Cela fait quelques jours que je parcours Venise bercé par l'Atenaide de Vivaldi, oeuvre créée en 1728, dernier né du cycle opératique vivaldien entrepris par Naïve, incontestablement la plus importante exhumation dans le genre de ces dernières années. Dirigé par Federico Maria Sardelli à la tête d'un Modo Antiquo survolté et ébouriffant, l'ouvrage, servi qui plus est par une distribution de rêve (Piau, Genaux, Laurens, Stutzmann, Agnew), se place, avec L'Olimpiade et Tito Manlio à la tête des plus belles réussites lyriques du compositeur vénitien. Cette qualité musicale est directement tributaire d'un libretto dont la beauté, la fluidité, la concision et la construction irréprochable sont dus au choix de scènes, d'arias et de récitatifs bien calibrés, dynamiques, d'une grande élégance, partagés entre l'ardeur héroïque, la joie sentimentale ou les fureurs belliqueuses propres à l'opéra seria. Rien d'étonnant à cela lorsqu'on sait que le texte (vieux d'une vingtaine d'année lorsque Vivaldi le met en musique), est dû à la plume du Vénitien Apostolo Zeno, célèbre poète arcadien avec lequel le compositeur était pourtant peu en phase. Membre de l'Accademia degli animosi, Zeno réforma le mélodrame italien du début du XVIIIe siècle, en l'adaptant aux principes de la tragédie racinienne : Atenaide n'échappe pas à la règle puisqu'on y trouve le traditionnel découpage en trois actes, l'unité de temps et de lieu des tragédies de Racine, la suppression des rôles comiques, la réduction du nombre de personnages, les grands élans héroïques, éléments qui intégreront quelques années plus tard les drames d'un Metastasio, le langage fleuri en plus.
Avec Atenaide, Zeno et Vivaldi se replongent dans le passé byzantin de Venise : l'action se déroule sous le règne de l'empereur Théodose II (Ve siècle) qui, après de nombreux rebondissements, épouse Athénaïs (la future impératrice Eudoxie, nom qu'elle prendra après sa conversion au christianisme).
Logeant à deux pas des Zattere, cette superbe rive qui jouxte le canal de la Giudecca, je ne peux manquer de me rendre au numéro 782, à côté du Ponte de la calzina (Pont de la chaux), là où se dresse encore la maison d'Apostolo Zeno, occupée aujourd'hui par un restaurant. Le poète y mourut en 1750. Quelques décennies plus tard, la maison voisine, la Calcina, sera habitée par John Ruskin et André Suarès, d'illustres voisins qui, comme Zeno disserteront, l'un sur Byzance, l'autre sur la mort.
Je contemple ces deux demeures, imprégné par la gravité de l'aria "Nel profondo cieco mondo". Effectivement, Venise n'a pas fini de se partager entre les icônes byzantines et l'imagerie funèbre.
Qui êtes-vous ?
- Stéphane DADO
- Liège, Belgium
- Né à Bruxelles dans une famille d'origine grecque, turque, albanaise et bulgare. Etudes secondaires gréco-latines. Licence en Histoire de l'art, Archéologie et Musicologie de l'Université de Liège. Lauréat de la Fondation belge de la Vocation. Ancien journaliste à La Libre Belgique et La Gazette de Liège. Actuellement Chargé de mission développement et médias à l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège. Directeur artistique-adjoint du Festival des Nuits de Septembre. Enseigne l'Histoire sociale de la musique aux Alumni de l'Université de Liège.
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