Après Accattone, le cinéma Churchill de Liège poursuit cette semaine son cycle Pasolini avec Medea (1969). Un film dense, complexe, d'une violence radicale. Pasolini y distille en filigrane le mythe grec. La pièce originelle d'Euripide apparaît comme un vague souvenir.
Pasolini souhaite en réalité opposer deux mondes : celui de Médée, un univers où l'homme est en communion avec les forces divines de la nature, monde des contes et légendes de l'enfance, de la magie ancestrale, de la pureté primitive de l'homme. Et le monde de Jason : une société moderne, conquérante, virile, banale, matérialiste où les dieux ont perdu leur raison d'être. Militant communiste acharné, Pasolini ajoute une lecture politique au film : l'univers de Médée est celui de l'Italie du Sud, pauvre, aride, authentique, alors que le monde de Jason (on devrait presque prononcer le nom à l'américaine) est cette Italie du Nord, industrielle, capitaliste qui aurait perdu son âme.
D'entrée de jeu, Medea expose les deux univers. Le film s'ouvre sur l'image de Laurent Terzieff transformé en centaure qui raconte à un Jason de trois ans l'origine de la toison d'or : la sphère du mythe bat son plein. Image suivante : Terzieff a perdu ses formes animales et recommande à un Jason adulte d'aller récupérer la toison d'or pour conquérir son royaume : le monde de l'enfance a fait place aux réalités politiques de l'âge adulte. Cette coexistence de deux univers sera constante, au point de devenir, par un coup de génie cinématographique, une schizophrénie narrative au moment le plus intense du film. La mort de Glauce, la rivale de Médée, est proposée dans deux versions consécutives : dans la première, Pasolini nous ramène à l'atmosphère magique du mythe puisque la robe offerte par Médée à la nouvelle épouse de Jason s'enflamme par l'action de la magie. Dans la seconde, une vision plus terre à terre et psychologique est exposée : Glauce se suicide considérant que son mariage avec Jason est une injustice pour Médée.
Croyant sans dieu, Pasolini éprouve une nostalgie évidente pour le monde des forces primitives.
La 2e séquence du film est à cet égard une parenthèse extraordinaire : elle reconstitue durant une douzaine de minutes avec une méticulosité extrême une scène de sacrifice antique. La caméra s'est nourrie auprès de Jung ou de Mircea Eliade, elle décortique le rituel avec la méticulosité d'un anthropologue. Entourée des jeunes éphèbes typique dans les films de Pasolini (avec leurs corps musclés à demi-nu, leurs carnations foncées et leurs cheveux bouclés qui les font ressembler au Bacchus du Caravage), Médée préside les cérémonies du sacrifice comme s'il s'agissait d'associer d'emblée l'héroïne au monde ancien des énergies telluriques.
Le choix de Maria Callas en Médée est pertinent. Non pas parce que la diva a incarné le personnage à l'opéra - la Médée de Cherubini est avant tout une mère et une épouse bafouée -, mais parce que son visage de tragédienne grecque aux traits anguleux compose avec une noblesse étonnante toutes les gammes d'expression que requiert le personnage pasolinien : tendresse, dévotion mystérieuse, fragilité, crainte, furie vengeresse, hystérie féminine, barbarie, folie, rage, douleur... Callas est on ne peut plus crédible dans ce personnage archaïque exilé dans un monde déshumanisé et brutal. Callas ne chante pas, un comble pour une diva. Elle parle à peine. Mais ses répliques touchent comme un glaive. Toute sa composition tient également dans la force de son regard. Pasolini en abuse par une infinité de gros plans, plus intenses les uns que les autres.
Pasolini souhaite en réalité opposer deux mondes : celui de Médée, un univers où l'homme est en communion avec les forces divines de la nature, monde des contes et légendes de l'enfance, de la magie ancestrale, de la pureté primitive de l'homme. Et le monde de Jason : une société moderne, conquérante, virile, banale, matérialiste où les dieux ont perdu leur raison d'être. Militant communiste acharné, Pasolini ajoute une lecture politique au film : l'univers de Médée est celui de l'Italie du Sud, pauvre, aride, authentique, alors que le monde de Jason (on devrait presque prononcer le nom à l'américaine) est cette Italie du Nord, industrielle, capitaliste qui aurait perdu son âme.
D'entrée de jeu, Medea expose les deux univers. Le film s'ouvre sur l'image de Laurent Terzieff transformé en centaure qui raconte à un Jason de trois ans l'origine de la toison d'or : la sphère du mythe bat son plein. Image suivante : Terzieff a perdu ses formes animales et recommande à un Jason adulte d'aller récupérer la toison d'or pour conquérir son royaume : le monde de l'enfance a fait place aux réalités politiques de l'âge adulte. Cette coexistence de deux univers sera constante, au point de devenir, par un coup de génie cinématographique, une schizophrénie narrative au moment le plus intense du film. La mort de Glauce, la rivale de Médée, est proposée dans deux versions consécutives : dans la première, Pasolini nous ramène à l'atmosphère magique du mythe puisque la robe offerte par Médée à la nouvelle épouse de Jason s'enflamme par l'action de la magie. Dans la seconde, une vision plus terre à terre et psychologique est exposée : Glauce se suicide considérant que son mariage avec Jason est une injustice pour Médée.
Croyant sans dieu, Pasolini éprouve une nostalgie évidente pour le monde des forces primitives.
La 2e séquence du film est à cet égard une parenthèse extraordinaire : elle reconstitue durant une douzaine de minutes avec une méticulosité extrême une scène de sacrifice antique. La caméra s'est nourrie auprès de Jung ou de Mircea Eliade, elle décortique le rituel avec la méticulosité d'un anthropologue. Entourée des jeunes éphèbes typique dans les films de Pasolini (avec leurs corps musclés à demi-nu, leurs carnations foncées et leurs cheveux bouclés qui les font ressembler au Bacchus du Caravage), Médée préside les cérémonies du sacrifice comme s'il s'agissait d'associer d'emblée l'héroïne au monde ancien des énergies telluriques.
Le choix de Maria Callas en Médée est pertinent. Non pas parce que la diva a incarné le personnage à l'opéra - la Médée de Cherubini est avant tout une mère et une épouse bafouée -, mais parce que son visage de tragédienne grecque aux traits anguleux compose avec une noblesse étonnante toutes les gammes d'expression que requiert le personnage pasolinien : tendresse, dévotion mystérieuse, fragilité, crainte, furie vengeresse, hystérie féminine, barbarie, folie, rage, douleur... Callas est on ne peut plus crédible dans ce personnage archaïque exilé dans un monde déshumanisé et brutal. Callas ne chante pas, un comble pour une diva. Elle parle à peine. Mais ses répliques touchent comme un glaive. Toute sa composition tient également dans la force de son regard. Pasolini en abuse par une infinité de gros plans, plus intenses les uns que les autres.
S'il reste grandiose malgré sa crudité, le film comporte deux faiblesses : la musique et les décors. Choisis rien moins que par l'écrivaine Elsa Morante, femme de Moravia et sans doute la plus grande écrivaine de l'Italie du XXe siècle, les extraits sonores - des chants sacrés du Tibet ou des airs japonais accompagnés au koto - pouvaient paraître ingénieux dans les années soixantes, ils paraissent complètement décalés aujourd'hui. Les mêmes invraisemblances touchent les lieux de l'action. La citadelle d’Alep sert de décor naturel à la ville de Corinthe. Pourquoi pas, elle est sublime. Lorsqu’on en franchit ses murs, sa cour intérieure n'est autre que le Campo dei Miracoli de Pise… Bizarre tout de même… Enfin, s'il le royaume de Colchide est filmé dans les merveilleux payasages troglodytes de la Cappadoce, la présence de centaines de figurants turcs, avec leurs jolies moustaches, est plutôt anachronique pour une action qui se passe dans l'Antiquité...
Pasolini a souhaité que la projection du film soit accompagnée ou complétée par la lecture des Visions de Médée (où il explicite le sens de l'oeuvre). Medea est pour cette raison une des premières oeuvres "multimédias" avant la lettre, bicéphale comme la narration de l'histoire.
En prime : une interview de Callas aux côtés de Visconti, quelques semaines avant le tournage de Medea :
Une seconde interview, réalisée à l'issue du film :
5 commentaires:
Est-ce une erreur de ne pas faire chanter la Callas dans le film?
En visionnant l'interview de la Callas et les commentaires réservés de Visconti à l'égard du choix des acteurs de Pasolini pour encadrer cette dernière , on mesure l'admiration du cinéaste pour la Diva et son envie de tourner avec elle. A-t-il concrétisé ce souhait?
@ Laurence
Cela n'aurait pas apporté grand chose je pense : cela risquait d'enfermer Callas dans le registre de l'hystérie... Comme je l'ai dit, l'intérêt de sa présence tient moins dans sa voix que dans ses regards et la multitude d'expressions du visage.
@ Fabienne
Non, il ne l'a pas fait (on sent en tout cas dans l'interview une sorte de jalousie à l'égard de Pasolini).
En revanche, Visconti a été interviewé dans le cadre d'un film sur la Callas tourné quelque temps après la mort de la cantatrice.
Visconti et Callas ont travaillé régulièrement ensemble à la Scala. La présence de Maria Callas était d'ailleurs une des conditions pour que le metteur en scène accepte de monter des opéras (la Vestale par exemple). D'après les témoignages, Callas est même tombée amoureuse de Luchino Visconti, elle lui faisait des scènes de jalousie lorsque de jeunes chanteurs comme Franco Corelli l'accaparaient un peu trop...
Cher Stéphane, on sent dans ce billet tout votre amour de l'incomparable et immense Maria.
Florence
@ Florence
Je serai franc : je n'aime pas la voix de la Callas. C'est une tragédienne éblouissante dans Tosca, Médée, La Vestale, Lady Macbeth ou La Traviata. Mais dès qu'elle s'attaque à Mozart, Bellini, Rossini, Donizetti, Gounod, je n'entends plus que les défauts de l'organe : timbre métallique, dureté de l'aigu, instabilité de l'intonation, vibrato outrancier, manque de souplesse, vocalises poussives et artificielles, style peu approprié.
Callas traite le texte avec une intelligence exceptionnelle. C'est une femme de théâtre, et c'est sans doute grâce à elle que l'opéra a connu un regain d'intérêt à partir des années 50. Mais, comparée à Tebaldi, à Sutherland et surtout à la Caballé, qui pour moi est la plus belle voix du XXe siècle (en tout cas jusqu'en 1973), Callas est loin derrière... Aussi étrange que cela puisse paraître, Callas n'aimait pas sa voix, elle l'a souvent déclaré, et son retrait prématuré de la scène est sans doute lié à la prise de conscience cruelle des limites de sa voix.
Elle tente du coup de se recycler en donnant des master classes à la Juilliard School de New-York, mais l'expérience la laisse insatisfaite. Elle essaye alors l'expérience de la mettre en scène en montant Les Vêpres siciliennes de Verdi lors de l'inauguration du nouveau Théâtre Tegio de Turin, en 1972, mais là encore c'est un échec. Les cinq dernières années de sa vie sont totalement tragique : Callas va perdre sa voix et va perdre tout goût de vivre...
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