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Liège, Belgium
Né à Bruxelles dans une famille d'origine grecque, turque, albanaise et bulgare. Etudes secondaires gréco-latines. Licence en Histoire de l'art, Archéologie et Musicologie de l'Université de Liège. Lauréat de la Fondation belge de la Vocation. Ancien journaliste à La Libre Belgique et La Gazette de Liège. Actuellement Chargé de mission développement et médias à l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège. Directeur artistique-adjoint du Festival des Nuits de Septembre. Enseigne l'Histoire sociale de la musique aux Alumni de l'Université de Liège.

lundi 18 février 2008

It's a Free World!

"L'homme est un loup pour l'homme". Ce constat social que développe le Léviathan du philosophe anglais Thomas Hobbes (1651) n'a pas pris une ride dans la Grande-Bretagne contemporaine. Le dernier film de ce militant par l'image qu'est Ken Loach démontre avec brio qu’aujourd’hui encore dans nos sociétés prétendument humaines et civilisées, la fin justifie les moyens. Avec It's a Free World !, Loach dénonce l'exploitation de clandestins immigrés en quête (parfois désespérée) de travail. Le parti pris est original : le réalisateur se place essentiellement du côté de l'exploitant, une jeune mère de famille nommée Angie, incarnée par l’actrice Kierston Wareing, une révélation.

It’s a Free World ! débute à Katowice, en Pologne, au sein d’une grosse agence de recrutement, pour laquelle travaille Angie. Le choix de ce pays et les premières scènes d’entretiens avec des travailleurs prêts à tout pour trouver un emploi, donne le ton du film. On est amené à naviguer dans les méandres insidieux de l’ultra capitalisme contemporain. Une qualité de vie détestable se dégage de cette entreprise notamment en raison des remarques sexistes et des mains aux fesses qui poussent rapidement Angie à se rebeller. La jeune femme est aussitôt licenciée. Elle décide de créer à Londres sa propre société avec son amie Rose (Juliet Ellis), pensant imposer des conditions professionnelles plus justes une fois qu'elle sera son propre patron. En recrutant des travailleurs issus de l’Europe de l’Est, puis des immigrés clandestins, elle va, malgré elle, passer petit à petit de l’autre côté de la barrière : de victime, elle devient bourreau. La dureté de la vie oblige Angie à renoncer à son idéal. Pour se protéger des coups bas, elle finit par adopter un individualisme excessif qui est son inévitable armure face à la brutalité de la vie professionnelle. Et de se demander si la survie de soi et des siens nous pousse vraiment à commettre l’irréparable ? Est-ce là notre seule liberté?



Sans prendre parti, Loach jongle avec cet entre-deux philosophique et montre les effets pervers d’un « système » où à un moment donné, il faut accepter la morale du business qui est de considérer que les gens comptent moins que le profit. La toile de fond de l'action est profondément accusatrice et colle avec cette société déshumanisé. Londres est présenté à travers une série de quartiers périphériques sans âme, des « lieux de vie » constitués par des camps de caravanes où s’entassent les immigrés, par un squat dans un garage sordide ou encore une chaîne de montage dans une usine glauque. Des endroits qui traduisent la laideur, la brutalité et l’insécurité du quotidien et qui s’apparentent à un étau.

Le film est particulièrement réussi car il arrive à éviter une lecture manichéenne du personnage principal. Le réalisateur densifie le rôle en y ajoutant une strate propre à sa nature de femme et de mère. Angie est un personnage multiforme, une blonde, une nana aussi sexy que carnassière, aussi douce que brutale, entre mère Theresa (le surnom lui est donné dans le film) et Margaret Thatcher, qui lutte avec acharnement dans un monde d'hommes mais se laisse abattre dès que les services sociaux de son quartier lui retirent la garde de son fils. L'ambiguïté d'Angie est dès lors totale : généreuse et aimante avec Karol, personnage réussi de jeune Polonais lucide et malin, empathique avec la famille d'un clandestin iranien, elle se montre sans pitié devant la foule d’immigrés quémandant une journée de travail.



Au-delà de ce portrait de femme et de cette descente en enfer individuelle, Loach met également l'accent sur une transformation brutale de la société par le capitalisme carnassier. Le passage d'une embauche à vie au contrat à durée déterminée est pour lui le facteur d'une instabilité nouvelle pour la condition ouvrière. Mais tout ceci n'est rien à côté de la nécessité de produire plus à moindre frais, obsession qui incite les patrons à employer une main-d'oeuvre illégale, bien entendu sous payée et qu’importe si la dignité humaine doit être bafouée pour cela. Si la démonstration n'a rien de neuf, le film a le mérite de montrer que les excès d'un capitalisme non contrôlé risquent de causer des ravages sociaux sans précédent... Les illégaux se substituent aux travailleurs "réguliers" (le père d'Angie dans le film) devenus trop chers pour le patronat, une nouvelle catégorie de chômeurs voit le jour et fragilise davantage un système économique qui finira par céder. It's a Free World! serait-il tristement prémonitoire?

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