Même si elle est ancrée dans une vague nostalgique un peu réactionnaire, la reprise des personnages de E.P. Jacobs par Yves Sente et André Juilliard est une réussite. Après La Machination Voronov et les deux volumes des Sarcophages du 6e continent, Blake et Mortimer explorent cette fois Le Sanctuaire du Gondwana, une nouvelle aventure tirée à 550.000 exemplaires, déjà un succès en librairie depuis sa sortie le 28 mars. Il faut dire que Sente et Juilliard (bien plus que Van Hamme et Benoît, les premiers à avoir exhumé les personnages d'origine) ont parfaitement assimilé les ingrédients qui font la griffe narrative de Jacobs : une histoire scientifique où peuvent intervenir des éléments fantastiques, une histoire policière sur fond de crise politique, une aventure archéologique dans des mondes perdus. Le Sanctuaire du Gondwana fait clairement partie de cette dernière tendance.
Dans leurs albums, le Sanctuaire n'échappe pas à la règle, Sente et Juilliard parviennent à déjouer remarquablement la contrainte d'époque : les codes graphiques n'ont pas évolué depuis La Marque jaune (Jacobs était pourtant favorable à une transformation esthétique de ses personnages en cas de reprise), les reprises se déroulent dans les années 50, une période totalement inconnues pour les jeunes lecteurs d'aujourd'hui, mais les épigones de Jacobs parviennent à susciter l'intérêt en raccrochant la narration à des thèmes actuels. La Machination Voronov abordait le problème des bactéries venues de l'espace, réalité relatée dans les revues scientifiques d'aujourd'hui. Les Sarcophages évoquaient une menace terroriste (sur l'Expo 58), thème tristement contemporain. Le Sanctuaire du Gondwana se rattache quant à lui à la vogue pour la préhistoire et à l'étude des origines de l'homme. L'album tire son nom du Gondwanaland, ce supercontinent qui, il y a 600 millions d'années était constitué de l'Inde, de l'Antartique et de l'Afrique avant que les trois ne se séparent il y a 160 millions d'années.
Ce même Gondwana fait l'objet d'une redécouverte par Mortimer et ses amis (notamment Nastasia, l'agréable touche féministe de la nouvelle série), après qu'un archéologue allemand a ramené du Tanganyika une bague d'une communauté inconnue. Au coeur de l'Afrique Noire, Mortimer va découvrir la première civilisation humaine, vieille de... 350 millions d'année (!) et surtout ses descendants. Mystère des origines tournant au fantastique, fable moralisatrice sur notre société cupide et avant tout une histoire captivante qui se termine sur un coup de théâtre auquel l'infâme Olrik, qui n'en finit pas de ressusciter d'album en album, n'est évidemment pas étranger. Les couleurs sont superbes, parfois délicieusement criardes, les dessins soignés et réalistes. Les tintinophiles repéreront une allusion au Sceptre d'Ottokar ; les amoureux d'archéologie reconnaîtront Mary et Louis Leaky, anthropologues auxquels ont doit la découverte de nombreux australopithèques, notamment à Olduvai en Tanzanie ; les âmes romantiques plongeront dans le passé de Mortimer et feront connaissance avec son grand amour, l'artiste Sarah Summertown, une autre touche d'humanité dans l'univers viril des deux héros. Un délice, "old chap"...
3 commentaires:
Il y avait longtemps que j'avais entendu parler du projet de cet album... et je l'attendais avec impatience. Puisque je suis désormais loin des librairies francophones, sa sortie m'avait échappé... Il faudra commander!
Les mangas japonais, très peu pour moi; par contre, la BD belge, j'aime bien. Ça change des lectures trop sérieuses! Merci encore pour ce tuyau!
hé hé très drôle j'ai choisi le même sujet que toi pour mon billet d'aujourd'hui...les grands esprits se rencontrent?
@ Tu as tort par rapport à la b.d. japonaise. Lis simplement le Journal de mon père ou Quartier lointain de Taniguchi et tu m'en diras des nouvelles. Cela dépasse de loin tout ce qui se fait en occident...
@ Jean-Pierre,
Et si on était plutôt des fashion victims... :-) Marrant en tout cas de trouver cela réactionnaire mais délicieux. Je ressens la même chose... Les psychanalystes diraient que nous sommes en plein processus de régression. Nous assumons pleinement n'est-ce pas! :-)
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