs, goûts, finances. Hélas, rien n'est plus contraire au caprice que la politique. Plutôt que d'être gouvernée par le hasard, elle prétend l'être par la nécessité. En politique, on n'entend que des "il faut". Mais ce n'est pas vrai. Rien n'est nécessaire. Sauf, peut-être une coupe de champagne au milieu du naufrage."

"Il n'y a qu'une seule chose qui me rende la politique sympathique. C'est qu'elle soit condamnée à décevoir."

"Les tableaux de Fragonard, comme antidote à la politique. Joie, élégane, légèreté.Ce dont j'ai besoin pour me remonter. Trop penser à la politique m'épuise. Ma tête est vide : elle ne m'inspire pas."

"Cartes postales. [...] L'une d'entre elles représente le port de Portovenere, au nord de la côte Toscane. On y aperçoit une jeune fille roulant à toute allure sur la jetée. Elle revient sans doute de la plage. Son insouciance me fait envie. Et puis son âge : elle doit avoir 16 ou 17 ans. Encore quelques mois, et elle devra voter. Pour ce crime, tous les hommes politiques de la terre devraient périr."

2 commentaires:

Laurence a dit…

J'ai consulté le livre en librairie. Le style évoque Cioran à fond. A la seule différence qu'il n'encourage pas au suicide. J'ai été déprimée en lisant De l'inconvénient d'être né.

Stéphane DADO a dit…

Chère Laurence,

Je comprends ce malaise, j'ai été moi-même troublé par la lecture de ce livre. Je l'ai lu lorsque j'étais en 1e licence à l'ULG, dans un train qui me ramenait de Ciney vers Liège. Page après page, j'ai senti une terrible nausée monter en moi, cela devenait tellement insoutenable que je me suis précipité vers toilettes pour vomir (pardon pour ce détail).

L'amie médecin qui m'attendait à la gare m'a trouvé pâle. J'étais en fait bouleversé par un texte qui prônait comme seule issue à la vie le suicide, qui prouvait, ligne après ligne, l'absurdité et l'horreur de l'existence. Avec une force inégalable.

J'ai lu toute l'oeuvre de Cioran depuis. Avec fascination cette fois. Le plus dur était passé... Les sequelles sont nombreuses et mon regard sur la vie est complètement différent.
Je me dis parfois que pour un lecteur, il y a un avant et un après Cioran...comme il y a un avant et un après Thomas Bernhard... Des auteurs à ne pas mettre entre toutes les mains...

Petit souvenir qui me revient en mémoire. En 1995, j'étais chez mon amie Colette à l'annonce de sa mort. Nous avons pleuré et veillé toute la nuit. C'était pour nous le plus grand penseur du siècle qui s'en allait. On s'est un peu calmé par la suite...