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Liège, Belgium
Né à Bruxelles dans une famille d'origine grecque, turque, albanaise et bulgare. Etudes secondaires gréco-latines. Licence en Histoire de l'art, Archéologie et Musicologie de l'Université de Liège. Lauréat de la Fondation belge de la Vocation. Ancien journaliste à La Libre Belgique et La Gazette de Liège. Actuellement Chargé de mission développement et médias à l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège. Directeur artistique-adjoint du Festival des Nuits de Septembre. Enseigne l'Histoire sociale de la musique aux Alumni de l'Université de Liège.

jeudi 31 janvier 2008

Pétrarquisme argentin

J'écoute à nouveau la nuit tango de Soledad, donnée la semaine dernière à la Salle Philharmonique de Liège (et hélas interrompue peu avant les douze coups de minuit). Pénombre et solitude conviennent à la musique de Piazzolla.
Manu Comté la transcende. Son accordéon plonge dans des abîmes de désespoir curieusement délectables. Une stimulante mélancolie. Des sensations contradictoires qui évoquent l'oximore de Pétrarque : tristesse jouissive, plaisir des amours contrariées, fragments jubilatoires de douloureuses nostalgies. Il y a tout cela dans le jeu de Manu Comté.
Il est l'âme de Soledad...

Un Rubens qui fait voir rouge

L’exposition Rubens vient de se clôturer au Musée d’art ancien de Bruxelles. Ce ne fut point une grande rétrospective de son oeuvre, mais un bilan supposé du travail du peintre dans son atelier.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, l'exposition évoque les années de formation : Rubens retouche les toiles de ses prédecesseurs (ainsi que le montre une Fête de Saint-Martin de Martin van Cleve est rehaussée de ses ajouts chromatiques) et copie les maîtres anciens (il réalise un magnifique portrait de l'alchimiste Paracelse d'après un anonyme du XVIe) ou contemporains (Velazquez).

Le cœur de l’exposition se focalise sur les collaborations "verticales" - entreprises avec l’aide d’apprentis ou d'élèves parmi lesquels un certain Anton Van Dyck - et "horizontales", fruit de l'association avec des artistes renommés comme le paysagiste Hendrick van Balen, le peintre animalier Frans Snyders et surtout ce spécialiste fabuleux des végétaux qu'est Jan Brueghel Ier (on aura admiré une sublime Nature voilée par les trois Grâces dans une guirlande de fruits, de légumes et de fleurs).

Malgré tout l’intérêt de la thématique, la mise en perspective de l'exposition paraît manquer ses objectifs. D'abord parce qu'aucun repère textuel ne permet de comprendre clairement la formation du peintre, notamment les années passées à la cour des Gonzague (vaguement illustrées par un Martyre des Ursulines issu du Palais ducal de Mantoue qui ne dit pas grand chose). Ensuite, rien ne permet de saisir les raisons qui ont poussé le maître à retravailler des tableaux du XVIe siècle. Pas un mot non plus sur les raisons de la collaboration avec des artistes renommés qui apportaient une plus-value aux tableaux de Rubens et permettaient à ses commanditaires l'acquisition de véritables objets de luxe. Enfin, aucune information n’est apportée sur l’organisation de l’atelier du Wapper à Anvers. Qui sont les élèves et apprentis de Rubens ? Quel est leur nombre ? Comment sont-ils recrutés et sur quels critères ? Combien de temps restent-ils dans l'atelier ? Quelle est leur rémunération ? Par quelles sources connaît-on leur nom ? Quelles sont les exigences des commanditaires en matière d'authenticité ? Faut-il payer plus pour avoir un tableau peint seulement par Rubens? Mystère… Et comment différencier les parties traitées par le maître de celles réalisées par son atelier? L'exposition a beau présenter un nombre important d'esquisses à côtés des toiles abouties, on n'en devine pas pour autant qui a fait quoi et quel est l'apport réel de Rubens dans ces tableaux.

Les deux dernières salles sont carrément hermétiques pour celui qui n’a aucune connaissance de la commande que le Gouvernement anglais passa au maître en 1630 pour la salle du trône du palais londonien de Whitehall ou qui ignore que Rubens réalisa les décors d'un arc de triomphe élevé en 1635 à l'occasion de l'entrée du cardinal infant Ferdinand dans la ville d'Anvers. Pas plus d'explications sur les commandes de Philippe IV d'Espagne (de sublimes esquisses mythologiques pour la Torre de la Parada, le pavillon de chasse du roi) ou sur les faux ou les copies tardives (dont une de Delacroix). Par ailleurs, aucune datation n'est reprise sur les étiquettes, il est donc impossible au visiteur d’établir la chronologie des pièces exposées.
Il faut se nourrir des excellents commentaires du catalogue pour y voir plus clair ou avoir la chance de tomber sur un(e) guide compétent(e) pour saisir toutes les subtilités de la présentation.

Les musées ont-ils pour vocation de ne s’adresser qu’à une élite qui peut s’offrir les services d'une historienne de l'art, d'un audioguide encombrant ou d'un catalogue souvent écrit pour les initiés? Comment justifier le prix d'entrée scandaleusement élevé alors que la plupart des œuvres sont exposées dans les collections permanentes du musée le reste de l'année? Là encore, mystère!

Un mot encore sur la présentation qui laisse aussi à désirer. Les murs, peints en rouge sous prétexte que "rubens" signifie "rouge" en latin, rebutent. Et que dire des étiquettes, rédigées dans une taille trois fois plus petite que la police de la Pléiade, sinon qu'elles sont particulièrement faciles à lire dans la pénombre ambiante...

On l'aura compris, le résultat est globalement rebutant et ne pourra que décourager le néophyte qui aurait souhaité renouveler l’expérience du musée.

mercredi 30 janvier 2008

Divertimento bellinien


Ecoute du Divertimento brillant sur des thèmes de "La Sonnambula".

Glinka se réappropriant Bellini.
Rêverie....

La ligne de chant des opéras de Bellini, douce et fragile, délicatement saccadée comme le balancement de faibles vagues, subtilement irrégulière comme les rythmes de notre respiration, exige des interprètes de haut vol. Ils doivent être capables de restituer avec souplesse tous les raffinements vaporeux de ces impalpables asymétries et de rendre la fluidité de mouvement de ces âmes perdues entre l'extase et la pâmoison. Les batteurs de mesure y signent leur arrêt de mort ; les gosiers indélicats en négligent les demi-teintes, une seule nuance vous manque et tout le sfumatto de la musique est évaporé. Dans son Voyage en Italie, Dominique Fernandez a très bien décrit le profil de la chanteuse bellinienne : "Une voix éthérée qui flotte, lambeaux de nuages à la dérive - à la dérive vers le Paradis".
Point de voix chez Glinka, mais la douce ligne du piano de Pletnev accompagnée d'un quintette à cordes. Et le souvenir de ces hivers russes où l'on bravait le froid en s'échauffant le coeur.

Equipo 57

Je viens enfin de parcourir le catalogue de l'exposition "Equipo 57" organisée à la Cartuja de Séville à l'occasion des 50 ans du groupe. Je connaissais mal l'histoire de ce mouvement artistique qui réunit, de 1957 à 1962, quatre artistes espagnols (Angel Duarte, Agustin Ibarolla, Juan Serrano, José Duarte) qui se rencontrèrent à Paris, attirés par le dynamisme de l'avant-garde française du moment et exposèrent principalement à Bruxelles, Copenhague, Zurich, Barcelone, Cordoue, Madrid et Valence.

Leurs créations, en contraste radical avec le conservatisme des productions imposées par Franco, s'opposent tant au mercantilisme du culte de l'artiste qu'à l'expressionnisme de l'époque qui dramatisait à outrance les sujets picturaux. Comme par réaction, chaque toile d'Equipo 57 est conçue collectivement ; aucune n'est signée. Faisant fi de toute narration, de toute référence figurative, les artistes cherchent à faire éclater l'espace visuel traditionnel par la création de nouvelles formes plastiques.

Leur travail se base sur la "théorie de l'interactivité", principe selon lequel, le dessin, la matière, la couleur, la ligne ne peuvent exister en tant qu'éléments individuels, séparés. L'interaction de ces éléments produit toute la dynamique d'une oeuvre. Un examen attentif des productions picturales permet de dire que les "équipiers" de l'an 57 vont jusqu'à réduire l'espace-forme à un espace-couleur : la couleur ne définit plus seulement les contours de n'importe quel élément graphique, elle est par essence ligne graphique. Les premiers tableaux du groupe se caractérisent par des plans de couleurs séparés les uns des autres par des lignes courbes ou droites (c'est selon).

Au début des années 60, l'imbrication de couleurs tant à s'organiser de manière plus virtuose, formant des combinaisons de mouvements qui ne sont pas sans rappeler l'art cinétique (art optique) d'un Vasarely. Les réalisations les plus abouties du mouvement datent de cette époque. La palette de couleurs devient plus réduite. Les sept à huit couleurs dans les toiles du débuts font place désormais à deux ou trois tons. Les contrastes criards ont également disparu dans les dernières réalisations du groupe.

Equipo 57 a également réalisé du mobilier et des sculptures, souvent influencées par le constructivisme russe - les références à Naum Gabo ou à Anton Pevsner sont explicites - et en particulier par les jeux de courbes construits sur le principe des paraboloïdes hyperboliques qui conquièrent avec rigueur l'espace. D'autres pièces ont la pureté de ligne d'un Arp. Bien que nous fussions à peine une dizaine à visiter les magnifiques espaces de la Cartuja, j'ai remarqué la présence de José Duarte qui parcourait l'exposition avec émotion, se replongeant sans doute dans les rêveries et les effervescences de sa jeunesse.

mardi 29 janvier 2008

Tchaikowsky goes Jazz


L'influence de la musique classique sur le jazz des années 60 est pour le moins étonnante. A l'occasion du festival Amériques de l'OPL, j'avais découvert la Nutcracker Suite réalisée par Duke Ellington en 1960 à partir du Casse-Noisette de Tchaïkovski, une relecture jazzy absolument irrésistible, tout comme les titres des mouvements : "Arabesque Cookie", "Sugar Rum Cherry", "Peanut Brittle Brigade". J'écoute aujourd'hui Moon love de Nat King Cole, inspiré par le mouvement lent de la Symphonie n°5 du même Tchaïkovski. Alors que les bonnes avant-gardes ne se sont pas privées (et ne se privent toujours pas) de considérer ce compositeur comme un artisan sentimentaliste et médiocre, les grandes pointures du jazz en avait saisi tout le génie mélodique et la subtilité orchestrale.

Les podcasts du Metropolitan Museum of Arts


Le Metropolitan Museum of Arts de New York propose de passionants podcasts téléchargeables gratuitement sur Itunes. Le dernier en date est une interview de l'artiste El Anatsui dont le Musée a acquis récemment quelques oeuvres. El Anatsui, né en 1944, au Ghana, vivant au Nigeria, s'est imposé l'été dernier comme la révélation de la 52e Biennale de Venise. Ses tapisseries chatoyantes, faites de matériaux de récupération (capsules, boîtes de conserves, etc) ont depuis suscité l'intérêt des plus grands centres d'art au monde (Musée d'art africain de Washington, Musée du Quai Branly à Paris, October Gallery de Londres) .

La fête des douze Marie

Le Carnaval de Venise, ressuscité depuis 1979, bat actuellement son plein. Et avec lui son cortège de traditions, certaines vieilles de plusieurs dizaines de siècles. En parallèle au Carnaval, la Cité des doges célébrait dimanche dernier la "fête des douze Marie", rituel charmant qui remonte à l'an 943. A l'époque, une douzaine de jeunes Vénitiennes, parées de leurs plus beaux bijous, furent enlevées le jour de leurs noces par des pirates d'Istrie (ces épousailles collectives s'explique par le fait que les mariages vénitiens étaient célébrés un jour par an). Les douze élues furent heureusement retrouvées (la tradition ne dit pas si elles furent défleurées) et pour fêter leur retour, un cortège au départ de San Pietro di Castello, l'ancienne cathédrale de Venise, se rendit à la Basilique San Marco, en passant par la Rive des sept martyrs et la Riva dei Schiavoni.

Cette tradition millénaire fut répétée ensuite chaque année avec, pour figurantes, douze jeunes filles d'origines modestes vêtues de tenues luxieuses et de bijoux prêtés par le trésor de San Marco. Ces douze Marie, choisies parmi les plus belles filles de la ville, furent portées sur les épaules de gondoliers, accompagnées par des musiciens ambulants et une foule de passants masqués. Selon les supersitions d'usage, la chance souriait à toute personne qui les approchait. La fête qui suivait le cortège des Marie pouvait durer de trois à neuf jours.

La « festa delle Marie » qui avait lieu chaque année le 2 février – jour de la Chandeleur, également le jour de la Purification de la Vierge, commençait en réalité le 25 janvier et engageait toute la ville, en chacun de ses quartiers. Elle avait évidemment un caractère public et était réglée par le pouvoir communal. La fête pénétrait à l’intérieur des maisons entraînant des actes de libertinage fréquents au cours des banquets nocturnes. Ces actes conduisirent le Grand Conseil à légiférer sur ces banquets privés, interdisant, en 1349, d’organiser des « dîners ou banquets de femmes » (cenam vel convivium dominarum) à l’occasion des « Marie ». A la longue, la République décida de remplacer les douze jeunes filles par douze statues de bois, des "Marie di legno" qui auraient donné leur nom à ces pantins de bois qu'on nomme "marionnettes". Les protestations furent si virulentes que la République fut contrainte de supprimer la fête en 1379. Sept siècles plus tard, le cortège des Marie vit à nouveau le jour.

Dimanche dernier, à 16h30, Ornella Muti, marraine des douze "pucelles", grimée en marquise du XVIIIe (cf. photo), accueillait sur l'immense podium dressé place Saint-Marc le cortège des élues, parti une heure et demi plus tôt de Castello pour un périple processionnelle qui tenait pkus du parcours de séduction que de la marche religieuse. Dans une semaine, pour la clôture du Carnaval, un jury désignera la plus belle Marie de l'année.

lundi 28 janvier 2008

L'interview de Marguerite Yourcenar par Bernard Pivot

Mon admiration pour l'oeuvre de Marguerite Yourcenar est sans borne. J'ai trouvé sur Amazon l'interview que Bernard Pivot a réalisée pour son émission "Apostrophe" le 7 septembre 1979 à Mount Desert Island (Maine, USA), dans la modeste "Petite Plaisance" où l'écrivaine a vécu près d'une quarantaine d'années. Le document est exceptionnel à bien des égards. On y retrouve une vieille dame de 76 ans (cf. la photo, extraite du reportage), toujours aussi redoutablement intelligente qui parle à bâtons rompus d'elle et de ses livres . Certes, lorsqu'on a passé sa vie à forger "son" personnage par une accumulation de strates et d'expériences combinant l'amour de la Grèce antique, la passion pour la littérature anglaise, l'attrait pour les philosophies orientales et la pensée médiévale, avec cette dose d'aristocratie hautaine qui rend la perception de soi encore plus hermétique, il n'est pas facile de faire tomber les masques, et probablement qu'avec Yourcenar les masques ne sont jamais totalement otés. Pour preuve, sa vie durant, l'écrivaine s'est bien gardé de révéler les faits "embarassants" de son parcours, elle a été aussi discrète qu'elle put être prolixe lorsque l'invention de son personnage nécessitait la narration de détails appropriés. Cerner Yourcenar est d'autant plus complexe qu'elle s'est elle même permis de brouiller les pistes de sa chronologie... Les erreurs de dates existent, elles sont d'autant plus volontaires que Yourcenar a une mémoire trop précise, trop parfaite pour se tromper sur des questions de détails. La chronologie qu'elle a rédigée - honneur suprême - pour l'édition de ses romans dans la Pléiade est bourrée d'approximations, et souvent de silences (ses mystérieuses années 30) que les historiens de la littérature ne se privent pas de relever.

La confrontation avec Pivot, dans la belle maison blanche du Maine que l'on voit au début du reportage, n'en demeure pas moins révélatrice. Certes, l'auteure reste en représentation, mais l'impressionnante dame accoudée à la table de son salon, n'hésite pas à "se lâcher", avec quelques jolies piques qui égratignent à bon escient. Chez Yourcenar, le flacon de vitriol n'est jamais loin de la tasse de thé...

Parmi les nombreuses révélations intéressantes, pointons son engagement dans de multiples causes pacifistes. Bien que l'action publique, associée au métier d'écrivain, lui fasse horreur (une prise de position que beaucoup d'intellectuels condamneront), Yourcenar déclare qu'en privé, le militantisme est son lot quotidien : elle fait partie d'une quarantaine de sociétés dont deux ou trois en France. Et d'en citer : "les sociétés anti-raciste, droit civil, défense de l'environnement, défense de la faune, défense de la flore, défense de l'océan. J'appartiens au groupe de Cousteau naturellement, etc.". On est plus surpris lorsqu'elle raconte sa marche, un écriteau dans le dos, à Pearl Harbour pour manifester contre la guerre du Vietnam. On s'étonne moins de la voir adresser régulièrement au Président des Etats-Unis des télégrammes contre le développement de bases militaires ou le saccage de réserves naturelles en Alaska. Yourcenar était une redoutable épistolière, ses éditeurs, en particulier Gallimard, ont souvent déclaré forfait face à sa tenacité et on peut supposer que la plus haute personnalité des USA eut du fil à retordre avec elle.

Yourcenar parle encore de ses origines, de l'absence de sentiments pour une mère morte dix jours après sa naissance : "il faudrait être particulièrement sentimentale pour aimer ainsi une personne que l'on n'a pas connue". Plus étonnant, elle revendique une plus grande revalorisation du corps, attachée bien plus à la sensualité physique qu'à la primauté des sentiments (vice de procédure propre à la France depuis l'époque courtoise). Enfin, Yourcenar devient passionnante lorsqu'elle raconte la manière dont ses créatures (Hadrien, Zénon) continuent à vivre en elle, à la nourrir, à la former contredisant l'opinion commune qui veut que des personnages soient le prolongement de leur auteur. Un anti "Madame Bovary, c'est moi" en quelque sorte!

Pierre de Marbeuf

Pierre de Marbeuf (1596-1645), poète français de l'ère baroque, étudie le droit aux côtés de Descartes. Connu tardivement, il est l'auteur de sonnets virtuoses ou érudits qui rapprochent la mécanique de la nature avec celle du sentiment amoureux. L'archéologue Catherine Escutenaire, alors étudiante comme moi à l'Université de Liège, m'a fait découvrir "A Philis" au cours d'une de ces soirées littéraires où chaque convive apportait des musiques et des textes supposés inconnus de l'assistance.

A PHILIS

Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage,
Et la mer est amère, et l'amour est amer,
L'on s'abîme en l'amour aussi bien qu'en la mer,
Car la mer et l'amour ne sont point sans orage.

Celui qui craint les eaux qu'il demeure au rivage,
Celui qui craint les maux qu'on souffre pour aimer,
Qu'il ne se laisse pas à l'amour enflammer,
Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.

La mère de l'amour eut la mer pour berceau,
Le feu sort de l'amour, sa mère sort de l'eau,
Mais l'eau contre ce feu ne peut fournir des armes.

Si l'eau pouvait éteindre un brasier amoureux,
Ton amour qui me brûle est si fort douloureux,
Que j'eusse éteint son feu de la mer de mes larmes.

LE MIRACLE D'AMOUR

Babylone a vanté ses murailles de brique,
Rhode a fait renommer son colosse orgueilleux,
Et l'Égypte a fait cas des sommets sourcilleux
D'une masse de pierre admirable en fabrique.

Éphèse aimait son temple ainsi qu'une relique,
Semiramis avait des jardins merveilleux,
Le tombeau de Mausole était miraculeux,
Et ne lui cédait pas le Jupiter olympique.

Les anciens ont dit merveilles en leurs vers
Des miracles premiers qu'on vit en l'univers,
Mais moi j'ai pour sujet la merveille seconde.

Ô ma Philis, alors que je décris vos yeux,
Célèbre qui voudra sept miracles du monde,
Je réserve à ma plume un miracle des cieux.

Théognis


Afin de souffler après ces neufs journées américaines à l'OPL, je relis quelques pages du poète grec Théognis (VIe siècle ACN), aristocrate de Mégare dont une part importante de l'oeuvre a été conservée sans dommages. Quelques passages moralistes, quelques réflexions sur la vieillesse et de beaux vers qui invitent à jouir du vin et de l'amour. A titre d'exemple, ce quatrain adressé à Cyrnus, amant infidèle que Théognis ne cessera pourtant pas d'aimer :

"L'amour est dur et doux, et de fiel et de miel,
Cyrnus, jusqu'à l'instant du don ou du déni.
Ensuite, si c'est oui, c'est un bien infini,
Et si c'est non, de tous nos maux le plus cruel."

Voix belges d'outre-tombe


Etonnante découverte que celle d'un site de la Communauté qui propose d'écouter pendant quelques secondes la voix des grands auteurs et artistes belges : http://www.dmnet.be/voix/

Avec émotion, on découvrira le timbre de Maurice Maeterlinck, Emile Verhaeren, James Ensor, Georges Simenon, Michel de Ghelderode, Marguerite Yourcenar ou encore Marie Gevers... Il manque beaucoup de noms, Alexis Curvers ou Marie Delcour entre autres, mais cela n'empêchera pas d'y trouver son bonheur!

Des nouvelles des Danel

Quelques personnalités du monde musical belge étaient présentes au concert de ce samedi 26 janvier : Steve Houben d'abord, subjugué par la modernité de Varèse (comme l'essentiel du public liégeois) et par les qualités de l'Orchestre, Gilles Millet ensuite, violoniste du fameux quatuor Danel (et compagnon de la violoniste Elsa de Lacerda elle-même présente à Liège pour le direct radio sur Musiq'3). Gilles m'a confié qu'il terminait avec les Danel l'enregistrement de la première intégrale des quatuors à cordes de Vainberg (cf. photo), oeuvres excellentes à l'instar des Symphonies du maître, et qui permettent de mettre en valeur toutes les influences de Vainberg sur la musique de Chostakovitch. Les Danel travaillent également en ce moment le Quatuor de Popov, partition d'une cinquantaine de minutes sans la moindre faiblesse d'écriture au dire de Millet. L'entrevue, dans le local technique de l'OPL réservé à la RTBF, nous a permis d'entendre By Strauss de Gershwin, une magnifique parodie de la musique viennoise chantée par Ella Fitzgerald que nous a fait découvrir Laurent Graulus, qui l'avait préparé comme intermède radiophonique...

dimanche 27 janvier 2008

Amériques


Choc de deux univers sonores hier soir à l'OPL sous la conduite de Pascal Rophé : la Rhapsody in Blue (1924), une Amérique triomphaliste qui se la joue séducteur (avec, cela s'imposait, le très glamour Frank Braley au piano), opposée à Amériques de Varèse (1930), sorte de Sacre du Printemps puissance 10 dont le chaos sonore et la construciton démoniaque portent les séquelles de la crise de 1929... La fin d'un rêve américain... Cette modernité "bruitiste" fascine par ses déflagrations sonores et l'énergie incandescente de ses dernières mesures. Amériques surpasse de loin tout ce que les compositeurs d'aujourd'hui peuvent écrire tant son magma organisé ponctué de sirènes, de "cris de lion", d'une armée de percussionnistes déchaînés (13 en tout) offre une structure à la fois complexe et limpide qui devrait servir d'exemple aux multiples oeuvres difformes d'aujourd'hui... Boulez cultive la perfection formelle mais plonge l'auditeur dans un bain de stérilité émotionnelle. Mantovani, Dusapin, Lindberg peuvent déclencher des coulées de lave incandescente (Exeo), mais leur propos se répète et donc s'essouffle assez vite... Seul Xenakis est parvenu à pousser plus loin les limites de la modernité orgiaque... avec Jonchaies (en 1977) et Lichens (1984, oeuvre d'ailleurs créée par Pierre Bartholomée et l'Orchestre Philharmonique de Liège!!!). Plus de 25 ans se sont écoulés depuis sans qu'aucune partition n'aie pris la relève...