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Liège, Belgium
Né à Bruxelles dans une famille d'origine grecque, turque, albanaise et bulgare. Etudes secondaires gréco-latines. Licence en Histoire de l'art, Archéologie et Musicologie de l'Université de Liège. Lauréat de la Fondation belge de la Vocation. Ancien journaliste à La Libre Belgique et La Gazette de Liège. Actuellement Chargé de mission développement et médias à l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège. Directeur artistique-adjoint du Festival des Nuits de Septembre. Enseigne l'Histoire sociale de la musique aux Alumni de l'Université de Liège.

jeudi 26 juin 2008

Le monde selon Héraclite

Les prémices de la philosophie sont apparus en Ionie au VIe siècle avant J.-C. lorsque, des penseurs appelés les "présocratiques" (car nés avant Socrate), s'émancipent de la religion pour apporter, par une fine observation de la nature, des réponses personnelles aux "mystères" de l'univers. Le plus important des présocratiques ioniens est incontestablement Héraclite d'Ephèse (ca 540-480), jeune aristocrate d'Asie mineure qui refuse la charge de roi en faveur de son frère cadet pour se consacrer pleinement à la contemplation et à la compréhension de la nature. Aristocrate, il le demeure pourtant par sa liberté intellectuelle et l'élévation de sa pensée : son œuvre, conservée à l'état de fragments et considérées comme particulièrement hermétique et obscure, s'adresse aux seuls esprits d'élite de l'époque. La perception du monde selon Héraclite (en perpétuel mouvement) et sa réflexion sur le temps sont un des premiers grands moments de la pensée humaine.

UNE SUBSTANCE : LE FEU

Héraclite part du principe que tout ce qui existe est constitué d'une substance primordiale et unique : le Feu. Trois autres présocratiques ont envisagé l'idée d'une substance première : Anaximène avait élevé au rang de principe primordial l'Air, Thalès l'Eau et Xénophane la Terre. Pourquoi précisément le feu chez Héraclite. Sans doute parce que sa force destructrice et son action bienveillante (sous forme de chaleur et de lumière) sont indispensables pour le développement de toute vie. Sans doute aussi parce que c'est sous l'action du feu que les corps changent d'état, l'eau par exemple passe du solide au gazeux, le feu serait le moteur de ces transformations.

Malgré ses innombrables changements d'état, le Feu ne subit, selon Héraclite, aucune augmentation ou diminution de sa substance, aucun gain ou aucune perte de son énergie (ce que les lois de la thermodynamique infirmeront des siècles plus tard). Autrement dit, notre monde qui est un et limité (c'est-à-dire un système clos inaltérable), subit un cycle de constructions et de destructions (par embrasement) à l'infini.

"Ce monde-ci, le même pour tous,
Nul des dieux ni des hommes ne l'a fait
Mais il était toujours, est et sera, un feu toujours vivant
Feu éternel s'allumant en mesure et s'éteignant en mesure."

UN MONDE EN PERPETUEL MOUVEMENT

Par ailleurs, pour Héraclite, le monde n'est pas immobile ou inanimé comme les hommes le croient. Notre durée de vie très minime nous empêche de voir que les étoiles, les montagnes ont elles aussi des cycles de vie changeants et fuyants, qu'elles subissent dans l'infini du temps une quantité importante de transformations. Le mérite extraordinaire d'Héraclite est de considérer que l'homme n'a pas au départ le pouvoir de connaître la Nature, faute de Raison : à peine nous apprêterions-nous à porter un jugement sur un fait donné que déjà celui-ci, se serait dissipé pour donner naissance à un autre, forcément différent de lui. L'image d'un monde chaotique en perpetuel mouvement est rebelle à toute explication, à toute théorie fondée sur des lois stables. La seule vérité qui soit est celle du perpétuel mouvement.

LA RAISON, PRINCIPE DE CAUSALITE DU MOUVEMENT

Pour trouver néanmoins une stabilité dans cette pensée du mouvement continu, Heraclite prend le soin de considérer que le changement n'est pas le fruit du hasard, il est la conséquence d'une certaine détermination dans la Nature régie par des lois immuables et constantes, celles de la Raison. Tout dans la Nature devient, se transforme et se reforme par un principe de nécessité, gouverné par la Raison. Ces transformations ne se font pas de manière aléatoire. Il y a un principe de causalité dans le changement : tout événement est précédé ou suivi par un autre événement car il est impossible qu'il naisse de rien ou qu'il se réduise à rien. Par ailleurs, la succession des transformations, lié à un principe d'opposition des phénomènes (jour/nuit ; été/hiver ; vie/mort) sont à la base de l'harmonie de l'univers :

"L'opposé est utile, et des choses différentes naît la plus belle harmonie (et toutes choses sont engendrées par la discorde.)"

LE "GRAND CYCLE"

Quelle que soit la raison de ces causalités (et notamment l'idée d'harmonie), Héraclite va mettre en évidence la notion de "Grand Cycle", un cycle fermé qui revient périodiquement voire éternellement. Des modèles réduits de ce cycle existent dans la nature : cycle solaire, lunaire, révolution des étoiles. Aussi, par-delà de l'idée d'un monde en perpétuelle transformation, Héraclite met en évidence l'existence d'une certaine uniformité des lois de la Nature. Celle-ci ne se déroule pas en ligne droite mais en cercles (cycles) clos et répétés. Cette idée de cycles est capitale dans l'histoire de la pensée. Elle permet au philosophe d'évacuer la notion de commencement ou de fin du monde. La matière primordiale (le Feu) a toujours existé, elle n'est pas née de nulle part et ne s'éteindra pas dans un néant car le monde n'est pas engendré suivant la notion de temps mais selon la pensée. La formation de l'univers et de la nature satisfait en premier lieu à des nécessités logiques pilotées par la Raison. Dès lors, le temps n'est rien d'autre que l'ordre dans lequel les événements se succèdent et non plus la condition de leur existence...

Vingt-cinq siècles plus tard, cette réflexion constituera l'un des fondements de la pensée du philosophe Hegel pour lequel le monde est un et ne naît pas suivant le temps, mais selon la pensée...

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