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Liège, Belgium
Né à Bruxelles dans une famille d'origine grecque, turque, albanaise et bulgare. Etudes secondaires gréco-latines. Licence en Histoire de l'art, Archéologie et Musicologie de l'Université de Liège. Lauréat de la Fondation belge de la Vocation. Ancien journaliste à La Libre Belgique et La Gazette de Liège. Actuellement Chargé de mission développement et médias à l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège. Directeur artistique-adjoint du Festival des Nuits de Septembre. Enseigne l'Histoire sociale de la musique aux Alumni de l'Université de Liège.

mercredi 28 mai 2008

Quelques réflexions sur le Reine Elisabeth

Le Concours Reine Elisabeth 2008 a désigné samedi soir ses lauréats. Considéré par l'ensemble des médias comme l'événement musical classique de l'année, la manifestation inspire plusieurs réflexions.

D'abord, est-il réellement nécessaire d'avoir des concours pour repérer les talents de demain? A l'instar d'Isabelle Druet, les grands interprètes n'ont pas vraiment besoin de compétitions pour faire carrière. Les Repin, Znaider, Lemieux, Khatchatriyan, Braley, Ivanov, Mangova, autrement dit, tous les grands lauréats révélés par le Concours ces dernières années, s'y sont risqués moins par souci de se faire connaître que besoin de s'auto-évaluer, leur carrière respective, tant au disque qu'au concert, avait il faut le rappeler, déjà pris l'essor professionnel qu'ils méritaient. Un nombre important d'artistes ne supporte pas l'idée de se présenter devant un jury ; seule importe la relation avec le public, seul juge compétent en la matière.

Pour ceux qui malgré tout s'y essayent, le Concours est une arme à double tranchant. Projetés sur le devant de la scène avant même d'avoir terminé leur cursus, certains lauréats sont contraints d'enchaîner des concerts qui ne leur laisse plus la place à l'étude. Le travail d'un soliste (ou d'un chef) est un apprentissage de toute une vie, il nécessite beaucoup de rigueur et doit s'opérer de manière progressive pour éviter de se brûler les ailes, rigueur que ces lauréats plus fragiles, souvent exploités par des agents sans scrupule, n'ont pas. A part les quelques grands noms cités plus haut, qui se souvient des Jacob Will, Evgueni Bouchkov, Erez Ozer, Stephen Prutsman, Brian Ganz, Reginaldo Pinheiro, Thierry Félix, Yahoi Toda, Ana Camelia Stefanescu, Ning An, When-Yu Shen, Iwona Sobotka, Sofia Jaffé, etc., dont certains furent 1e et 2e lauréats du Concours.

Dirigé par une équipe attachante de professionnels sincèrement passionnés par la musique et par les jeunes artistes, le Reine Elisabeth se targue de vouloir faire connaître la musique classique au plus grand nombre. L'idéal est on ne peut plus louable d'autant que les grandes institutions publiques comme l'ONB, le TRM, l'ORCW ou l'OPL sont associées avec soin au projet. Effectivement, sans le Concours, des milliers de spectateurs n'auraient sans doute jamais entendu parler de Bach, Beethoven ou de Verdi. Est-il pour autant représentatif de ce qu'est le concert classique? Rien n'est moins sûr. La construction même des soirées de finale, avec ses programmes interminables conçus sans la moindre cohérence artistique frôlent pour le véritable amateur le supplice. Il ne viendrait jamais à l'idée d'un organisateur de concert de proposer à son public la réplique de telles soirées, il n'y aurait personne dans sa salle. Qui plus est, si vous demandez à un jeune chanteur d'interpréter à la fois un oratorio de Haendel, une mélodie de Schubert, air de Mozart et une roucoulade de Donizetti, c'est méconnaître totalement le travail, la physionomie et la psychologie des artistes. Les changements de climats musicaux, de langues, de genres nécessitent du temps, une bonne préparation mentale, un ménagement physique. Il est dès lors tout simplement impossible d'imaginer qu'en une seule soirée de jeunes artistes parviennent à enfiler avec tout le sérieux professionnel qui s'impose la cascade de genres imposée par le Concours. Les grands moments de musique existent, bien sûr, lors desquels les solistes se donnent corps et âme, mais ils sont plutôt rares.

Certains artistes refusent de se présenter au concours car il leur paraît tout simplement impossible de faire de la musique correctement : ils aiment construire minutieusement leurs récitals, le concours ne leur permet pas d'installer le moindre climat poétique, sans parler de la durée éprouvante des épreuves qui les amènerait forcément à ne pas être en forme tous les jours (les musiciens ne sont pas des machines, il convient de ne pas l'oublier...). Sans parler non plus de la prédilection plus ou moins consciente du jury pour l'art opératique au détriment du Lied ou de l'oratorio qu'affectionnent davantage certains candidats. La presse musicale belge l'a judicieusement souligné à diverses reprises.

Qu'est-ce qui justifie dans ce cas le succès médiatique et populaire du Reine Elisabeth? :

a. Des raisons commerciales d'abord. Le Concours est, faut-il le rappeler, une entreprise privée qui met tous les moyens nécessaires pour se médiatiser au maximum. Il a comme toute entreprise privée des critères de rentabilité à respecter. Ceci peut expliquer le coût parfois impressionnant des places que le public débourse pour entendre de jeunes inconnus aux finales, alors que les institutions publiques de la Communauté Wallonie-Bruxelles proposent des récitals ou concerts avec les plus grands interprètes d'aujourd'hui à des prix bien plus démocratiques. La sortie du CD du Concours une semaine à peine après la fin de celui-ci (une performance!) est une manière habile (et rentable) de surfer sur la vague commerciale de ce succès médiatique. Une question m’interpelle face à cette mobilisation médiatique : est-il pertinent que des moyens publics colossaux soient mis en œuvre par la presse écrite et la télé pour la valorisation d’une manifestation commerciale au détriment de la visibilité des institutions culturelles publiques pour lesquelles ces mêmes médias décrètent qu’ils n’ont plus de moyens ?

b. Des raisons extra-musicales ensuite à commencer par le caractère sportif de la manifestation. Le concours permet de flatter le goût d'un certain public pour la compétition, les palmarès, les classements, les pronostics. Le concours est une machine à rêve qui engendre des dieux du stade d'un genre nouveau. Point n'est besoin pour ce public de connaître leurs qualités réelles, point n'est besoin non plus d'avoir une connaissance élémentaire du répertoire, de savoir si la performance est digne d'un concert classique traditionnel ou d'une maison d'opéra. Seule la proclamation du jury suffit à légitimer le niveau d'excellence des vainqueurs, célébrés comme des héros à part entière, peu importe leur qualité réelle. Ces palmarès me semblent inutiles et injustes car comment comparer l'incomparable ? Un pianiste qui exécute admirablement le Premier Concerto de Mendelssohn est-il meilleur artiste que celui qui joue très bien un Premier Concerto de Brahms, partition autrement plus redoutable? Une telle confrontation n'a pas de sens. Et c'est encore plus vrai dans le chant. Comment distinguer les qualités d'une mezzo-soprano qui interprète des Lieder de Mahler de celles d'un ténor qui se lance dans le monde passionné de l'opéra verdien. Il faut aimer en réalité l'un et l'autre et pas l'un au détriment de l'autre. La musique est un univers qui fédère les talents, elle ne peut les diviser ou les exclure. Et que dire de ces jeunes artistes qui font des merveilles aux éliminatoires ou aux demi-finales mais qui échouent, épuisés à la dernière ligne droite. Sont-ils moins bon pour autant? Bien sûr que non. Un Gidon Kremer ne s'est pas retrouvé dans le trio de tête du Concours, cela ne l'a pas empêché de faire une carrière immense par la suite.

Faut-il dès lors garder une certaine distance par rapport à toute forme de concours? Un concours peut-il être considéré comme une manifestation culturelle à part entière ? Le lecteur a suffisamment d'éléments ici pour se forger sa propre opinion. Pour ma part, j'ai une nette préférence pour les concerts de lauréats qui suivent le Reine Elisabeth. L'esprit de compétition n'étant plus de mise, les musiciens sont pleinement au coeur de la musique. C'est sans doute là que réside le véritable intérêt de la manifestation.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Je suis 100% Ok avec tes arguments et ton analyse. J'ai mis les pieds une seule fois (j'entends physiquement) au CMIREB, lors de la dernière session violon, je me suis bien ennuyé avec deux violonistes japonais très ternes accompagnés par un ONB des touts petits jours et un concerto imposé nul de nul...C'est vrai que c'est TRES long dans ses cas là...Le pire c'est qu'au lieu de donner une image "moderne" de la musique, le CMIREB entretient une image archi dépassée du concert classique, comme toi je suis gêné par cet aspect marathon...mais tellement dans l'air du temps qui vise à classer, évaluer, sélectionner les "meilleurs". J'ai tjrs été amusé de voir qq ex lauréats dont la carrière peine à décoller qui jouent les gardiens du temple. (Pierre-Jean)

Anonyme a dit…

Tu fais sans doute bien de t'interroger sur la notion de concours et en particulier dans le domaine des arts, concours de musique, d'architecture, de chansons .... quel que soit son objet, culturel ou sportif un concours est un ensemble d'épreuves mettant en compétition des artistes ou des sportifs (il y a bien d'autre catégories possibles, je cite ces deux-là parce que tu fais un parallèle avec le sport), pour un nombre de places fixé d'avance, ou bien pour établir un classement honorifique ou bien encore une échelle de récompenses et à partir de cette définition, il ne peut pas y avoir d'autres formes d'interprétation. Dans les deux cas, il s'agit pour les individus placés en situation de concourir de donner le meilleurs d'eux-mêmes, pour les uns ce sera leur art, leur talent d'interprète, leur sensibilité pour les autres leur adresse, leur puissance, leur dextérité ... mais tous sont mus par le désir de gagner, d'être le meilleur, le premier, l'élu il n' y a là rien que de très normal, et pour ma part j'ai autant d'admiration pour le gagnant d'un marathon que pour le perdant si je me place dans l'aspect normatif, si je transcende et si j'applique mes propres valeurs je regarde le perdant comme un super gagnant car il a sans doute mis en oeuvre une force digne d'admiration et exemplaire.
Bien sûr que les participants ne sont pas blamâbles et peut-on pour autant blâmer la notion de concours, je ne le crois pas, le concours est un des nombreux alibis pour mettre l'homme en scène pour continuer à poser des repères, à classer, émettre des jugements, à normer, quantifier, qualifier, justifier, comparer, cloisonner, construire des systèmes et des échelles de valeur donner du -un - sens à la vie.

Là ou le bât blesse, c'est ce que l'on a fait des concours, et peut-être en particulier de celui dont tu parles, et que je ne connais pas, qui institue semble-t-il lui aussi le défilé des bêtes à concours, des talents laminés, des espoirs déçus par des jugements plus que subjectifs, par des illusions perdues .... mais il y a aussi des joies, des grands bonheurs, des destins qui se mettent en mouvement, des égos flattés, des regains de confiance en soi .... alors , tous ces concours, Molières, Césars, Oscars et autres Star Ac, il faut bien le reconnaître, ne mettent pas le monde à feu et à sang et rien n'est de trop pour mettre en valeur les talents, amener les gens à regarder, écouter, rêver ... gardons tout de même un oeil critique sur toutes ces manifestations et mettons de côté tout ce qui les parasite !
jpw

Anonyme a dit…

Petite réflexion en passant. La formule adoptée de longue date par le CMIREB est archaïque, Pierre-Jean l'a bien formulé. Le marathon attire en effet un public plus avide de compétition que de musique. Sont-ce ces spectateurs les mélomanes habituels des salles de concerts ou de la discographie? Je ne crois pas. La preuve en est que le Festival Brahms (un compositeur encore boudé dans nos cultures latines)de l'OPL a été suivi par un public assez nombreux aux heures de retransmission télévisée du Concours. Etant présent les trois jours, peu de mélomanes m'ont parlé de la dite compétition et dimanche, personne n'a commenté le palmarès. Non, ce ne sont pas les mêmes personnes.

Dernière indice pour montrer le désarroi des mélomanes face au palmarès. Vous pouvez lire sur mon blog un commentaire sans titre sur l'article "le choix du jury"...tout à fait représentatif!