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Liège, Belgium
Né à Bruxelles dans une famille d'origine grecque, turque, albanaise et bulgare. Etudes secondaires gréco-latines. Licence en Histoire de l'art, Archéologie et Musicologie de l'Université de Liège. Lauréat de la Fondation belge de la Vocation. Ancien journaliste à La Libre Belgique et La Gazette de Liège. Actuellement Chargé de mission développement et médias à l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège. Directeur artistique-adjoint du Festival des Nuits de Septembre. Enseigne l'Histoire sociale de la musique aux Alumni de l'Université de Liège.

lundi 7 avril 2008

Portrait d'une autre Venise

Parler d'une ville en déversant ses états d'âme et ses impressions nous limite souvent à une approche superficielle. Rien de tel que de s'intégrer au tissu social et de partager l’expérience quotidienne des habitants, réalités qui relativisent la rêverie dilettante du promeneur amoureux. A Venise, la réalité de tous les jours est aux antipodes de ce qu’une ville aussi exceptionnelle laisse imaginer. Les habitants - majoritairement composés de travailleurs dans le monde de la restauration, de l’hôtellerie, des transports maritimes, de la pêche, du tourisme, du verre, de l’artisanat, de la mode, de l’agro-alimentaire - ont des préoccupations bien plus terre à terre. A moins de disposer d’une fortune considérable, ce qui est le cas d’une faible minorité d’industriels issus de l’ancienne aristocratie vénitienne, le quotidien des habitants est loin d’être rose. La hausse considérable des loyers, le coût exorbitant de la vie font de Venise la ville la plus chère d’Italie. La lenteur des déplacements (il faut parfois plus d'une heure pour traverser la ville d'un bout à l'autre et plus d'une heure et demi pour aller à Mestre acheter un produit de première nécessité), la mobilité réduite (un déménagement peut prendre plusieurs semaines), l'envahissement des rues par les touristes en été, les embarras de circulation causés par l'aqua alta, l'impossibilité d'avoir des infrastructures modernes à domicile (tous les immeubles sont classés et donc intouchables) contribuent à rendre la ville plus inhospitalière que jamais. L’approvisionnement peu varié dans les magasins, l’absence d’activités sociales pour les jeunes, la fermeture de services comme les écoles ou les hôpitaux auxquels font désormais place des activités autrement plus rentables comme les fast-foods ou les boutiques de souvenirs entraînent depuis plusieurs années un exode vers la terraferma : la ville ne compte plus que 64.000 habitants contre 180.000 en 1950. Il faut ajouter à ce sombre tableau des phénomènes sociaux plus récents : le développement important d’un trafic de drogue et l'augmentation du nombre de travailleurs clandestins (principalement des illégaux africains et chinois) qui, aux yeux des Vénitiens sont de véritables "privilégiés" exempts des lourdes taxes que doivent payer les habitants.

Ces dernières semaines, les sujets de conversations étaient des plus variés. 2008 est considérée par les Vénitiens comme une année noire pour le tourisme. Le Carnaval, tombé très tôt dans la saison, a attiré moins de monde que les autres années. L’euro fort prive la ville d’une grosse partie des touristes américains sans compter que le prix des restaurants et des hôtels atteint des sommets inégalés : une enquête récente du « Codacons » (l'association pour la protection des consommateurs) a montré qu’une nuitée dans une chambre double d’un hôtel 3 étoiles, petit déjeuner compris, revient à 181,48 euros à Venise contre 150,2 à Florence, 101,50 à Milan, 88,38 à Naples ou 75,52 à Bologne ! La même enquête montre que les restaurants de la Sérénissime sont les plus chers d’Italie. Un repas avec une entrée (antipasti), un plat de pâtes (primo), un plat de viande avec légumes (secondo) un café et un litre de vin revient à 55 euros à Venise contre 45 à Florence, 39 à Milan, 35 à Rome et à Bologne, 31 à Naples. Un touriste doit dès lors prévoir un budget minimal de 250 euros par jour s’il compte en plus le coût prohibitif du vaporetto (6 euros pour un trajet d'une heure trente), les entrées aux expositions et musées (entre 10 et 15 euros par manifestation, audioguide et catalogue non compris), le second repas du jour, la boisson ou le café éventuels pris en terrasse (6 euros au minimum). Ces coûts prohibitifs expliquent que les touristes séjournent seulement 2 ou 3 journées à Venise, au lieu de 5 ou 6 jours il y a encore deux ans.

Autre problème, celui de la lagune actuellement contaminée par une concentration importante de dioxine provenant du site industriel voisin de Porto Marghera. La moyenne lagunaire est de 0,121 pictogramme de dioxine par litre, avec des pics allant jusqu'à 0,345 pg à Fusina, taux largement supérieur à la norme de 0,013 pictogramme tolérée. Les vongole et les mollusques pêchés quotidiennement sont également contaminés sans être toxiques pour autant : les scientifiques relèvent 0,5 pg par gramme, quantité bien au dessous de la limite de 4 pg imposée par l'Union européenne. Une telle pollution reste cependant inacceptable aux yeux de la commune qui va faire son possible pour ramener les chiffres à la normale.

Dans les discussions qui divisent la population, il y toujours le projet Mosè, le fameux barrage en cours de construction sur la lagune que les écologistes essayent d'interdire parce qu'il va dénaturer fortement la faune et la flore locale, perturbation de l'écosystème dont l'ensemble des Vénitiens n'a cure compte tenu des dégâts et des incommodités causés aux hommes par l'aqua alta.

Egalement sujet à controverse : la construction du pont que Santiago Calatrava a conçu pour Venise. Quatrième pont à enjamber le Grand Canal, après celui des Scalzi, du Rialto et de l'Accademia, cette construction qui relie la gare de Santa Lucia au terminal des bus de Piazzale Roma est décriée pour sa ligne esthétique futuriste, choquante pour les Vénitiens, majoritairement hostiles à l'architecture contemporaine qui jugent la réalisation inutile compte tenu de l'existence du pont des Scalzi à quelques centaines de mètres de là. Achevé à plus de 80%, le pont de Calatrava comprend des parapets de verre posés sur une structure en pierre d'Istrie. Un dallage central en verre divise le pont en deux, afin de réguler le flux de ceux qui partent vers la gare et de ceux qui en viennent.



Cela fait quelques semaines aussi que la Commune de Venise discute de l'utilité de maintenir un cinéma en plein air sur le Campo San Polo. L'entreprise, vieille de plusieurs décennies, n'attire plus aujourd'hui que quelques rares touristes durant les mois d'été et est largement déficitaire. Un financement de 70.000 euros, sur les 150.000 espérés a été voté in extremis pour sauver l'une des très rares contributions de la ville au 7e art. La Commune espère que les promoteurs trouveront le moyen de créer un nouveau public en 2008. Mise à part les lieux de projections de la Mostra en septembre, il ne reste qu'une seule salle de cinéma active à Venise, le Giorgione, à deux pas de l'église des Santi Apostoli et de la Strada Nova, un cinéma d'art et d'essai qui passe la plupart des blockbusters américains pour survivre, les Vénitiens sont plutôt accros à la location de films en DVD.

Au rayon des nouveautés, Venise a renoué durant les fêtes de Pâques 2008 avec une tradition vieille de 800 ans, suspendue en 1970, après la réforme liturgique qui a suivi le Concile de Vatican II, à savoir la translation de sept reliques de la Passion du Christ, portée en lente procession à l'intérieur de la Basilique San Marco vers l'iconostase de l'autel majeur, aux sons de chants antiphoniques exécutés dans une pénombre totale. Une influence manifeste de l'ancien rituel byzantin sur le culte local dont le charme aura séduit tant les croyants que les incrédules.

Last but not least, cette annonce pour le moins spectaculaire : afin d'éviter que l'aqua alta n'envahisse les palais de Venise à l'avenir, deux entreprises italiennes, Soles (basée à Forlì) et Mattioli (de Padoue) ont présenté la semaine dernière au maire de la ville, le poète communiste Massimo Cacciari - qui fut, entre autres, le librettiste du Prometeo de Luigi Nono - un projet révolutionnaire permettant de soulever les bâtiments historiques menacés par les marées. Cette technologie consiste à couler une plaque de béton sous les fondations d'un bâtiment tout en l'élevant d'un mètre au-dessus du niveau de l'eau et en le renforçant au moyen de poteaux en acier. Le soulèvement se ferait en une dizaine de mois, sept pour l'élévation, trois pour la finition. Le projet coûterait 2.500 euros (plus TVA) par mètre carré pour un édifice de trois ou quatre étages. Il faudra compter 800 euros en plus pour tout étage supplémentaire. Le Palais des Camerlenghi (la cour des comptes de Venise), un superbe édifice Renaissance du XVIe siècle maniériste, aux pieds du pont de Rialto, serait le "cobaye" idéal puisqu'il n'est encadré par aucun bâtiment mitoyen et souffre actuellement d'une constante pénétration des eaux. Son élévation coûterait entre deux et trois millions d'euros. Massimo Cacciari a déclaré dans la presse sa foi en cette technologie tout en précisant que l'argent public ne viendra pas à bout d'une telle entreprise. L'unique possibilité serait d'impliquer les comités privés pour la sauvegarde de Venise. Des moyens financiers qui sont finalement bien peu de choses au regard du patrimoine culturel mondial de la cité. Le futur de Venise est-il assuré pour autant?

2 commentaires:

Sophie B. a dit…

Le mariage des belles phrases et des bonnes idées vous réussit tout particulièrement lorsque vous parlez de Venise. Si vous n'êtes pas lassé, je serais ravie de lire d'autres lignes sur ce sujet. Sophie

Stéphane DADO a dit…

Ô que non, il est difficile d'être lassé par une telle ville dont je n'ai pas encore fini de faire le tour... Avec Venise, je me sens comme un biologiste qui examine une cellule au microscope et, qui, lorsqu'il rapproche son objectif de l'organisme en question, découvre les gigantesques merveilles de l'infiniment petit.