Après quelques premiers titres dans la veine du rock naissant, interprétés sous le pseudonyme de "Baby Gate", Mina s'impose dans les années 60 avec des chansons qui s'écartent progressivement de l'insouciance stylistique qui domine la musique italienne de l'époque. Elle devient rapidement une icône nationale, succès qu'elle doit d'abord au développement de la télévision dans les foyers italiens à partir des années 60 : Mina passe régulièrement dans des émissions fétiches comme "Sabato sera", "Canzonissima", "Studio uno" ou plus tard "Milleluci", show qu'elle anime avec une autre star de la chanson italienne, Raffaela Carrà.
A cette présence sur les petits écrans qui contribuent à son succès s'ajoutent trois autres éléments. Premièrement, sa voix. Celle d'un mezzo-soprano d'une incroyable sensualité, souple, envoûtante, subversive et d'une tessiture exceptionnellement étendue dans les aigus. Deuxièmement, son interprétation. Chaque chanson est exécutée avec une implication psychologique et une force sentimentale marquées, comme si Mina narrait des drames personnels avec la conviction d'une tragédienne. Ses plus grands succès sont le récit de ses passions impossibles, de ses ruptures sentimentales, de sa douleur de femme trompée. Troisièmement, son image. Mina rompt avec l'aspect de l'Italienne traditionnelle des années 50, catholique et petite-bourgeoise. Elle impose l'image d'une star, avec ses tenues extravagantes, ses faux cils immenses, ses coiffures excentriques, ses maquillages soutenus et ses amours adultères qui font scandale : sa liaison avec un acteur marié, Corrado Pani, dont elle aura un fils, provoque la censure des télévisions publiques. En 1963, Mina est interdite d'antenne pour quelques années mais le succès de ses disques et la pression de la foule parviennent à lever cet ignoble ostracisme. Adulée pour son pouvoir de séduction, elle transforme son image au cours des décennies suivante. La féministe indépendante devient tour à tour vamp, femme fatale, créature androgyne, monstre libertin. Bien qu'installée à Lugano à partir de 1966, ville où elle réside encore aujourd'hui (Mina obtient même la nationalité suisse en décembre 1990), la "tigresse de Crémone", comme on la surnomme, a su forger son propre mythe et devenir le symbole de la grande chanson italienne.
Ses plus grands tubes datent des années 1969-1978, de Non credere à Ancora, ancora, ancora, en par E poi, Adagio, L'importante è finire où la voix acquiert une densité rare, une force déchirante. Elle s'entoure des plus grands paroliers (Cristiano Malgioglio en tête) et collabore avec le gratin des "cantautori' (chanteurs-compositeurs) de la seconde moitié du XXe siècle (Lucio Battisti, Adriano Celentano, Riccardo Cocciante ou Lucio Dalla) qui écrivent pour elles des refrains aux mélodies développés, dramatiques, tout en contraste, permettant une excellente mise en valeur de tous les registres de sa voix.
A la fin des années 70, Mina acquiert une certaine renommée internationale qui la pousse à reprendre ses grands titres en anglais, français, allemand, portugais et même en turc et en japonais. Franck Sinatra souhaite lancer sa carrière dans le show business américain, mais de graves problèmes d’anorexie l’incitent à annuler ce projet. A la surprise générale, Mina donne son dernier concert le 23 août 1978, puis se retire définitivement de la scène, ne pouvant supporter les retombées de la gloire. Bien qu’étant apparue dans de nombreux films, elle décline à la même époque le rôle principal que Fellini lui propose dans Il viaggio di G. Mastorna. Du coup, le film ne verra jamais le jour.
Mina continue néanmoins à enregistrer chaque année un double album de 1979 à 1995. A partir de 1996, alors que la voix est en net déclin, sa production discographique se diversifie. Elle reprend les chansons de groupes et de chanteurs qu’elle affectionne particulièrement (les Beatles, Sinatra, Renato Zero ou Domenico Modugno, le père de la célèbre chanson Volare) et s’oriente vers des genres plus spécifiques (la musique religieuse, la chanson napolitaine), partie de son œuvre la moins intéressante. De 1992 à 2003, plusieurs de ses disques ont été produits par son fils Massimiliano Pani dont on regrettera dans certains cas la banalité de la production. Mina connaît un succès planétaire en 2003 et 2004 en prêtant sa voix aux publicités que Fiat réalise pour la Stilo et la Panda. En 50 ans de carrière, 2004 est la seule année où Mina n’a pas enregistré de chanson nouvelle et celle où paraît son triple best of (The Platinum Collection) qui continue à être en tête des ventes en Italie. Son album le plus vendu reste cependant Mina Celentano (1.600.000 exemplaires).
Ces derniers temps, Mina écrit régulièrement dans les revues d’opinion et les pages des grands quotidiens italiens (La Stampa) et répond à ses nombreux fans dans l’hebdomadaire Vanity Fair. Elle s’est mariée en juin 2006 avec le cardiologue Eugène Quaini après 25 ans de vie commune. Son nouvel album, Todovia (2007), une série de reprises en espagnol, a été plusieurs semaines numéro un en Italie. Sa force de conviction est restée intacte.
J’ai découvert Mina il y a quelques années, à Venise, grâce à ma nièce Isabelle qui est complètement fascinée par sa musique. Elle possède toute sa discographie officielle ainsi que de nombreux pirates. Grâce à la numérisation de la musique, j’ai pu bénéficier de ses 2000 fichiers MP3... Je n’avais jamais entendu parler de l’artiste, totalement inconnue en dehors de l’Italie, ce qu’aucun Italien n’a jamais réussi à comprendre.
Le site officiel de Mina comprends de nombreux documents d'archives : http://www.minamazzini.com/. Il est évidemment impossible de citer ses meilleurs morceaux de Mina ici. Voici toutefois une sélection de dix chansons, qui font partie du saint des saints de ma "Minantologia" personnelle.
a. Deux chefs-d'oeuvre de la période glamour :
E se domani, 1966
Vorrei che fosse amore, 1969
b. Et les sommets :
E poi, en 1974
Adagio, 1972
La mente torna" en 1972
Insieme
Fiume azzuro
Non credere, en 1969 à "La domenica è un'altra cosa"
"
La musica è finita, 1968
L'immensità
4 commentaires:
Etonnant que cette voix magnifique ne soit pas plus connue en dehors de l'Italie. Merci pour la découverte. Claude
Totalement inconnue en dehors de l'Italie ! Pas du tout. Elle est très connue et vénérée dans le monde hispanique, Cela m'amuse de voir que le petit topo que j'ai écrit sur elle circule désormais partout. Le Platinum collection 1, j'en ai acheté des tonnes et en ai offert à des amis. Elle est proprement géniale ! C'est un trésor tout comme Barbara, dans un style opposé, peut l'être. En gros, c'est l'aigle noir contre la tigresse. Par ailleurs, votre définition de vous-même m'a beaucoup amusée, car je suis à l'opposé de vous, une femme, croyante, misanthrope, sans doute peu féministe (l'avortement de masse me pose un grave problème de conscience),pas frappée par votre forme de mal de vivre, etc. et c'est une recherche de Mina sur google qui nous rassemble !
Emma
Chère Emma,
Merci pour ce commentaire. Je peux vous assurer qu'en Belgique elle est inconnue au bataillon... à part dans les communautés italiennes évidemment. Mina et Barbare sont deux interprètes extraordinaires mais elles n'ont effectivement rien avoir en commun... L'une est une interprète qui se la joue star et s'invente des personnages multiples, l'autre chante ses propres compositions et projette sa propre vie dans ses oeuvres.
Par ailleurs, être féministe ne signifie pas être à tout prix pro avortement. C'est un choix terrible et douloureux auquel il faudrait recourir seulement dans certains cas. Je ne pense pas être frappé de mal de vivre, par une rage misanthrope très certainement. Vous voyez, nous avons plus de points communs que vous ne le dites...
Bien cordialement
Stéphane
Oui, mais en ce qui concerne MINA maintenant il y a Internet !
Il y a un document que je n'ai pu voir et qui est resté qq minutes sur le net, celui où Mina présente San Remo 2009...
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