Le dernier film d'Ethan et Joel Coën est remarquable. Après un passage à vide, leur No Country for Old Men renoue avec cette inspiration grinçante qui traverse The Barber, O Brother ou Fargo. Inspirée par le roman homonyme de Cormac McCarthy, l'action se situe non loin de la frontière mexicaine, vraisemblablement au Texas. Nous sommes en 1980, à quelques mois de l'avènement de Reagan comme président des Etats-Unis. Llewelyn Moss (Josh Broslin), un looser digne du héros de Fargo, découvre en pleine partie de chasse dans une nature désertique d'une beauté confondante, les corps sans vie de trafiquants de drogue. Une petite mallette bourrée de dollars traine non loin des cadavres. Il commet l'erreur de s'en emparer et c'est là que tous ses maux commencent : l'affreux Anton Chigurh va lui coller aux trousses. Interprété par un époustouflant Javier Bardem (acteur fétiche d'Almodovar et de Luna), ce Chirug, affreusement coiffé comme un Beatles ou un Playmobil, est un tueur d'un genre nouveau. Solitaire, intuitif, redoutablement intelligent, ses crimes relèvent autant d'une folie incurable que de fins philosophiques diverses. La vie de ses victimes, il la joue à "pile ou face" pour accuser le hasard de ses meurtres et décharger ainsi sa conscience. Un ange de la mort d'une effrayante puissance...
Commence entre les deux protagonistes une interminable course poursuite qui tient aussi bien du road movie que du thriller psychologique. La mécanique est parfaitement rôdée, avec une succession d'escalades, de scènes violentes qui s'enchaînent dans un rythme serré, irrésistible. Le dénouement, implacablement fatal, n'advient pas comme on l'attendait. Les codes sont astucieusement cassés : la mort d'un des protagonistes se déroule hors champs, comme un non-événement sans doute parce que cette improbable histoire ne pouvait avoir de dénouement véritable. Les 20 minutes qui terminent le film décantent ce qui s'est passé, scrutent avec profondeur la vie de ceux qui restent, prennent le recul qui manquait jusqu'alors.
Le film ne serait rien de plus qu'un bon suspens s'il ne tirait son sel philosophique de la présence d'un troisième personnage, le shérif Ed Tom Bell (l'excellent Tommy Lee Jones). Spectateur passif de cette incroyable cavale, il est l"old man" principal de l'histoire, un témoin qui relate les faits à la manière d'un évangile, avec toute la lenteur de circonstance et surtout avec le caractère désabusé d'un homme qui, à quelques jours de sa retraite, renonce à servir le bien. Il y a sans doute une part d'incompétence personnelle dans son abandon (les vannes à l'encontre de la police ne manquent pas) mais, et c'est ce qui fait la grandeur du film, il y a chez ce shérif tout le pessimiste des frères Coën. Comment croire en la nature perfectible de l'homme alors que de tout temps, il s'est nourri de convoitise et de crime? La lutte est inutile. Renoncer au monde, c'est se réserver quelques rares instants de bonheur, loin de ce mal qui est une constante chez l'homme. Jadis, il était au coeur des affrontements entre communautés indiennes. Aujourd'hui, ce sont les narcotrafiquants latinos qui le relayent et on n'ose imaginer sous quelle forme il se déclarera demain. Ce constat désabusé fait de No Country for Old Men le film le plus noir des frères Coën et l'un des plus aboutis.
3 commentaires:
C'est marrant de voir qu'au poste frontière, des codes moraux anciens établis durant la guerre du Vietnam ont priorité sur la loi. C'est une autre érosion du pouvoir officiel
Salut Stephane.
Grand fan des Coen, j'ai ete a moitie convaincu par le film, a cause du personnage de Javier Bardem, trop parfait, alors que le sel des films Coen repose en general sur le fait que, bons ou mauvais, ils echouent - ou reussissent - toujours par leur betise et leur veulerie. ici, non, le personnage est un Terminator ( metaphore de la mort qui nous attend tous, bons comme la gentille compagne du heros, ou mauvais comme son homme perdu par sa cupidite ?) et du coup on s'ennuie un peu, je trouve.
Mais cela reste formellememt magnifique, comme toujours.
Nicolas Vadot.
Salut Nicolas, et merci pour ce commentaire. Javier B. est effectivmeent une allégorie de la mort, mais une mort qui frappe encore plus injustement et brûtalement, avec une folie irrationnelle dans son acharnement. C'est loin d'être la grande faucheuse qui agit sans but précis. Et la tension des images évite de l'installer dans cette sorte de routine meurtrière. Il y a toujours un doute sur la solution finale que devrait connaître le héros principal, même si on devine qu'avec les Coën, les loosers finissent toujours par perdre. Tout cela dans une réalisation formelle effectivement superbe...
Enregistrer un commentaire