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Liège, Belgium
Né à Bruxelles dans une famille d'origine grecque, turque, albanaise et bulgare. Etudes secondaires gréco-latines. Licence en Histoire de l'art, Archéologie et Musicologie de l'Université de Liège. Lauréat de la Fondation belge de la Vocation. Ancien journaliste à La Libre Belgique et La Gazette de Liège. Actuellement Chargé de mission développement et médias à l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège. Directeur artistique-adjoint du Festival des Nuits de Septembre. Enseigne l'Histoire sociale de la musique aux Alumni de l'Université de Liège.

samedi 26 avril 2008

Constantin ou le génie du christianisme

Dernier ouvrage de l'historien de l'Antiquité Paul Veyne, Quand notre monde est devenu chrétien (312-394) est la réflexion passionnante et pertinente d'un incroyant qui cherche à comprendre l'expansion du christianisme dans le monde gréco-romain. Il est courant de lire que le basculement du paganisme vers le christianisme est du ressort de l'empereur Constantin, converti en 312 à la religion du Christ par opportunisme politique et cynisme calculateur. Veyne s'attaque d'emblée à cette idée reçue : la conversion de Constantin est celle d'un homme profondément convaincu que le christianisme peut changer la face de l'humanité. Le raisonnement de Veyne est d'ailleurs assez logique : Constantin n'aurait pas pris le risque de mécontenter 90% de son Empire pour satisfaire 10% de la population convertie au christianisme (soit seulement 67 millions d'habitants) si ses convictions personnelles n'avaient été aussi fortes.

Le pari du christianisme a plusieurs avantages. Il permet d'instaurer une paix totale au sein d'un empire déchiré depuis plusieurs décennies par les persécutions religieuses. Mégalomane, Constantin estime ensuite qu'un grand empereur comme lui à besoin d'une grande religion : comme beaucoup d'intellectuels de son époque, il est séduit par toute les recettes philosophiques qui font du christianisme une religion atypique, un chef-d'œuvre dont la force tient à l'universalisme de son message, un "best seller" de la foi éloigné de l'intellectualisme exclusif des philosophes de l'Antiquité tardive. Imposer cette pensée religieuse d'avant-garde à une population qui s'en méfie parce que "son discours ne ressemble à rien de connu" présente un incroyable défi qu'il se sent prêt à relever. Constantin se sait homme politique et missionnaire du Christ. Contrairement aux empereurs romains qui priaient Apollon ou d'autres dieux pour obtenir leurs suffrages à l'occasion de bataille ou conquêtes territoriales, prières purement destinées à des fins personnelles, Constantin a la conviction d'agir d'abord au nom du christianisme, il n'utilise pas l'Église mais il a le devoir de la servir.

Lorsqu'il prend le pouvoir à Rome, en 312 en destituant Maxence, Constantin proclame le christianisme "religion de l'empereur". Il prône une égalité totale entre les adeptes de sa foi et ceux du paganisme sans être pour autant l'instigateur de cette tolérance. A cet égard, Veyne remet les pendules historiques à l'heure : le fameux "édit de Milan" (313) qui autorise les chrétiens à pratiquer leur culte librement, n'est pas, contrairement à ce qu'on lit partout, le premier acte de tolérance à l'encontre des chrétiens. En 311, l'édit de Galère instaure déjà cette paix religieuse. L'édit de Milan ne représente en réalité qu'une série de compléments à l'édit de Galère, proposés par Constantin et l'empereur Licinius (pour rappel depuis la fin du IIIe siècle, l'empire est partagé entre quatre empereurs, les fameux Tétrarques, puis deux, Constantin et Licinius, ce dernier règne en Orient, jusqu'à ce qu'en 324 Constantin le combatte à Andrinopole et devienne l'unique souverain de l'Empire).

S'il estime que l'essentiel de l'Empire vibre au rythme de "basses superstitions", jamais Constantin ne tente de convertir les païens au christianisme ou de les défavoriser au sein de l'état. En légalisant l'Église, il va à l'inverse encourager la construction de lieux de culte, de monastères, de réseaux prosélytes et diffuser une propagande orale, des sacrements, des livres "saints", une morale, des dogmes et un ascétisme "qui se désintéresse de ce bas monde". Pour l'historien Eusèbe, contemporain de l'empereur, Constantin passe pour "le nouveau Moïse du nouvel Israël".

En 325, Constantin convoque le célèbre Concile de Nicée (Turquie actuelle) afin de rétablir l'unité en Orient, troublée par les nombreuses dissensions au sein de l'Église, principalement à propos de la nature de la "Trinité". Avec ce Concile, Constantin parvient à reconnaître la prééminence des diocèses d'Alexandrie, d'Antioche et de Rome, il instaure l'anathème (sorte d'excommunication suprême pour les dissidents religieux) et la notion fondamentale de confession de foi. Cette dernière montre que le changement de mentalité dans l'Empire est radical. Le christianisme pose en effet la question de la "vraie religion", problématique inconnue des cultes gréco-romains, très tolérants à l'égard de tout "dieu".

Le phénomène de christianisation progressive des masses, qui s'étend au-delà du règne de Constantin (mort en 337) est pour Veyne dû ni à des persécutions ni à une évangélisation massive mais "à un conformisme dicté par une autorité maintenant reconnue, celle des évêques : le poids d'une autorité morale et le vertueux devoir de "faire comme tout le monde". La population devient chrétienne moins par conviction que par imitation et conformisme social. Alors le christianisme est-il une idéologie? un instrument politique? un instrument de propagande? De manière nuancée, Veyne montre qu'il s'agit d'un peu tout à la fois.

A la fin du IVe siècle, l'Empire est à nouveau gouverné par deux dirigeants. Théodose règne en Orient ; Eugène à le titre d'empereur à Rome même si, en réalité, le pouvoir est aux mains d'un chef germain, Arbogast (tout le Ve siècle connaîtra cette soumission des derniers empereurs par des Germains, de Stilicon à Ricimer). En 392, Théodose proclame l'interdiction des cultes gréco-romains. C'est pourtant moins cette interdiction qui met fin au paganisme que la défaite du parti païen lors de la bataille de la Rivière froide (394, près de l'actuelle Goriza) lors de laquelle l'empereur Eugène est décapité tandis qu'Arbogast se donne la mort. Les cultes sacrilèges n'ont plus de chef de file tandis que le christianisme devient l'unique religion de l'état. Les païens auront beau pratiquer pendant deux siècles encore leurs anciennes croyances, à titre totalement privé, celles-ci disparaîtront de leur belle mort, réduites à néant par l'idéologie du silence, l'insignifiance volontaire des chrétiens qui affectent de les ignorer.

1 commentaire:

Doréus a dit…

Bon, ça y est, une autre lecture incontournable. Et moi qui suis plutôt de l'opinion que les motivations de l'empereur étaient essentiellement politiques... Mais cette période n'est pas ma spécialité, même si je l'enseigne à l'occasion. Ça apporte de l'eau au moulin et il faudra que je lise ça avant mon prochain tour à l'enseignement du Moyen-Âge.
(En passant, je viens de recevoir livraison de Nouvelle histoire de l'homme. Cependant, le dernier Blake et Mortimer n'est pas encore sorti en Amérique du Nord... il me faut attendre encore un mois avant de pouvoir le commander à mon fournisseur habituel, à moins que je décide de passer par Amazon France.)